Le courage des femmes dans la Grande Dépression

La Mère Migrante est LE visage de la Grande Dépression, photo mythique de Dorothea Lange prise en 1936 :

Femme longtemps anonyme dont on ne connaissait que l’âge -32 ans seulement- et qu’on supposait fermière blanche chassée de ses terres devenues incultes en raison de la crise et du dust bowl, sur la route avec ses enfants mourant de faim… Un symbole poignant.

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Dans les grandes plaines, là où naguère des herbes aux puissantes racines fixaient le sol, les nouveaux Américains labourèrent des milliers d’hectares… Un mauvais alignement des étoiles et voilà la bonne terre soumise à des sécheresses, des vents… La bonne terre s’envole en énormes nuages, le dust bowl, qui tue et met sur la route des milliers de familles qui n’ont plus rien… en pleine récession économique.
Cette peinture de Rebecca Barker (Quiltscapes) rappelle que les Grandes Plaines étaient naturellement plantées d’herbes que broutaient les bisons… Sur ce territoire poussaient quelque 3 000 espèces de plantes qui étaient le garde-manger et le réservoir médicinal des Indiens.

On a longtemps parlé de la puissance de la photo de Migrant Mother, le regard courageux malgré le poids de la misère.  Effectivement, en plein dans la période décrite dans Les Raisins de la Colère de Steinbeck, cette femme souffrait comme des millions de personnes de pauvreté mais elle n’était pas celle qu’on croyait…  Des suppositions erronées font de ce portrait un malentendu que la protagoniste Florence Owens racontera bien plus tard. Pour des détails, voir par exemple cet article en français.

En 1979, Florence Owens entourée de ses filles qu’on voit sur la photo mythique. Elle aura en tout 10 enfants.

Dans tous les Etats-Unis, les 10 ans de Grande Dépression sont restés dans les mémoires comme une vilaine cicatrice mais aussi, rétrospectivement, comme la preuve du pouvoir de résilience et de rebond des Américains. Florence Owens en est malgré tout un bon exemple, avec ses sept enfants à 32 ans, déjà veuve, remariée, soucieuse de l’avenir de ses enfants et surtout de leur présent, c’était une femme courageuse.

Pour survivre on s’inquiète toujours de la nourriture, mais dormir au chaud est une autre nécessité de la vie. Que vous inspire ce quilt ?

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Un quilt unique et bizarre…

On n’en connaît pas l’origine mais, avec toutes les précautions d’usage, on peut essayer d’en deviner une bonne partie. Mon amie Betty, devenue collectionneuse de quilts anciens utilisant la technique de la pomme de pin, l’a acheté à une spécialiste chevronnée du Nouveau-Mexique qui en fit une appréciation et estimation. 

Il est certain que ce quilt est du Vieux-Sud américain, d’origine afro-américaine. On peut voir qu’il est fait de morceaux très différents : des portions en pine-cone : trois longues bandes verticales ininterrompues et plusieurs plus petits morceaux constituant une quatrième bande.  Parfois en lignes droites, parfois en courbes, les carrés pliés n’ont pas la même taille. En encadrement sur trois côtés, de larges pièces de tissus ainsi que des string blocks (blocs faits de bandes de tissus cousus) agrandissent ce quilt un peu bancal (12 cm d’écart entre les côtés). Ce qui est en pine-cone n’a pas de molleton, juste un tissu de fond, alors que l’encadrement est molletonné. Le quilt est matelassé de manière lâche, à grands points.

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A gauche on voit la partie en bandes, un des blocs les plus populaires de la Grande Dépression : couture rapide, utilisation de toutes les chutes. 
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Les trois bandes de pine-cone ont une certaine unité, car ils étaient faits des tissus recyclés disponibles venant de vêtements et linge de maison : on y voit de la diversité mais des dominantes fortes de ce qu’on avait sous la main dans chaque foyer.
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Cette partie avec beaucoup de rouges est très jolie !

Le dos est constitué principalement de feed sacks, ces sacs ayant contenu des denrées alimentaires. Des coutures d’assemblage ont lâché.

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Cette partie du dos montre un sac de sel  utilisé comme doublure.
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Ce sac contenait du sucre de canne. Quelques taches sont visibles sur le dos.
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Couture entre deux bandes de pine cone
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Dos du quilt

Comment rester indifférent devant un tel quilt ? Certes, il ne gagnera aucun concours d’élégance. Mais son examen suggère fortement qu’il est fait de restes d’autres quilts, peut-être de pine cone quilts trop tachés ou usagés pour les garder tels quels, faits des années plus tôt par la mère ou la grand-mère de la quilteuse… Les parties en pine-cone ne sont pas molletonnées, simplement parce qu’elles sont déjà très chaudes, avec les multi-couches de tissus qui emprisonnent l’air ! Ce quilt est pour moi une poignante évocation du courage des femmes de l’époque qui savaient à quel point il fallait se battre pour survivre. 

Enrichie par mes lectures et les témoignages de Betty, je ne peux m’empêcher d’imaginer une mère de nombreux enfants devant, en pleine Grande Dépression, fournir le plus vite possible des couvertures pour sa famille avant l’hiver…

Bien sûr je peux me tromper, comme la photographe, mais ce quilt semble me parler…

21 commentaires sur « Le courage des femmes dans la Grande Dépression »

    1. Des millions de personnes ont subitement perdu leur vie simple ou confortable, comme en temps de guerre, en raison d’une crise économique sans précédent associée à cette catastrophe écologique.

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  1. Je me suis régalée une fois de plus à la lecture de cet article si riche en explications pour cet humble quilt. Et j’ai découvert en même temps l’histoire de cette femme qui ironie de la chose était indienne et non blanche comme l’avait supposé tout le monde.Une indienne symbolisant l’Amérique, c’est fort quand même !

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  2. C’ est super Le Patchwork qui nous emmène, grâce à toi, sur les chemins de l’ histoire et de l’ ethnographie… J’ aime aussi beaucoup cette photo, j’ avais découvert Jessica Lange lorsque Capucine avait du faire un dossier d’ art pour le Brevet. Au départ, nous étions parties de la photo des ouvriers pique niquant sur une poutre d’ un gratte ciel…. J’ avais bien sur lu  » les raisins de la colère » ( toute une éducation à refaire)et le mélange de la découverte de ces photos et de ce roman reste très prégnant. Meme si cette photo est trompeuse, il n’ en demeure pas moins que Jessica Lange est une superbe photographe et que le quilt que tu nous présentes est aussi émouvant que ses clichés.

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    1. Exactement, c’est une très talentueuse photographe, la preuve ! Je n’ai pas voulu faire trop long, mais elle n’a pas gagné d’argent avec cette photo, elle était sous contrat avec un organisme gouvernemental qui voulait avoir des photos pour la postérité (c’est gagné) et aussi pour rendre le New Deal de Roosevelt populaire, montrant à quel point il était nécessaire de sortir le pays de la crise. Dorothea Lange y a quand même gagné une renommée internationale !

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  3. Un quilt très émouvant et qui évoque bien cette époque très difficile et les femmes se sont toujours battues avec courage dans les moments difficiles. Une très belles photo, et en savoir plus sur cette personne m’a beaucoup intéressée.

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    1. C’est en enquêtant sur la période de la Grande Dépression que j’ai trouvé les dessous de cette photo connue, et je me suis dit que si je trouvais cela intéressant, mes amies quilteuses aussi sans doute !
      Merci Marie Christine, bonne journée !

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  4. Je suis totalement fan de ce quilt. D’abord, il est émouvant: il nous emmène dans un vie, dans un contexte et nous laisse imaginer un quotidien. Ensuite, il est beau, il a de l’équilibre et les tissus assemblés, récupérés forment un ensemble vibrant qui nous raconte tellement de choses. C’est maternel (on sent qu’il y a des enfants autour de ce quilt…) et chaleureux. Il est plein d’humanité : imparfait car brut et manuel, digital même, sans mécanique linéaire, sans machine dernier cri. Il est gorgé de vie, d’histoires, de joie et de souffrance. Et le revers Cane sugars! signe tout… et nous plonge dans une réalité sociale et humaine. C’est tout à fait le genre de quilt qui me retourne! Merci.

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  5. Une nouvelle fois, nous voici parties sur la trace de ces femmes qui ont fait la « petite » histoire…. Le patchwork nous ouvre un monde d’une telle richesse.
    En général, je n’aime pas l’esthétique des quilts anciens mais je suis toujours touchée par le passé de celles qui les ont réalisées. Celui que tu nous présentes là est d’une telle force évocatrice.
    Allez, je vais parfaire mon éducation sur l’histoire de la Grande Dépression.

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    1. C’était une époque où l’on faisait beaucoup de patchwork par nécessité absolue, après une décennie où il était complètement à la mode dans les années 20 grâce aux tissus « modernes » de l’époque, aux modèles proposés dans les magazines… Après ces temps durs, on a voulu oublier les quilts dans les années 50-60, mais heureusement pour nous ils sont revenus, héritage incontournable des Etats-Unis.

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  6. Merci pour cet article très intéressant et fouillé comme à chaque fois…ce sont deux histoires très émouvantes en effet…et très loin de notre société de consommation…Œuvre de survie plutôt pour ce quilt, image du courage de mères dans la difficulté…C’est l’histoire cachée d’une vie, et c’est très émouvant !

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  7. tres
    emouvant, ce patch, il nous fait penser à la condition de vies des femmes,faite de misere , et de vie difficile et miserable, pas si loin de notre generation, quel bon en avant
    merci pour vos « documentaires » je suis fan

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  8. Merci pour ce bel article et je suis touchée par ce pat ch qui raconte tant de souffrances.plus beau que tous ces patchs quoi tes à la machine!celui là à une âme.amicalement Huguette

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