J’ose ici vous parler de couleurs…

…autrement !

J’ai déjà proposé des stages sur la roue des couleurs, les accords, les valeurs, les intensités, les couleurs chaudes et froides… Cela vous rappelle quelque chose ? Vous avez maints livres à votre disposition qui vous expliquent très bien tout cela, en anglais et en français, appliqués au domaine du patchwork. Par exemple dans la communauté des quilteuses, nous admirons -ou détestons !- la gamme particulière de couleurs des quilts Amish : leurs tissus unis ont des tons majoritairement  froids, intenses, sombres (restes  de leurs vêtements cousus à la maison) et parfois des pépites de couleurs vives et claires. Ces couleurs sont dictées par leurs règles de vie.

Sunshine and Shadow, quilt amish traditionnel du comté de Lancaster en Pennsylvanie, exposé au Metropolitan Museum of Arts de New-York. On voit bien ici la palette majoritairement sombre avec des éclats lumineux qui devaient bien briller sous le pauvre halo de lumière d’une lampe à huile… Date approximative : 1940.

Si on sort du monde du patchwork et de l’art, je trouve très formateur de s’intéresser à la perception des couleurs au quotidien au fil du temps et des sociétés. Chez nous, à notre époque, nous avons accès à des nuanciers codifiés incroyables pour choisir la couleur d’une peinture pour nos murs ou nos volets, alors que pendant l’Antiquité grecque et romaine n’étaient utilisées que trois « couleurs-concepts » dans la vie quotidienne :

– le « rouge » (qui pouvait être aussi ocre, rose…) : c’était le concept du « coloré », du « teinté », de « chargé en pigments », ce qui renvoie à l’intensité de la couleur dont on parle dans nos livres de patchwork. La teinture principale était la garance, mais pas la seule.

– le « noir », qui était tout ce qui était non teinté mais sali, souillé, dont on a enlevé de la lumière, on y retrouve notre notion de valeur (imaginez une photo en noir et blanc…).

– le « blanc » qui est le contraire de chacune des notions précédentes : pur, sans pigment ajouté, ainsi que pur, sans tache ou salissure, sans lumière enlevée.

« Le noir, c’est le sombre, le rouge c’est le dense, tandis que le blanc est à la fois le contraire de l’un et de l’autre »*. Etonnant, non ? Le bleu, le jaune ou le vert n’avaient à l’époque pas d’utilité sociale, ni symbolique, on n’en parlait donc pas ou peu. A un tel point qu’au XIXe siècle plusieurs chercheurs en linguistique historique se demandèrent si les Romains et les Grecs avaient la capacité de distinguer la couleur bleue, tellement elle était absente des textes. On ne disait sans doute jamais « le ciel est bleu », mais « il fait beau » ! Pas de cécité à déplorer, juste un manque d’intérêt pratique. Le bleu était de fait associé « aux autres », d’une part à l’Orient qui utilisait déjà beaucoup l’indigo et le lapis-lazuli, et d’autre part aux « Barbares », avec ces Celtes qui enduisaient même leur peau de guède (=pastel) pour effrayer leurs ennemis ! « Nos Ancêtres les Barbares » germains et celtes teignaient d’ailleurs des tissus en bleu, mais le rendu était souvent grisâtre, loin des divines couleurs obtenues plus tard par le pastel des teinturiers (Isatis Tinctoria) poussant dans la région toulousaine. Quant à l’indigo d’Orient, il était bien trop cher pour les Grecs et les Romains. A noter que ces deux plantes possèdent le même principe colorant (l’indigotine) réputé repousser de nombreux insectes, aussi bien par les Asiatiques que les « Barbares ».

Ce n’est qu’à partir de l’an Mille que peu à peu, les autres couleurs, et surtout la bleue, suscitent plus d’intérêt, avec l’interraction des innovations techniques et l’envie de modernité, tant dans la représentation de l’Eglise et Marie d’un côté, que de l’aristocratie et la royauté de l’autre. Le Bleu, au fil des siècles, devient alors en Europe une couleur révérée, puis une couleur morale, romantique (l’habit de Werther) pour devenir -presque- une couleur neutre avec les uniformes, militaires (marins, gendarmes, policiers, pompiers…) ou même laïques avec l’omniprésent blue-jean ! Aux yeux des autres civilisations, le bleu marine est d’ailleurs devenu LA couleur de la civilisation occidentale.

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*Michel Pastoureau, Bleu, histoire d’une couleur, éd. Seuil – L’évolution de l’importance des couleurs, telle que je vous l’ai survolée ci-dessus, provient de ce livre. Si le sujet vous intéresse, vous ne serez pas déçue par sa lecture.

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Sur les Amish : voir les livres écrits par Jacques Légeret, le meilleur spécialiste européen.

Etudes sur les couleurs : beaucoup de chapitres intéressants dans les livres de patchwork, ainsi que des livres entiers sur le sujet. Celui qui m’a le plus formée est « Scrap Quilts, l’art d’utiliser les chutes de tissu » de Roberta Horton, ed. de Saxe, je me suis approprié toute sa « philosophie » !

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6 commentaires sur « J’ose ici vous parler de couleurs… »

  1. Tu tombes à pic avec ton article sur les couleurs Katell. Je suis en train de créer mon blog avec un nom hautement symbolique pour moi “ Les couleurs de la vie”.
    Je compte y « bloguer » de patch mais très modestement, de broderie aussi (je brode un petit peu ), des objets que j’aime chiner et du joli travail de ma maman avec ses fuseaux que j’admire beaucoup .
    Je vous tiens au courant dès qu’il est opérationnel …..
    Isa

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  2. Encore une fois merci pour cet article très intéressant ; il faut que je me plonge dans les livres que tu cites, peut-être le dernier dont tu nous parles pour commencer … J’ai tant de mal à comprendre la différence entre la valeur et l’intensité d’une couleur !
    Et bienvenue à Isabelle dans la blogosphère : j’attends l’ouverture de son blog avec grand intérêt!
    Bises à toutes,
    Callale.

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    1. Ne te fais aucun souci : instinctivement tu sais déjà si bien accorder les tissus ! Je te donne un exemple : avec les tissus Blackbird Designs que tu utilises, tu n’aurais jamais l’idée de mettre une couleur « pure » comme un vert pomme, tu choisiras plutôt un vert « passé », « adouci », ou « jauni », c’est une question d’intensité des couleurs, ou encore d’atmosphère, de style. La valeur, c’est le contraste. Facile en noir et blanc, moins évident mais quand même important en couleurs. Si tu ne mets pas assez de contraste entre le tissu de fond et le motif, même avec des couleurs différentes, le bloc sera fade, il sera confus vu d’un peu loin. Tu vois, c’est facile ! Mais je te recommande quand même le livre de Roberta Horton !…

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  3. ce matin c’est avec curiosité que je suis venue faire une visite au blog … et déjà au bout de cinq minutes deux références de livres sont inscrites sur mon cahier !! bravo pour l’intérêt que vous avez suscité en moi au soleil levant !!! c’est assez rare actuellement et mon gout pour le patchwork depuis quelques temps va en s’épuisant c’est grâce à des personnes comme vous que je garde un peu l’espoir de me remettre sérieusement aux aiguilles … encore un grand merci pour ce moment matinal positif !!! je continue ma visite !!! belle journée et encore merci !!!

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    1. C’est ma vocation : faire connaître les multiples facettes du patchwork, donner envie d’explorer ce merveilleux moyen de s’exprimer, de faire plaisir, de décorer… A chacune son style et ses priorités !
      Un grand merci pour tous ces compliments, j’espère que d’autres articles vous plairont autant !

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