Sister in Purple and Blues

De Sisters en Oregon qui se trouve au nord-ouest des Etats-Unis, nous plongeons dans le « deep South », le Sud profond dans le sud-est des US,  états séparés puis réunis lors de la guerre de sécession (1861-1865). Cette grande région a en commun une histoire tourmentée et une culture distincte du reste des US.

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J’ai lu ce livre en 1980 alors que j’habitais en Côte d’Ivoire. Il m’a profondément touchée… Alex Haley, Roots (Racines) 1976, prix Pulitzer.

Cette région est marquée dès le début par son activité agricole et l’utilisation d’esclaves en tant que main d’oeuvre. Les premiers Noirs (une vingtaine) furent débarqués dès 1615 à la suite d’un déroutage d’un navire négrier espagnol par des Hollandais. Puis progressivement le honteux commerce triangulaire s’installa alors que les besoins en main d’oeuvre s’intensifiaient dans les champs de tabac, de riz, d’indigo, de canne à sucre ou de café, le coton ne devenant la culture principale qu’en 1790. Au total, 600 000 Africains furent ainsi déportés vers les territoires des Etats-Unis (5 à 6 % de l’ensemble des Noirs venus d’Afrique vers le continent américain). 

A l’orée du XIXe siècle, il n’y avait presque plus de migration de l’Afrique vers les Etats-Unis, les Noirs étaient pour la plupart installés en familles dans les quartiers des esclaves dans de grands domaines, possédés par des maîtres blancs souvent plus récemment américains qu’eux. Ce n’était pas une belle vie, bien sûr que non, mais ils y avaient une famille, des habitudes, une installation, un homeland américain.

Mais alors vint la migration à l’intérieur du territoire avec l’expansion territoriale vers l’Ouest. Entre la révolution américaine (indépendance le 4 juillet 1776) et la guerre de Sécession, des historiens s’accordent à dire que c’est une période absolument tragique pour les Noirs, aussi traumatisante que le déracinement d’Afrique : brutalement séparés de leurs familles et des terres où ils vivaient depuis des générations, extrêmement maltraités par les passeurs et vendeurs puis leurs nouveaux propriétaires, environ un million d’esclaves  furent déracinés pour travailler plus à l’ouest. Cette période très violente fut le ferment  de tous les maux de la ségrégation raciale dans ces pays du sud et de la situation actuelle. J’ai bien sûr en tête l’actualité à Ferguson (Missouri). 

Pour mesurer toute la violence des combats successifs pour la reconnaissance d’une égalité de fait et les difficultés à vivre ensemble, même avec un Président des Etats-Unis métis (article Obama en quilts), on peut lire le livre de Nicole Bacharan Les Noirs américains : Des champs de coton à la Maison Blanche.

bacharan

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Ce vieux Sud, si violent, est pourtant si attachant, berceau du blues et du jazz, lieu des plus jolies histoires… Laissons-nous porter par cette ambiance à nulle autre pareille…

color-purple-purpleCet été j’ai revu La Couleur Pourpre de Steven Spielberg de 1985, un des films qui réussit à égaler le roman d’origine (La Couleur Pourpre d’Alice Walker, 1982, prix Pulitzer). Steven Spielberg, homme blanc juif, a su capter comme personne l’essence du Vieux Sud et magnifier ces femmes noires chrétiennes, faisant de ce film un enchantement. Complètement invraisemblables sont les critiques essuyées par Spielberg à la sortie du film : que Spielberg ose s’attaquer à ce sujet semblait un affront pour certains, tant les tensions racistes et sexistes demeuraient aux Etats-Unis.
Malheureusement on le sait, ici, là et ailleurs violence et racisme ont la vie dure…

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D’ailleurs, les femmes de ce Sud, blanches ou noires, multiplement rabaissées, avilies, victimes de violences, savent lever la tête et font partie des héroïnes les plus touchantes de la littérature populaire américaine qui font de bons films ! Connaissez-vous Les beignets de tomates vertes, La couleur des sentiments, La vie secrète des Abeilles (Le secret de Lily Owens) ?… Sans parler de Gone with the Wind/Autant en emporte le vent, bien plus ancien et d’un autre temps… Moins féminin mais très instructif sur ce Vieux Sud aux relents toujours violents, le dernier livre de John Grisham (auteur prolifique ayant notamment écrit La Firme et L’Affaire Pélican) m’a tenue en haleine cet été avec L’allée des sycomores.

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C’est principalement dans ce vieux Sud qu’on trouve les quilts « afro-américains » devenus à la mode. Il s’en vend sur internet, parfois estampillés « slave-made », « fait par une esclave » ou autre fantaisie scabreuse… laissant sous-entendre « fait par une descendante d’esclave ». Car la plupart de ces quilts datent du XXe siècle, faits d’ailleurs indifféremment par des Noires ou des Blanches du vieux Sud qui partagent le même genre de vie de femmes malheureusement pauvres…

Attention aux amalgames encore une fois : « l’africanisme » n’est pas tout-à-fait ce qu’on croit. Il est prouvé par de sérieuses historiennes du quilt américain (en tête Leigh Fellner à ce sujet) que les esclaves des états du sud faisaient effectivement des quilts, mais avec les mêmes motifs et les mêmes tissus disponibles que les femmes blanches. Certaines étaient très douées pour manier l’aiguille et l’une d’elles, Lizzie Keckley, devint la couturière attitrée de Mrs. Lincoln, épouse d’Abraham Lincoln. Voir ici un article très complet sur cette dame (en anglais).

Non, tout ce qui est spontané, en bandes, de travers, coloré, rythmé, asymétrique etc., stéréotypes véhiculés par nombre d’études pas assez sérieuses, n’est pas obligatoirement afro-américain ! Toutes ces caractéristiques se trouvent aussi chez des quilteuses blanches (même les Amish, même les Galloises, même les Australiennes…).

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Ce quilt vient probablement de Pennsylvanie et les historiens le datent des années 1890. Il est actuellement au Speed Museum (Louisville, Kentucky), je l’ai vu sur Selvage Blog, blog toujours à la pointe de l’inspiration !


Cela ne remet aucunement en cause le talent de quelque artiste que ce soit, ni l’admiration qu’on peut avoir pour les quilteuses du hameau de Gee’s Bend en Alabama : simplement l’Afrique de leurs ancêtres n’avait pas alors les textiles caractéristiques qu’on lui prête… 

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Magnifique quilt d’Anna Williams de 1998. Cette grande artiste de Louisiane, née en 1927, inspire de nombreuses artistes contemporaines. Je ne suis pas sûre que la couleur de sa peau soit importante… Voir aussi l’article de Barbara Brackman ici sur l’influence déterminante d’Anna Williams dans le monde du quilting contemporain.


En revanche, il est évident que la quête des origines, oh combien compréhensible, mène de nombreuses Afro-Américaines à s’inspirer de l’Afrique des XIX et XXe siècles (qui n’est pas l’Afrique de leurs ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles), où effectivement on trouve les très colorés tissus WAX inspirés des batiks indonésiens.

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Quel chaleureux ensemble de tissus africains ! Photo prise… à Paris, voir ce blog.

Mais après tout, les rêves et les mythes sont parfois aussi importants que la vérité pure et dure… Presque tout le monde regrette que la belle histoire de l’Underground Railroad secret Code soit  fausse !

pineburr

Quelques motifs sont dits  « typiquement afro-américains » comme le Pine-Burr (ou Pine-cone) quilt,  présenté ces jours-ci par Karen Griska – Selvage Blog, elle-même inspirée par ma chère LeeAnn, Nifty Quilts. Mais les historiens ne sont pas tous d’accord, j’ai ici un texte sur un blog spécialisé émettant quelques nuances. Il n’en reste pas moins qu’il n’y a rien de tel pour vider les armoires de tous vos petits morceaux ! Attention, le résultat sera lourd, très lourd…

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Superbe Pinecone quilt datant des années 1930 (on voit que c’est la mode des pastels), présenté sur ce blog : Scraps & Threadtales . Il pèse environ 14 kg !

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Revenons à la Couleur Pourpre, le film.

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Whoopi Goldberg (Celie) est ici allongée sur un quilt noué tout simple, fait d’une alternance de carrés foncés et clairs, ouvrage parfaitement en accord avec le milieu social, le lieu et l’époque (état de Georgia, dans les années 1930).

J’y ai réentendu cette merveilleuse chanson de Quincy Jones, Rod Temperton & Lionel Richie : Miss Celie’s Blues (cliquez sur le titre pour 2 minutes 50 de bonheur !) que j’adore…

Sister, you’ve been on my mind
Oh sister, we’re two of a kind
So sister, I’m keeping my eyes on you…

miss celie's blues

J’aime fredonner ce blues (toute seule, car je ne veux pas offenser d’autres oreilles) en pensant à ma petite soeur qui ne s’appelle pas Celie mais Cécile… Vous saurez un peu plus sur ma petite Cécile très prochainement… mais oui, on y parlera patchwork aussi !

colorpurple-field

22 commentaires sur « Sister in Purple and Blues »

  1. Bonjour Katell,
    Dans les « grandes maisons » les esclaves étaient très « spécialisés » ceux du menage ne faisaient pas l’argenterie, ceux de la cuisine ne servaient pas etc ..
    Il y avait les nounous, la femme de chambre et les lingères souvent excellentes dans la broderie et la confection des vetements des demoiselles de la maison, C’est pour cela que nombre de quilts « Baltimore » ont été faits par des lingères de ces plantations avec les restes des robes des rideaux ….elles avaient une place enviée dans la hiérarchie du personnel
    Dans l’Amérique profonde souvent pauvre et besogneuse on faisait des « utility quilts » à base de bandes moins lumineuses que celles des afro americaines car on ne mettait pas de vetements jaunes ou oranges pour travailler la terre !! mais la technique est la meme, délaissés depuis longtemps on n’en trouve que peu , parfois dans la niche du chien ou sur un tracteur !! le matelassage est quasi inexistant seulement noué
    J’ai adoré le film la couleur pourpre, les images sont belles parfois violentes aussi
    Bonne et belle journée

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    1. Je crois que j’aurais dû faire plusieurs articles, celui-ci étant trop condensé… et n’allant pas au fond des choses non plus ! En tout cas merci de compléter !
      Belle journée, le soleil est du côté de chez nous !

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  2. Passionnant. Que de recherches pour faire de tes articles. J’ai beaucoup aimé les beignets de tomates vertes, ces histoires de femmes dans un monde brutal d’hommes. Bon week end.

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    1. C’est souvent ce qu’on nous présente dans ces livres : des hommes brutes, bêtes et méchants et des femmes futées, gentilles et généreuses… Le trait est sûrement forcé, ce n’est pas aussi manichéen… mais je ne crois pas qu’il y ait eu des femmes dans les organisations de type Ku Klux Klan, alors…

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  3. Je suis dans les dernières pages de Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage de Maya Angelou, écrivain et actrice dans Le jour du patchwork. Livre que je quitterai à regrets… écrit par une femme de couleur née en 1928. Merci de me faire penser à Karen Grishka, il y a longtemps que je ne suis plus passée chez elle.

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  4. rentrée de vacances, je retrouve la route de mes blogs préférés. Merci pour tes articles si bien documentés et très interessants pour moi qui suis passionnée par ce pays et son histoire. ça me permet de prolonger un peu mes vacances.
    j’espère que cette année nous aurons l’occasion de partager une journée de l’amitié ou autre autour du patchwork
    Amicalement
    Murielle

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  5. Merci pour cet article tellement intéressent!!
    Suggestion de lecture : La Couleur des Sentiments par Kathryn Stockett, titre original « The Help », a été
    adapté en film, avec Emma Stone.
    Et voici un lien pour la musique des Gee’s Bend Quilters :

    J’adore Miss Celie’s Blues!!
    Merci!!

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  6. Aujourd’hui, je serai sobre en commentaires : MERCI……. L’esclavagisme est un thème qui me poursuit, pour de multiples raisons, depuis mes quinze ans. MERCI….. d’en parler si bien.

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  7. Quel bel hommage à ces femmes et ses hommes qui ont tant souffert …et qui souffrent encore !
    Merci pour les réf des livres. Je vais m’y intéresser surtout que j’ai lu il y a quelques mois « 12 years a slave » autobiographique…édifiant !

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  8. You have given us a very good and truthful summary of the tragedy of slavery. The African-American women who made their quilts are true heroes in my mind. They lived in horrible life circumstances and made beauty, humor and great art from them. We sometimes try to emulate their spirit in our quilts, but there is no way we can come close. Thank you! xo

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  9. What a wonderful post about such a painful subject. Anna Williams was in particular the most extraordinary quilter. Beauty and joy in the cloth born from deprivation. Simply amazing!

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  10. Article très intéressant. J’ai, comme toi, été bouleversé par Racines, que j’ai lu adolescente ; et j’avais aussi lu La case de l’oncle Tom. Je conseillerai aussi, comme toi, Les beignets de tomates vertes, un moment délicieux de lecture, et je l’ai vu en film aussi. Je ne connais pas les autres livres dont je vais garder précieusement les références ! A bientôt.

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  11. Très enrichissant comme tjrs. Et merci pour toutes ces lectures à venir qui compléteront celles déjà lues.
    A suivre.

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  12. quel superbe article ! du coup je vais me trouver ce livre pour mon petit séjour en août en médoc ! merci de nous conter l’histoire merveilleuse des quilts !
    Je me régale à chaque fois ! Quel travail de recherches ! sois en remerciée !
    et ouf j’ai fini mon déménagement et je peux remettre le nez dans mes cartons de tissu !!! Malgré un tri sévère et nécessaire j’ai pu conserver un peu de tissus (2 gros cartons !) dans lesquels je vais retrier les morceaux pour faire un patch à mes petits loups !
    grosses bisesà petits points !

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