Vous faites peut-être partie des quilteuses folles de récupération, préservant même les lisières des tissus pour les utiliser ensemble à part entière, comme on le ferait de n’importe quelle bande de récupération.
Mais savez-vous qu’indépendamment du patchwork, les lisières étaient réutilisées dans l’économie ménagère des siècles précédents ?
Auparavant, il n’y avait pas de normes concernant la largeur des tissus, la limite physique était imposée par le métier à tisser. On tissait la largeur juste nécessaire pour faire le linge de maison, du drap au torchon : deux ourlets à faire, c’est mieux que quatre ! Ces bordures droites, ces lisières étaient si possible utilisées aussi en confection, le long des boutonnières par exemple. Et puis on peut même évoquer les rubans, qui sont finalement des tissus d’une largeur variant de quelques centimètres à quelques millimètres, avec leurs deux lisières bien mises en évidence.
A chaque fin de vie de drap, on récupérait les bords (moins usés que le centre) et on conservait toutes les lisières qui étaient restées bien solides. L’usage en était tellement banal qu’il est difficile d’en trouver des traces écrites. Mais les langes de bébé, ces carcans invraisemblables, étaient la plupart du temps des lisières de draps. Seuls les bébés nés dans des familles aisées avaient droit à de la dentelle sur les langes, mais ils étaient tout autant entravés… et rarement changés.
Les lisières étroites avaient aussi le rôle de ficelle. Toujours pour les bébés, elles maintenaient le bébé dans le berceau :
On garde en mémoire, dans la littérature ou la peinture, trace de l’utilisation des lisières comme brides pour tenir les enfants en laisse lors de leurs premiers pas.
Pour prévenir les dangers d’une chute, on confectionnait également une sorte de casque en chutes de tissus appelé bourrelet.
Emile n’aura ni bourrelets, ni paniers roulants, ni chariots, ni lisières ; ou du moins, dès qu’il commencera de savoir mettre un pied devant l’autre, on ne le soutiendra que sur les lieux pavés, et l’on ne fera qu’y passer en hâte*. Au lieu de le laisser croupir dans sa chambre, qu’on le mène journellement au milieu d’un pré. Là, qu’il coure, qu’il s’ébatte, qu’il tombe cent fois le jour, tant mieux : il en apprendra plutôt (sic) à se relever.
* Il n’y a rien de plus ridicule et de plus mal assuré que la démarche des gens qu’on a trop menés par la lisière étant petits : c’est encore ici une de ces observations triviales à force d’être justes, et qui sont juste en plus d’un sens.
L’Emile, livre II.
La lisière est, de manière figurative, ce qui sert à guider :
Nous sommes de vieux enfants ; nos erreurs sont nos lisières, et les vanités légères nous bercent en cheveux blancs.
Voltaire, Epître 88.
Une expression, « tenir quelqu’un en lisières », signifiait « tenir quelqu’un sous sa coupe ».
Nous avons oublié l’existence des chaussons en lisière, si communs des siècles durant et pourtant encore portés au XXe siècle. Il s’en faisait dans de nombreux ateliers. Il nous en reste juste les espadrilles du pays basque !
Les romans regorgent de citations comme :
Je n’avais que mes chaussons de lisière à mes pauvres pieds.
Eugène Sue, Mystères de Paris II (1842)I
Il distingua soudain un bruit assez difficile à exprimer et qui devait être produit par des hommes en chaussons de lisière montant l’escalier.
Honoré de Balzac, le Père Goriot (1835)
Ces chaussons étaient traditionnellement tressés dans des ateliers de prison et « tresser des chaussons en lisière » était synonyme, dans l’argot des voleurs, d’être en prison !
Le pis qui pouvait arriver, c’était que Raboliot se fît cueillir par les gendarmes. Alors, il tirerait un mois à Sancerre, chauffé, nourri pour rien, fabriquerait des chaussons de lisière, et reviendrait la mine florissante, avec un pécule dans sa poche.
Genevoix, Raboliot,1925
… Mais c’était aussi une occupation pour les aliénés ou les aveugles. Louis Braille fut nommé « contremaître de l’atelier de chaussons de lisière et de tresse » à l’Institution Royale des Jeunes Aveugles de Paris, alors qu’il mettait au point son alphabet, à l’âge de 14 ans… La valeur n’attend pas le nombre des années !
Alors les quilteuses d’aujourd’hui sont les héritières de cette longue tradition ! Si les lisières se réutilisent depuis la nuit des temps, certaines en font vraiment des quilts formidables :
Pour en savoir plus, lisez le dossier « Modern Quilt » des Nouvelles n°128, magazine de France Patchwork, qui va arriver dans les boîtes aux lettres des adhérents dans quelques jours ! J’ai essayé de vous inciter à vous amuser avec ces petites bandes de rien du tout…
Quant à l’Arbre de Vie dans la rubrique des Modèles, vous verrez le quilt qui me l’a inspiré, de Karen Griska, par ici !
Merci pour cet intéressant reportage!!!
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merci pour ce post très inrichissant et vivement la semaine prochaine pour les Nouvelles du Patchwork 128
bonne semaine
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Bravo pour cette mine d’informations très intéressantes et merci de partager!
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Encore un article très intéressant et bien documenté ! merci, merci ! je garde aussi les lisières…. j’en ai une boite pleine ! mais j’ai réalisé un quilt avec celles des tissus du « farmer’s wife 1930″….. je me suis bien amusée ! anecdote familiale : mon grand-père, qui venait de son Italie profonde, voulait que maman me lange les jambes bien serrées pour que j’ai les jambes droites ! (il y a 70 ans de cela)…..
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C’est une coutume ancestrale un peu partout dans le monde.
Certaines jeunes mamans d’aujourd’hui apprennent aussi à emmailloter leur bébé pour leur procurer un sentiment de sécurité, mais les tissus sont souples. Cependant je ne suis pas sûre que même comme ça ce soit une avancée, je n’ai pas trop étudié la question !
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… Très grand Merci Katell pour ce nouveau reportage ..tu nous proposes chaque fois un » dossier » complet, images et citations comprises ….. un petit bonheur matinal .. textile et cela fait du bien pour la journée !!! ………..
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Ce fut un plaisir pour moi de l’écrire et rechercher ces quelques illustrations et citations !
Bonne journée Monique !
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Katell, merci pour ce reportage
Je me suis mise à me demander si j’étais née au XXème ou XIX ème siècle ! maman « récupérait » les parties de draps non usées et en petite fille rondelette j’ai porté après les langes cocon tenus par une bande, des petits corsets avec lisières piquées et boutons où on accrochait la culotte jusqu’à l’age de 2 ans le tout censé éviter d’avoir du ventre !! conseils des sages femmes de l’époque
Maman utilisait aussi les lisières pour attacher les balaies (je fais la même chose !) les tomates et même les tressait pour en faire des petits tapis ou sous vases en jouant avec les couleurs, j’ai été étonnée lorsque j’ai vu cette technique aux US des tapis pour mug quasi imperméables
Pour les draps on peut reconnaitre les draps des gens modestes avec ceux des « bourgeois » lorsque vous trouvez un drap ancien avec une couture au milieu ce n’est pas forcément un drap ravaudé mais fait avec un métier plus étroit cela coutait moins cher qu’une grande pièce pour faire le trousseau
Bonne journée et encore merci de toutes ces recherches
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Les traditions se transmettent bien dans certaines familles et au XXe siècle l’usage des lisières a perduré, pas que chez toi certainement… Moi aussi j’en utilise une pour accrocher ma balayette !
Par ailleurs le mari de Josie Patch (Fayssac, 81) attache toujours ses pieds de tomates avec des lisières lui aussi ! Elles sont joyeusement colorées puisqu’elles sont de tissus de patchwork…
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Passionnant ce témoignage !
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Encore un article très intéressant et très bien documenté. Merci beaucoup de nous le faire partager. J’ai pris depuis peu connaissance de l’utilisation des lisières et je garde, je garde. …pensant moi aussi faire un ouvrage mais beaucoup plus simple que ton arbre magnifique. …
A bientôt le plaisir de retrouver les abeilles, à Roques.
Nicole /32
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Tu verras dans les Nouvelles qu’il n’est pas difficile à faire ! Le dossier te montrera d’autres exemples et aides pour te lancer. Et puis le livre de Riel Nason nous donnera sûrement une belle somme d’idées nouvelles !
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Encore un article passionnant à lire, complet, documenté, bien écrit et qui nous ouvre d’autres horizons surtout pour moi qui ne pratique pas cet art mais qui adore voir les expos qui lui sont consacrés et tous les ouvrages de ce style qui sortent des mains des quilteuses.
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Merci Gene11 !
Il y avait tant de monde que je n’ai pas pris le temps de demander à te voir vendredi dernier à Pexiora. J’ai comme d’habitude adoré ! On ne peut pas pousser les murs, je sais, mais mon seul regret est que Neelam n’était pas là, j’avais des intentions d’achat chez eux, leurs tissus sont tellement uniques !
J’ai beaucoup apprécié la venue d’Hubert Valeri, c’est un grand artiste…
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Alors là , Katell, tu atteins des sommets ! Quel passionnant article ! Je savais qu’on emmaillotait les bébés et qu’on les accrochait à un clou mais j’ignorais tout de l’usage des lisières. Bravo et merci.
Juste une petite question (avant de relire ton article et de m’en imprégner) : où et comment as-tu trouvé tous ces documents ?????? Ta démarche m’intéresse !
Je vais m’empresser de conseiller cette lecture au groupe Chat Log Défi que j’anime sur FB.
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Ce n’est pas la première fois que j’écris sur les lisières, j’avais déjà fait ces recherches il y a quelque temps pour un article dans « Patch d’Oc », notre bulletin régional de France Patchwork Midi-Pyrénées (oui, nous nous singularisons dans la région !). Ensuite, j’affine avec de longues recherches sur google et surtout je vérifie, recoupe les infos, pour ne pas écrire trop de bêtises… C’est du travail, mais je sais que mes lectrices apprécient, alors…
Merci pour le partage avec ton groupe !
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Katell historienne… J’aime beaucoup tes billets. Voyages à tous les coups ! même dans le temps.
Bise
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Bonjour Katell,
À quand la publication de la «Katellia encyclopedia» ?
qui réunira vos si passionnants billets !
Tata Georgette
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Eh bien voilà, j’ai déjà le titre 😉
Merci Martine ! J’apprends aussi beaucoup en vous lisant !
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Oui, oui, je l’attends aussi impatiemment !
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Passionnant et enrichissant, merci. J’attache aussi les plantes montantes avec des lisières qui blessent moins les plantes que le raphia. Je garde donc les lisières de tous mes tissus, ainsi que les marques tissées des vêtements…
Merci, bonne semaine.
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Encore un article riche d’informations, encore un jour où j’ai appris quelque chose.
Je me cultive en te lisant, merci Katell !!
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Heureusement qu’on a évolué point de vue hygiène … vivement le prochain numéro alors, car moi, je les garde précieusement mes lisières !!
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Tu auras surtout beaucoup de nouveaux modèles sur le livre de Riel Nason qui sortira fin mars-début avril !
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Merci pour ton article qui m’a bien intéressée. Pauvres bébés d’autrefois tout engoncés dans leur carcan de lisières!
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Merci Katell de nous avoir une nouvelle fois encore permis d’élargir nos connaissances. J’ai le souvenir de très beaux ouvrages réalisés avec des lisières et exposés au salon de Toulouse, depuis je garde les miennes pour le jour où.. Je vais attendre avec impatience l’arrivée du prochain numéro des nouvelles du patch. Bises
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Bonjour,
C’est rigolo, je suis allée à la réunion du club de Wellington et un livre (parmi leur vaste bibliothèque) m’a interpelé. Il s’agissait d’un livre de patron de quilt qui utilise uniquement la lisière! Il s’intitule « Quilts from the Selvage Edge » de Karen Griska.
Sinon, l’emmaillotement est remis au gout du jour (ou peu être n’a t il jamais disparu ici). Cela s’appelle « swaddling ». On nous apprend la technique pendant les cours de préparation à l’accouchement. Cela me paraissait bizarre d’emmitoufler un bébé de cette manière. Mais une infirmière l’a fait pour ma fille à l’hôpital. Ma fille s’est tout de suite calmée et s’est endormie en peu de temps. Magique!
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Le livre de Karen Griska est très recherché maintenant car il est épuisé !
Eh bien voilà un témoignage sur les bienfaits de l’emmaillotage, c’est aussi ce que j’ai lu, le sentiment de sécurité rendrait le bébé bien plus sage… Nous avons toujours à apprendre et il est évident que l’emmaillotage actuel n’est pas le même que celui d’antan !
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Bonjour Katell (j’ai vu que pas mal de personne t’appelais ainsi).
J’ai eu l’autorisation de l’invité d’honneur du rendez vous de la quilt guild Wellington pour partager son travail sur ce blog. Son histoire et son travail m’ont particulièrement touchés car elle partage le fait d’être « déracinée » et la difficulté de se faire un nouveau chez soi dans un nouveau pays. Malgré la différence d’age qui nous sépare, je comprends tout à fait ce sentiment étant moi même « déracinée ». Je vais désormais écrire un petit contre-rendu sur la réunion si cela t’intéresse toujours. Ou pourrais je envoyer ce contre-rendu?
Merci
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Je te réponds en privé !
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Merci pour cet article si bien documenté. Je ne connaissais pas tous ces usages anciens des lisières.
Comme je me suis inscrite à votre blog, je vais avoir un grand plaisir à lire tous vos articles. Merci beaucoup
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Merci beaucoup !
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bonjour , je suis Martine, déléguée de France Patchwork 22, je suis émerveillée par tes reportages, celui ci est très intéressant, j’ ai été langée moi aussi!!!!!!!!!!pas de souvenirs, j’ ai langé ma fille mais avec des langes souples et doux . j’ ai beaucoup aimé ton reportage sur les tesselations et je ne garde jamais les lisières de mes tissus je vais le faire désormais. bonne journée
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J’espère que tu finiras d’être convaincue en lisant le petit dossier dans Les Nouvelles ! A la semaine prochaine chère collègue 😀 !
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I had no idea that fabric edges were used for so many things in the past. Those poor babies! We wonder how they ever learned to walk. Thank you for this history lesson.
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Très intéressant et très documenté cet article, merci beaucoup !
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Très intéressant. Mais je n’arrive pas à trouver des vieux langes de 1946 en photos.
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