Betty Ford-Smith à la recherche de ses racines

Une complicité s’est établie entre trois personnes qui échangèrent de nombreux mails ces dernières semaines, trois quilteuses qui ont tant à partager : LeeAnn de Seattle (Washington), Betty de Sebring (Floride) et moi-même de Toulouse (France). Le fil qui nous lie est le patchwork avec la passion des tissus, mais aussi un état d’esprit, le plaisir de l’inattendu, du non conventionnel, l’admiration devant nos ressemblances tout autant que nos différences… Nous avons oublié que nous étions devant nos ordis et on a papoté comme si nous étions assises autour de la même table !

Lucien Andrieu
Peinture de Lucien Andrieu (peintre de l’Ecole de Montauban), Etude de femmes autour d’une table

Ayant vécu en Afrique (mes plus belles années de fac d’anglais furent à l’Université de Cocody à Abidjan en Côte d’Ivoire), j’ai une sensibilité marquée pour ce que ce continent a pu offrir à notre monde occidental, de gré… ou de force, car nous savons tous plus ou moins comment les Noirs furent déracinés d’Afrique vers l’Amérique, comment nous avons pillé leurs ressources, tout en pensant parfois « bien faire » en leur imposant notre culture occidentale, notre éducation, nos religions… C’est un sujet toujours sensible, en particulier en France.
Alors imaginez ce que peuvent ressentir les Afro-Américains à la recherche de leurs racines.

Betty m’a raconté avec confiance son parcours, ses passions… que je suis heureuse de partager ici avec vous.

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Pour les personnes utilisant Google Translate : I am sorry that Google always says « his » instead of « her » in its automatic translation, please correct it yourself in your head!

Betty Ford-Smith a 63 ans et une vie bien remplie, ancrée dans la société américaine actuelle mais curieuse de ses lointaines origines depuis son enfance. Professeur d’économie familiale pendant 38 ans, notamment spécialisée dans la prise en charge des enfants nécessitant des soins spéciaux, couronnant sa carrière en devenant proviseur, elle a parallèlement nourri sa passion sur les arts d’origine africaine.

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A l’âge de 12 ans, Betty cherchait de l’inspiration dans un livre d’art africain ; elle fut encouragée par sa prof d’art à faire le portrait d’Idia, la Reine Mère du Bénin. Ce tableau sur carton est la première manifestation d’une longue passion.
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Plus tard, Betty voudra s’offrir cette reproduction en bronze. Cette opportunité se présentera l’année de la mort de sa mère, et pour elle c’est un signe précieux… Il n’y a oas de hasard quand on croit aux signes.

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Celle-ci est exposée au Bristish Museum et date du 16e siècle. C’est toujours Idia, reine et mère du Bénin, qui vécut de 1504 à 1550. La beauté des femmes du Bénin est célébrée dans toute l’Afrique de l’Ouest. Notre ravissante Miss france 2014 en est d’ailleurs originaire !

Elevée près de New-York, la petite Betty n’aimait rien tant que passer ses vacances scolaires auprès de sa grand-mère et son arrière-grand-mère en Caroline du Sud, terre où sévissait encore l’esclavage il y a 150 ans. Elle y puisa maintes histoires du temps passé et comprit grâce à elles l’âme africaine qui ne les avait pas quittées. Les femmes de sa famille connaissaient les secrets des plantes et des esprits, le tout s’accompagnant de mystère, de magie et de rituels, certaines avaient des dons… Une fascination pour Betty ! Pour plonger dans l’ambiance des Etats du Vieux Sud, nous avons des livres, des films

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C’est dans cet Etat de Caroline du Sud, dans l’entre-deux-guerres, que se passe l’intrigue de l’opéra de Gerchwin Porgy and Bess. L’affiche des premières représentations (à New-York) est bien représentative de l’art pictural de l’époque (1935). Même si cet opéra véhicule nombre de stéréotypes quasi inévitables à l’époque, c’est une oeuvre aux musiques et chansons inoubliables. Vous pouvez entendre ici une version de Summertime chantée par Ella Fitzgerald que j’ai eu l’immense chance de rencontrer en 1980, mais ceci est une autre histoire…

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Parallèlement à son travail, Betty devint donc spécialiste des arts africains et afro-américains. Elle vécut dans les années 70 dans les Caraïbes à la recherche des racines de son peuple. C’est à Haïti qu’elle trouva les pratiques les plus proches des origines africaines (le vaudou). Elle y découvrit également des arts populaires très vivaces comme les « drapos vodou » (écrit ainsi en anglais), ces tableaux textiles figuratifs ou géométriques, iconographie de l’esprit haïtien avec son héritage africain, son passé d’esclave, son ancrage catholique… Rappelons que le Vaudou est une religion de déracinés, un mélange des cultes animistes d’Afrique avec les rituels et les saints de la religion catholique imposée. Ces drapeaux, tels qu’ils sont appelés là-bas, sont destinés à accueillir les esprits du vaudou lors des cérémonies. Ce sont des oeuvres d’abord dessinées sur tissu, puis cousues de perles et de sequins… de l’art textile pur ! Ils deviennent pour le reste du monde des objets de décoration et de collection. Betty possède une bonne cinquantaine de drapos qu’elle a exposés dans diverses maisons de culture, des écoles, des musées… Elle fait autorité dans ce domaine et donne volontiers des conférences sur le symbolisme de ces oeuvres.

Collection Betty Ford-Smith Collection Betty Ford-Smith Collection Betty Ford-Smith Collection Betty Ford-Smith

Collection Betty Ford-Smith

Collection Betty Ford-Smith
Betty devant deux drapos vodou, lors d’une exposition en 2012

 Même les bouteilles sont recyclées en oeuvres d’art par les artisans haïtiens, comportant souvent des symboles vaudou :

Collection Betty Ford-Smith

Betty se sentit naturellement très éprouvée par le terrible séisme du 12 janvier 2010. Elle fit partie de ces personnes qui se démenèrent pour apporter du soutien au peuple en souffrance, en faisant notamment cette exposition d’art haïtien.

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Keeping Haïti in Our Hearts fut une des expositions de soutien pour le peuple haïtien. Betty et son mari posent devant des peintures haïtiennes, en compagnie d’une des organisatrices.

A l’extrême droite de la photo ci-dessus, vous pouvez deviner une sculpture en fer découpé, spécialité du village haïtien Croix-des-Bouquets. Ces artisans travaillent magnifiquement cette matière dans un style unique, toujours lié aux pratiques vaudou. J’ai chez moi, au-dessus de la cheminée, un Arbre de Vie haïtien :

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J’ai eu un coup de coeur pour ce travail de fer découpé, martelé, embossé… Mon mari me l’a offert l’été dernier car cet arbre « me parlait ». Nous l’avons découvert dans une jolie boutique de la ville close de Concarneau (Finistère) qui soutient ainsi les artisans de ce pays. Cliquez sur la photo pour l’agrandir et voir les détails !

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Pour aller à la source, Betty fit également plusieurs voyages en Afrique : en Gambie et au Sénégal en 1986, en accompagnant un groupe de collégiens new-yorkais, puis au Nigeria en 2009 pour aider une amie à monter une école.

Collection Betty Ford-Smith

Collection Betty Ford-Smith
Au Nigeria, les enfants apprennent tous l’anglais, langue officielle nationale qui côtoie des langues locales. Ainsi, la communication était facile ! Cinq ans après, ces enfants ont grandi mais se souviennent sûrement encore du passage de la dame américaine qui leur a fait la classe !

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Son intérêt pour l’artisanat afro-américain la mena aussi en 2008 en Alabama où fut découvert, dans un hameau nommé Gee’s Bend, un groupe de quilteuses utilisant toutes sortes de tissus de récupération de façon souvent très libre. Leur notoriété leur permet maintenant de vendre les quilts qui n’étaient que couvertures utilitaires il y a 10 ans encore.

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Il y a du choix dans les quilts à vendre à Gee’s Bend !
Alabama Road Trip to Gees Bend and Tuskegee University 207[2]Collection Betty Ford-Smith
Une des acquisitions de Betty : celui-ci est très traditionnel !

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Betty a acheté 2 quilts pour sa collection, celui-ci est signé Betty Seltzer.

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Sebring est une très jolie ville au centre historique, au bord d’un immense lac, au centre-sud de la péninsule de la Floride. Le climat est sub-tropical humide, on devine la luxuriance de la végétation !

sebring postcardIl y a peu, la retraite étant pesante pour une femme si active, Betty monta un magasin d’antiquités à Sebring et cette grande boutique porte le joli nom de Miss Ruby’s Den. On y trouve un sympathique bric-à-brac multi-culturel qui fait le bonheur des collectionneurs. Je trouve l’ambiance particulièrement féminine, avec des dentelles, des poupées anciennes, des éventails, des tableaux…

wpid-marineandrew-tom-red-sofa-miss-rubys-040-jpgCollection Betty Ford-Smith
Si d’aventure vous allez en Floride, voici l’adresse de ce magasin : 619 North Pine Street, Sebring, FL 33870

wpid-miss-rubys-den-025-jpgCollection Betty Ford-Smith

Les objets ont une âme, c’est la croyance intime de Betty… et finalement beaucoup de gens le sentent aussi ! Un objet fait à la main ou celui qui a la patine du temps dont vous pouvez tomber amoureux, sont bien autre chose qu’une simple matière inerte !
Et vous, les objets vous parlent-ils parfois ?

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Dans un coin de sa boutique se trouve un lit avec un quilt extraordinaire… Vous connaîtrez son histoire très prochainement !

 Dear Betty, just hoping you will not be disappointed by this summary of all the documents you gave me about you and all your interests! You know that we are now connected… Soon comes a post about your dear friend Miss Sue!

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33 commentaires sur « Betty Ford-Smith à la recherche de ses racines »

  1. Merci, Katell, de nous faire partager les goûts et la sensibilité de ton amie. C’est beau votre histoire d’amitié…. J’adore lire tes posts le matin au p’tit dej’ quand la maison est encore calme.je suis sûre de me régaler et je les attends toujours avec impatience ! Bonne journée !

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  2. Et oui les objets ont une âme!!!
    Merci pour ce reportage . que de découvertes… et cet arbre de vie j’adore !! (déniché à concarneau en plus!)
    bonne journée et bon week end

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  3. Merci Katell pour ce beau voyage, et merci de partager avec nous le plaisir de cette belle et touchante rencontre ! Je relis  » Mali, ô Mali  » d’Eric Orsenna, je ne m’en lasse pas . Belle journée à toi .

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  4. Cet article est un merveilleux cadeau de Noël, merci Katell pour cette touchante histoire de la vie de Betty de sa générosité et ses multiples talents.Et elle est très belle !
    Les beaux patchwork présentés me plaisent beaucoup par leur créativité et leur intemporalité.
    je suis convaincue, aussi, que les objets ont une âme et l’on peut me dire que c’est  » ringard »…je m’en moque éperdument !
    Quel dommage de na pas avoir appris l’anglais ! l’allemand et l’espagnol ne me font pas le même usage !!!!

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    1. Il me semble qu’en Espagne, le monde du patchwork est à peu près dans la même lignée qu’en France. En Allemagne, il y a beaucoup plus de modernisme ! Mais c’est sûr que l’anglais me permet d’avoir une foule d’infos… et de merveilleux contacts !

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  5. Merci de votre gentillesse à nous faire partager ce merveilleux parcours. C’est formidable une vie comme celle de Betty.
    Amitiés

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  6. Quelle grande dame…et quelle richesse intime de pouvoir la connaître ! Comme je te comprends….
    Merci (et bravo) pour ce bel article qui nous rapproche un peu plus de la culture afro-américaine si riche d’histoire.
    Le quilt en spirale sur le lit est vraiment étonnant !!
    Bises et bonne journée !

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  7. Idia a une ligne pure qui ne peut que toucher. Les drapos ne peuvent nous laisser indifférentes : ils nous rappellent tant nous quilts à « nous ». Je mettrais volontiers cet arbre de vie au-dessus de la cheminée que je n’ai pas .
    L’instit en moi (ce qui se sent à cent lieues à la ronde !) ne peut que se réjouir de toutes les actions visant à la construction d’école.
    j’ai tout découvert dans cet article : mon inculture est grande mais elle me permet d’aimer découvrir et, toi, tu as un don pour ça !!!!

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  8. Ton article comme toujours est passionnant je ne me lasse jamais de te lire!
    J’admire le parcours de cette femme et j’attends la suite………

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  9. voilà un article très passionnant. Betty est une femme formidable et très belle!!! Merci de partager tes connaissances du bout du monde, j’ai l’impression de voyager par la culture. Bonne journée

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  10. Katell, Thank you for this soulful post. The more I think about art and roots of my own journey, clear I get about my future as an artist. Betty -Smith’s life proves that. Often times the first phase of any immigrant goes into trying to adjust, fit in and get by. Then comes the time when you feel somewhat comfortable but constantly torn between the two cultures. I am not sure if it ever becomes about one or the other culture. Eventually one remains what he or she is supposed to be. All of the experiences become a melting pot and forms that ultimate personality.
    It was lovely to read Betty’s story. Her smile says it all! Although, I have never been to Africa, I am somehow drawn to the culture long before I ever came to U.S. I think the two countries are bound somehow, having gone through similar history. Looking forward to more!

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    1. You know what it is to be between two cultures, two countries, so you also find the right words to explain how it is. I lived abroad for some years in different countries, it opens some doors in your mind forever!
      You’ll also love Miss Sue in next post!

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  11. Bonjour Katell, Moi, c’est pendant ma pause déjeuner que je lis tes post. C’est mon moment de calme et de plaisir au milieu de la journée.
    Lorsque tu parles du hameau Gee’s bend, est-ce le même dont nous avons vu une rétrospective à Ste Marie il y a quelques années ? Je m’en souviens bien car j’avais trouvé leur travail remarquable et si émouvant !
    Bonne journée.

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    1. A chacune de trouver son petit moment de tranquillité 🙂
      Et oui, c’est bien ce même groupe qui a fait des quilts neufs pour une exposition itinérante, afin de montrer leur façon de faire, la liberté dans leur piéçage, la variété de leurs matières premières…

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  12. Je suis très en retard pour découvrir ton post ! Mille mercis pour ce partage.
    J’aime l’Afrique ! Je n’y suis jamais allée. Betty est belle, sa vie pleine de générosité nous fait rêver.
    Je trouve ton arbre de vie très beau, original il me plait beaucoup.
    Quelle chance de papoter avec des amies grâce à nos moyens de communications. C’est pour moi toujours magique !
    Nous vivons des temps forts que nous devons grandement apprécier.
    Bien amicalement. Nicole.

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  13. This is a very interesting post about a very interesting woman! The voo-doo artifacts are stunning. Your Tree of Life metal work is beautiful. I can see why it speaks to you. The Gee’s Bend shop is fascinating. Oh, to peruse those shelves sometime! I look forward to learning more about Betty and Miss Sue

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  14. Dommage que je ne l’aie pas vu, ce petit arbre en fer forgé…..Je l’aurais acheté moi aussi! Il faudra que je retourne voir cette association ….Bonne journée

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    1. C’est un magasin où on est très bien reçu, dommage, j’ai oublié le nom de l’enseigne… Les motifs en fer découpé étaient surtout sur le thème de la mer, des coquillages… Tous très beaux, mais chez moi c’est plutôt la campagne et c’est l’arbre que j’ai choisi ! Il y en a sûrement d’autres…

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  15. Il y a des gens merveilleux sur terre… il faut seulement savoir les trouver!
    Si les objets ont une âme cela explique sans doute pourquoi je n’arrive pas à vider mes placards en vue d’un déménagement imminent.

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  16. Oui, tous mes objets me parlent. Ils ont leurs âmes. Ce billet est incroyable ! tu décris une femme hors du commun. C’est éclatant de vie !
    Bel article !
    Les Conteuses

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  17. Moi aussi, j’ ai un coup de cœur pour l’ Arbre de Vie. Vous devez bien trouver un moyen pour nous le faire en patchwork!…..Rien ne vous arrête. Bravo à cette dame haïtienne.

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  18. Splendide femme, pleine de vie et de projets. Bravo à elle, de mon petit salon où je quilte tout seule, j’admire ces vies de partage pleines d’amour.
    Je me joins à Syl pour dire bravo pour ce très bel article
    Christine

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  19. Comme Marmotte , impossible de vider mes placards pour passer de 110 m2 à 70…. mais en cherchant bien, il y plein d’objets qui n’ont plus d’âme ou qui seraient si bien ailleurs pour une nouvelle vie, allez quand vous aurez commencé à les recenser vous serez sur la bonne voie, courage…

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