Quelques Pénélope ont un destin hors du commun, mais nulle autre que la femme d’Ulysse ne porte une histoire qui vogue dans tant de mémoires. Tandis que son mari est parti en voyage -20 ans tout de même, les détails dans l’Illiade et l’Odyssée !- la belle Pénélope doit repousser de nombreux prétendants au trône… et dans son lit. La fidèle épouse utilise donc un stratagème pour les faire patienter : elle annonce qu’elle se décidera lorsque le tissage d’une toile (le linceul de son beau-père) sera fini. L’Histoire a retenu une tapisserie, avancée le jour et défaite la nuit afin de ne jamais la terminer.
Pénélope et les prétendants par John William Waterhouse (1912)
Heureusement, une autre Pénélope avance bien ses ouvrages et les termine ! Elle a même innové dans le domaine des ouvrages piqués, bourrés, dont les techniques se confondent pour les non-initiés : boutis, trapunto, piqué de Marseille…
La première innovation de Pénélope Roger est d’avoir osé changer de matière première pour faire un boutis : au lieu de la fine baptiste qui semble bien fragile, elle va choisir pour ses ouvrages une satinette de coton très fine et serrée pour le dessus, alors que le tissu arrière est un sergé de laine lâche, difficile à trouver de nos jours, dont les qualités sont pourtant essentielles pour réussir l’ouvrage.
Tout d’abord, Pénélope dessine ses motifs, souvent inspirés de la nature ou des objets qui l’entourent ; une fois le tracé dessiné sur le tissu de dessus, les deux tissus bâtis ensemble (sans molleton intermédiaire, c’est un boutis !) Pénélope, inlassablement, suivra les lignes au point de piqûre, ce point arrière, lent à coudre, ayant l’aspect du point machine dessus et formant un point de tige dessous. Regardez ses ouvrages de très près, vous serez étonnées par la régularité des points, c’est d’une perfection époustouflante !… Pour plus de solidité, Pénélope a élu un fil de coton bien épais (le NV 40 de DMC). Toujours le souci d’un travail parfait qui tiendra dans le temps…Vient ensuite le fastidieux remplissage de chaque espace, en écartant minutieusement les fils du sergé de laine à l’arrière pour y glisser de la bourre ou une mèche de coton. Et là, le miracle opère et le tissu prend vie. Devant un boutis, Frédéric Mistral écrivit :
« Cet ouvrage divin qui ressemble à un pré dont le givre broda de blanc les feuilles et les pousses ».
Beauté évidente de la blancheur immaculée… Mais Pénélope aime les couleurs depuis toujours. Elle trouve les boutis bien… blancs. Son autre innovation, qui saute aux yeux et rend son oeuvre unique, est de donner des couleurs à son ouvrage avec des appliqués très finement cousus :
Parfois plat, d’autres fois bourré, l’appliqué ne fut jamais associé au boutis de cette manière ! C’est cet ensemble de nouveautés qu’elle a protégées sous le nom de « traboutis », contraction de trapunto et boutis.
Quel relief et quelle gaieté ! Je n’ai pas encore rencontré Colette Roger (c’est son vrai nom) mais je l’imagine si gentille et gaie, forcément !… Au cours de nos échanges de mails, elle a eu la gentillesse de me transmettre les photos qui suivent, dont celle-ci de chez elle, avec l’un de ses plus grands ouvrages qui nécessitent environ 2000 heures (!!!) de travail :
Ce chef d’oeuvre -n’ayons pas peur des mots- a notamment été exposé à Brouage en 2009, puis à Sainte-Marie-aux-Mines la même année. J’étais tellement abasourdie par ce travail que j’en avais oublié d’en faire des photos !
Autre style, ce bouquet de fleurs dont chaque pétale est rembourré individuellement, admirez les détails !
Voici le tout dernier, « Méli-Mélo », exposé ce printemps à Brouage, éblouissant ! Le travail central est impressionnant et l’effet de matelassage avec des boutons comme un canapé Chesterfield est une trouvaille. Il ne s’agit pas de boutons mais bien de ronds appliqués et bourrés. La jolie bordure ajoute de la couleur et de la gaieté à l’ensemble.
Pénélope Roger est très heureuse de transmettre son savoir en se déplaçant de club en club, car jusqu’à présent aucun livre n’existe pour expliquer cette technique ; celle-ci est abordée dans plusieurs articles des Nouvelles de France-Patchwork* mais pour un travail aussi perfectionniste, rien ne vaut la démonstration de visu et la transmission des « petits trucs »… Toutes les heureuses quilteuses ayant appris avec elle sont ravies de sa gentillesse, sa patience… et encore plus respectueuses de son travail !
J’espère bien pouvoir faire venir un jour Pénélope dans le club que je vais rejoindre à la rentrée… Si vous aussi souhaitez la faire venir chez vous, n’hésitez pas, écrivez-lui ici : coletteroger@wanadoo.fr . Elle sera heureuse de vous apprendre tout sur le traboutis…
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*France-Patchwork, association loi 1901, www.francepatchwork.com






