Garance, Andrinople, Carmin, Rubis, Cramoisi…

 OUI, aujourd’hui c’est du ROUGE qu’il s’agit ! Mais NON, on ne parlera pas de la Saint-Valentin… Notre Abeille Martine s’est penchée sur la broderie rouge qui connaît un regain d’intérêt depuis quelques années.

Broderie rouge et Redwork

Dans notre groupe, certaines de nos amies sont de virtuoses brodeuses et maîtrisent cet art avec talent, pour d’autres c’est une découverte. J’aime réaliser des ouvrages avec la broderie rouge et mon intérêt ne se dément pas, en découvrant son histoire passionnante.-anna-simmig-1894-marquoir-rouge-au-point-de-croix

Marquoir Anna Simmig – 1894

La broderie en rouge fut utilisée en Europe à partir du XVIIe siècle notamment pour la réalisation des marquoirs, tableaux faits par les jeunes filles apprenant le point de croix, afin de marquer ensuite le linge (le plus souvent avec les initiales familiales).
On trouvait également, en Alsace et en Allemagne, des dessins purement décoratifs au fil rouge sur le linge de maison réalisés au point de croix mais aussi au point arrière ou 
au point de tige.

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Parmi tant d’autres, une broderie alsacienne au point de tige

Née en Europe, la broderie rouge sous sa forme décorative fut exportée aux Etats-Unis où elle connut un immense succès. Le redwork (= travail en rouge) a vite été associé au patchwork américain, ce qui permet de réaliser des quilts magnifiques. Elle est parfois la marque de reconnaissance de certains artistes.

Pourquoi le fil rouge ?

On ne peut parler de broderie rouge sans évoquer la garance, cette plante tinctoriale avec qui tout a commencé. En effet ses rhizomes desséchés, nettoyés puis réduits en poudre ont produit pendant plusieurs siècles le pigment rouge utilisé dans la teinture des tissus.photo 1

Originaire de Perse et de l’est du bassin méditerranéen, la Rubia Tinctorum était couramment utilisée dans l’antiquité. Elle a également des vertus médicinales.

L’Inde qui la cultive depuis toujours a le monopole de la teinture rouge sur coton jusqu’au XVIIème siècle. Elle est cultivée en France jusqu’au XVIème siècle pour la teinture de la laine ou de la soie puis elle disparaît du fait des guerres. En 1760, la garance des teinturiers est réintroduite en France dans le Vaucluse et en Alsace. Sa culture est à son apogée au XIXème siècle et la qualité de la garance française est supérieure à celle des pays européens notamment de la Hollande, grand pays producteur.

Elle est utilisée pour deux applications essentielles :

– Le drap rouge des uniformes de l’armée française dont les képis et les pantalons des soldats étaient obligatoirement teints en garance (décret royal de Louis Philippe)

– Les cotonnades en « rouge turc » spécialité de Mulhouse.

L’Alsace fait partie des grands régions productrices de garance en Europe avec la région d’Avignon. C’est en Alsace que la recherche du rouge d’Andrinople ou rouge turc, procédé de teinture du coton à base de garance, long et complexe, a été la plus intense. Ces recherches sont à l’origine des progrès réalisés dans la teinture du coton au XIXème siècle.

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Soldat français en 1914 portant un pantalon et un képi rouge garance

La culture de la garance a ainsi joué un rôle important dans l’économie française et européenne dans le domaine du textile jusqu’à la fin du XIXème siècle. Elle contribua à la prospérité des provinces productrices et de leurs populations. Elle sera ensuite concurrencée par la production chimique de l’alizarine, composant de la garance qui permet une production à plus grande échelle et meilleur marché. Lorsque le colorant synthétique rouge fut inventé en 1869 par le chercheur allemand Von Bayer, le gouvernement français va alors offrir des contrats privilégiés aux producteurs de garance parmi lesquels les pantalons rouges des soldats. Fin 1914, le rouge garance, qui faisait des Français des cibles bien trop visibles, fut remplacé par du bleu horizon. La culture de la garance sera abandonnée et finira par disparaître.

En broderie, le rouge garance ou rouge turc a son fil dit « rouge du Rhin » connu aujourd’hui par son numéro 321 chez DMC.

Le livre « Andrinople, le rouge magnifique : De la teinture a l’impression, une cotonnade à la conquête du monde » retrace cette épopée qui est aussi l’histoire de cette couleur rouge.photo 3

Dans le n°70 des Nouvelles du Patchwork, l’article consacré au rouge d’Alsace donne la parole à Georges Klein, ancien conservateur du Musée alsacien. Il nous explique que « le rouge était la couleur liée aux principes de la vie même, du feu, du sang. Synonymes de jeunesse, de santé, d’amour il est associé aux costumes de fête, aux coutumes traditionnelles de printemps, de mariage, de naissance. »

Pas étonnant que le fil rouge à la fois abondant, bon marché, résistant et populaire soit resté dans nos mémoires !

Le Redwork

La tradition européenne qui s’est développée aux Etats-Unis est celle du dessin figuratif brodé avec un fil rouge au point arrière ou au point de tige. Les dessins étaient reproduits grâce à des tampons, des feuilles carbone, et dès 1870 les tranferts au fer à repasser furent inventés.

Selon The Quilt Index, site du Musée de l’Université du Michigan, le Redwork est devenu le style le plus populaire des travaux d’aiguille aux Etats Unis au XIXème siècle. L’exposition du Centenaire de Philadelphie en 1876 avait non seulement fait découvrir aux femmes américaines les travaux d’aiguilles mais ses expositions avaient suscité un véritable engouement et eut une influence profonde sur les styles et la mode. Cette effervescence donna naissance à un mouvement artistique. Des sociétés des Arts Décoratifs furent créées offrant une formation de pointe et des possibilités d’emploi pour les femmes.

Toute une activité –conception et transfert des dessins, catalogue etc….-s’est développée procurant ainsi un revenu aux intéressés. On pouvait donc trouver dans les boutiques des petits carrés de toile sur lesquels étaient reproduits des motifs, les uns destinés aux adultes, les autres aux enfants. A cette époque l’enfant brodait auprès de sa maman. Ces petits carrés de toile qu’on pouvait acheter pour un penny, prirent le nom de « Penny Square »photo 4

Une belle collection de « Penny squares »photo 4-1

Un de ces Penny-squares au motif enfantin décoratif 

Ce coût modeste permit à toutes les personnes, quels que soient leurs moyens, de s’adonner à ce loisir. Les dessins montrent parfois des scènes de la vie quotidienne, faisant du quilt ainsi réalisé le témoin de son époque !

Dans le numéro des Nouvelles du Patchwork cité plus haut, le Redwork est présenté « comme le fil rouge entre l’Europe et l’Amérique ». En effet on nous indique que « l’idée de réaliser un patchwork à partir de ces blocs brodés dut germer tout naturellement dans l’esprit des quilteuses invétérées ». Ces pièces sont devenues rares et très recherchées aujourd’hui. Ces quilts, dont certains blocs étaient brodés parfois malhabilement par un enfant, dégageaient un charme particulier.

photo 6Quilt d’artiste inconnu date création 1890, collection Michigan Musée State University

L’exposition d’un top en Redwork de 1881 de Pennsylvanie, au Mona Bismarck American Center en 2013 lors de l’exposition « Quilt Art – l’Art du Patchwork » nous donna l’opportunité d’en saisir le sens. Ces quilts aux blocs de redwork connurent un véritable engouement vers 1900.photo 5

Quilt de Metta V.Rybolt , création 1950, collection Michigan Musée State University

Certains étaient malgré tout brodés en bleu, mais il n’était pas rare de dire alors « un redwork en bleu » !

Le fil rouge, ce fameux rouge turc, qu’apportèrent les femmes immigrantes européennes porteuses de la tradition du linge de maison brodé au point de tige rouge, contribua à l’essor de la broderie rouge/redwork aux Etats Unis. Ce fameux fil sera importé d’Europe jusqu’en 1920… et les Américaines continuent d’adorer le DMC n° 321 !

Martine

–ooOoo–

him and her

Redwork moderne !

10 commentaires sur « Garance, Andrinople, Carmin, Rubis, Cramoisi… »

  1. Merci pour ce nouvel article très intéressant. J’aime beaucoup broder en rouge, que ce soit au point de croix ou en redwork. Beau week end.

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    1. Merci Christine ! La broderie en rouge fait partie du patrimoine d’une grande partie de la France ; pour beaucoup d’entre nous, le plaisir qu’on trouve à broder se trouve augmenté par le sentiment de poursuivre une tradition !

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  2. merci pour ce reportage j’aime beaucoup cette broderie redwork mais plutôt au point de tige avec le 815 DMC! on voit énormément de redwork au point avant ! Je vais chercher le numéro 70 des NP Je pense que je l’ai dans mon stock!!!!!
    bon week end

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  3. Merci pour cet article bien complet ;0)
    J’aime aussi beaucoup la broderie rouge et surtout les redworks anciens. J’admire les marquoirs car je ne pratique pas (j’en ai fait un seul)…

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  4. J’aime beaucoup broder en rouge, notamment le 816, au point compté. Merci pour cet article très intéressant. Bon week-end.

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  5. Un redwork me fascine tout autant qu’un quilt rouge et blanc…j’ignorais l’histoire des penny squares !
    Merci pour cet article très complet !

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  6. Très intéressant, il est nécessaire de connaître l’histoire de tous ces  » travaux manuels » que l’école nous a trop peu enseignés, heureusement nos mamans l’ont un peu fait.
    Merci Christine, pour cette explication complémentaire…….continuez svp.

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