Dans la Ruche des Quilteuses, nous aimons choisir des thèmes, pour avancer dans la création sans nous lasser. Ce que nous faisons ensemble est toujours très accessible. Nous sommes loin d’être des candidates aux concours, puisque la simplicité est notre touche favorite. Et dès que j’ai connu le thème central du Carrefour Européen du Patchwork pour septembre 2023, je me suis dit : voilà une de nos orientations pour cette année !
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Étonnant recyclage de quilts anciens
Bien sûr, on adore acheter des tissus ! Un jour cependant se pose le problème du recyclage des restes. Pour ma part, je suis rarement à court d’idées pour faire un scrap quilt qui rassemble sans façon des centaines de bouts de tissus disparates, y compris des vêtements, des draps. Mais récemment, une lectrice m’a posé une colle : que faire de blocs orphelins qui n’ont rien en commun ? Elle avait apprécié l’idée de la Voie Lactée dans BeeBook, mais recherche autre chose, car elle a l’habitude de faire beaucoup d’essais de techniques. Je lui ai proposé, sans trop de conviction, d’en faire des pochettes, des coussins… Avez-vous des suggestions ?
Commencer un ouvrage, c’est une excitation et un pari sur notre capacité de le réaliser jusqu’au bout. Mais c’est si long que la motivation peut s’évanouir s’il ne répond pas parfaitement à nos attentes. Selon le tempérament de chacune, il sera fini coûte que coûte, sera mis de côté en attendant ou mis au rancart sans état d’âme, sans doute retaillé ou mis en dos de quilt recomposé. C’est ma tendance. Pour moi, la vie est trop courte pour m’astreindre à finir ce qui ne me plaît plus assez pour y consacrer encore du temps.
J’accepte de laisser tomber un ouvrage
s’il ne m’apporte plus de joie.
Les quilts anciens se vendent très bien aux USA. Les Américains ont la possibilité d’en acheter à des prix très raisonnables. Il doit s’en vendre des dizaines, voire des centaines par jour à travers les USA, car on le sait bien :
Un lit n’est un vrai lit qu’avec un quilt dessus !
On peut en acheter chez des antiquaires en boutique ou en ligne, dans presque toutes les brocantes, ou bien sur le site d’Hannah, Stitched and Found qui, année après année, confirme son succès. Vous pouvez lire l’article où je vous la présentais il y a un an et demi. Depuis, elle a un second enfant, encore tout bébé, et des centaines de nouveaux quilts qu’elle montre sur Instagram et qui sont vendus parfois très vite…

En France, beaucoup n’apprécient pas la valeur d’un quilt. Ils n’en ont pas la culture. En conséquence, voici ce qui peut arriver :

Certains quilts anciens sont en parfait état, d’autres sont partiellement usagés. Sur Instagram défilent les tendances qui se font et défont à la vitesse de l’éclair et une des dernières bonnes idées est d’utiliser des quilts anciens pour en faire… des vestes d’hiver !
La recette : on prend un quilt, un patron de veste, on taille dans les portions de quilts bien conservées, on assemble… et on porte la veste, parée pour les frimas ! Bon, il faut être bonne couturière, certaines vestes ne font pas envie…
Non, pas de photo de veste loupée, j’ai un minimum de compassion pour les ratages !
Dans la Ruche, nous sommes toujours amoureuses de la veste de Kristine, qu’elle a faite à partir de fat quarters de chez Neelam, avec un tissu déjà matelassé acheté au mètre (qu’on voit à l’intérieur de la veste), un gros grain noir et des brandebourgs :


Quant à Caroline, une amie de Kristine, elle a acheté une veste indienne qui lui a tapé dans l’œil :

Faire des vestes à partir d’un quilt ancien, c’est le pari de plusieurs jeunes stylistes cette année 2020, et les clients sont là ! La semaine dernière, on pouvait voir notre cher Roderick Kiracofe, collectionneur de quilts et auteur de plusieurs livres essentiels sur le patchwork, porter sa nouvelle veste faite par Reclaimed Fabric :

C’est devenu un véritable phénomène de mode, que le New-York Times a décortiqué dans un article voilà 15 jours. En prêt-à-porter ou même en haute-couture, on avait déjà vu des vêtements rappelant le patchwork traditionnel. Mais la mode actuelle est d’utiliser de vrais quilts anciens, ceux qu’on trouve encore en nombre dans les vide-greniers et dans presque chaque famille, et de tailler dedans.
Sacrilège ?
Pillage de l’héritage des grands-mères ?
Y a-t-il un risque de couper dans de beaux quilts qui pourraient avoir leur place dans un Musée ? La réponse de la styliste Rebecca Wright est qu’elle ne prend que des quilts à sauver de la poubelle. Ainsi, la démarche a un sens, c’est une réhabilitation de matière première, un recyclage malin.
Mode éphémère ? On verra bien ! Mais si la veste est bien faite, elle durera de longues années. Elle changera peut-être de propriétaire, mais elle continuera de tenir une personne au chaud.
D’autre part, la demande de vestes est si forte qu’on commence à faire faire des quilts à Haïti (main d’œuvre bon marché) avec des tissus vintage POUR en faire des vestes… Un vrai phénomène de mode, je vous le disais bien !

La plupart des plus belles vestes en quilt vues sur Instagram proviennent du même compte @psychic.outlaw, même si l’offre est très variée. Rebecca Wright, qui aime les bandanas, les quilts et les vêtements un peu fous, a créé l’année dernière sa société Psychic Outlaw et a embauché cette année 13 personnes. Outre de formidables robes d’été en bandanas, elle peut vous faire une veste à partir d’un de vos quilts, ou d’un de sa collection. Vous n’imaginez sans doute pas ce que cela peut rendre, alors voici des photos !











C’est un petit aperçu de ses créations. Chaque veste est évidemment une pièce unique.
Faire une veste à partir de blocs orphelins,
voilà qui peut séduire ma correspondante,
c’est aussi une idée pour des tops pas finis,
en ne quiltant que les parties utiles pour la veste.
Osons les vêtements qui se remarquent,
les couleurs qui claquent, les recyclages innovants
sans nécessairement tailler dans nos plus beaux quilts !!!…
Et ne donnons pas l’excuse de notre âge,
au contraire restons jeunes grâce à notre allure unique !
Katell

Les liens parfois mystérieux de l’inspiration
Ma chère amie Sujata Shah vit à présent en Californie, non loin de San Diego, elle a fort heureusement été épargnée par les incendies de l’automne dernier. Elle vient de terminer un quilt que j’adore, inspiré directement d’un ouvrage du XXe siècle venant d’Alabama, du hameau de Gee’s Bend (voir la petite histoire ici). Quand on tombe amoureuse d’un quilt, on a tellement envie de se l’approprier, mais c’est dur de trouver la bonne idée ! Sujata a utilisé une gamme de couleurs différente et a choisi de faire son quilt aux coutures régulières mais cela reste un véritable hommage à la quilteuse Magdalene Wilson, qui vécut 103 ans !
Sujata préfère l’original, mais le sien a beaucoup de peps également !
Dans cet esprit, si vous êtes intéressée par un Quilt Along très souple, juste motivé par l’envie de suivre un exemple de quilteuses de Gee’s Bend ou des anonymes qui quiltèrent les quilts de la collection de Roderick Kiracofe, cela a commencé hier sur le blog de Sujata par ici ! La couverture du livre montrant la collection de Roderick est ci-contre.
Le Quilt Along s’appelle U and U, Unconventional and Unexpected (non conventionnel et inattendu). En toute confidence, j’en ai commencé un l’année dernière, belle coïncidence, le top est fait et je vous le montrerai bientôt… Ce sera un U and U très typique que je pourrai vous montrer plus tard.
Parfois les liens de l’inspiration sont bien plus mystérieux et improbables. Ainsi deux quilts se répondent au-delà des années et des océans. Voyez plutôt, le thème est le meilleur ami de la femme d’après Marylin Monroe (video ici).
Depuis que j’ai vu le film Blood Diamond j’en suis moins sûre…
Voici le Diamant de Nadine Rogeret paru en 1985 :
Et, surprise l’année dernière, quand j’ai vu un des quilts vedettes du QuiltCon 2018, une merveille tout en économie de couleurs et pourtant si lumineux, cousu sur papier :
Chaque oeuvre a sa propre brillance et le quilt australien est à couper le souffle, mais je dois dire que j’ai un faible pour celui de la Française, avec ses touches de bleu-glacier et de jaune… Son livre, Ma vie en patchwork, édité en 1991, fut un grand succès, puis elle a disparu du devant de la scène. Aux dernières nouvelles, Nadine vit à présent dans le Sud-Est et se consacre au boutis. Mais peut-être en savez-vous un peu plus ?
Des quilts en Inde, des traces d’universalité
Le point avant, le point universel… non seulement pour l’assemblage invisible de deux pièces, couture basique, mais aussi pour la consolidation d’un tissu ou de plusieurs couches de textiles, en matelassage ou quilting, appelez-le comme vous voulez ! Les quilts bosniaques dont on parlait au début des années 2000, le boutis comme le trapunto, le kantha bengalais, le sashiko japonais… Tous ont pour base le point avant, le point qui court, running stitch en anglais, que je trouve si imagé que je le présente ainsi aux enfants ! Point indispensable, rapide, à la fois utile et décoratif.
On appelle kantha une broderie au point avant, faite à l’origine pour maintenir ensemble des morceaux de tissus de toutes sortes sur plusieurs épaisseurs. On peut penser à une similitude avec les Boros du Japon, dont on a longuement fait état les années précédentes. Cette année à l’Aiguille en Fête, il y avait, parmi de nombreuses autres merveilles d’Orient, des Kanthas récents qui étaient tous à vendre. Ici plusieurs formes de formes de broderies kantha, faites pour l’exportation, sont réalisées sur un grand panneau textile :
Même couleur de fil pour un mélange géométrique et figuratif qui doit être très amusant à inventer au fur et à mesure :
Les kanthas peuvent aussi être ainsi :
Grâce à des associations, le kantha est un savoir-faire qui est actuellement sauvé de l’oubli. A l’origine humble piquage d’étoffes usagées cousues ensemble pour protéger et embellir les personnes et les objets, les qualités décoratives de ces textiles les érigent en objets de collection. Vous en saurez sans doute plus, très prochainement, dans la presse spécialisée !
Si le kantha provient du Bengale, vaste territoire partagé entre l’Inde et le Bengladesh, on trouve ailleurs en Inde, plus à l’ouest, des patchworks quiltés. Il y a un air de famille en raison des points avant omniprésents, ainsi que l’origine indienne. Des différences aussi, mais on peut trouver toutes les variantes qui font que toutes ces pratiques ne sont pas éloignées ! Quelques patchworks indiens étaient exposés l’année dernière, toujours à l’Aiguille en Fête, mais aussi en Alsace en 2013 à l’occasion de la sortie du livre de Geeta Khandelwal :
Comme un carnet de voyage, Geeta nous raconte un périple dans un monde rural varié, aux femmes qui confectionnent des godharis, des quilts en bon français ;-). Jamais ces quilts ne sortent du village, ce sont des objets utilitaires. Ils sont faits principalement de restes de saris, coupés sans ciseaux (le tissu est entamé par une lame de rasoir, puis déchiré), mesurés à l’aune du doigt, de la main, de la coudée… Alors évidemment on ne peut attendre un piécé absolument rectiligne. Mais qui s’en soucie ? Les godharis sont là pour tenir chaud, un point c’est tout ! Certaines nuits, même au coeur de l’Inde, il peut faire bien frais.
Pour maintenir les couches textiles entre elles, le quilting est soutenu, avec des points avant qui courent parallèlement puis changent de sens, juste pour suivre un motif ou pour le plaisir :
Un motif dessiné, cousu, montré plusieurs fois dans ce livre me rappelle un modèle de quilt qui fit grand bruit il y a quelques années dans Quiltmania, dont un bloc de patchwork était en forme de svastika… d’ailleurs pas vraiment, mais le quilt était nommé ainsi (Quiltmania n° 52). Dans le numéro suivant, des excuses étaient présentées. C’est toujours en Inde un signe extrêment bénéfique, ainsi que dans le boudhisme et de nombreuses civilisations passées ou actuelles (dès le néolithique, et aussi notamment chez les Navajos, les Kunas, etc.). De ce beau symbole universel, notre plus sombre histoire du 20e siècle en a fait un signe honni, ce qui a pour conséquence qu’en Occident on ne peut plus se permettre de l’utiliser…
Vous découvrirez dans le livre certains Godharis extrêmement proches de quilts américains. Peut-on imaginer des quilts ayant voyagé, ou des quilteuses d’un pays ou l’autre ayant transmis ses connaissances ? L’auteur pense plutôt à l’universalité de certains motifs, vérifié maintes et maintes fois…
Universalité des choses, c’est ce qui m’a traversé l’esprit en lisant ce livre sur les femmes en Inde peu après celui de Roderick Kiracofe qui raconte un peu la même histoire dans les Etats-Unis ruraux. Universalité de la géométrie et de l’esthétique, quand j’ai vu des photos de godharis qui ressemblent un peu au quilt fait pour ma fille :
Un coucou à Sujata Shah, actuellement en voyage en Inde, qui a eu la chance de rencontrer Geeta Khandelwal la semaine dernière. Voyez son article ici, avec de très belles photos. Elle se sent tellement liée aux deux pays qu’elle peut résumer ses influences ainsi :
Roderick Kiracofe inspire !
Ce nom vous dit-il quelque chose ? C’est que vous connaissez sans doute ce livre :
Véritable « bible du patchwork », ce beau livre est une traduction de celui présenté ci-dessous, avec le sous-titre précisant que c’est une histoire (une encyclopédie !) du patchwork de 1750 à 1950 :
J’ai le livre en anglais et c’est une de mes références fiables quand je veux vérifier que je ne raconte pas n’importe quoi dans mes articles ! Il est si facile de trouver sur internet une info maintes fois reprise… mais fausse. Si vous souhaitez un livre résumant les styles, les courants, les nécessités et les folies du patchwork, c’est celui qu’il vous faut. Avec une grande clarté, on y explique les états d’esprit des quilteuses, leurs sources d’approvisionnement – à la fois les tissus et les modèles. C’est un livre à lire et pas seulement à feuilleter pour ses magnifiques photos de quilts ! Certains sont connus, reconnus, d’autres sont beaucoup plus étonnants et peu académiques. Ce sont souvent ceux que je préfère !
On ne le trouve plus en librairie depuis des années puisqu’il fut édité en français en 1999 par Flammarion, mais il est souvent proposé d’occasion sur divers sites (amazon.fr, leboncoin, priceminister etc.)
Roderick Kiracofe est, vous vous en doutez, quelqu’un de passionné par le patchwork. Artiste, collectionneur, consultant, écrivain, c’est un expert reconnu et respecté. Sa passion remonte à son adolescence en Indiana, il se souvient de son attraction pour les objets trouvés dans les vide-greniers, vestiges des temps passés, chacun racontant son histoire… Déjà, les quilts l’attiraient…
Son tout nouveau livre est unanimement acclamé comme un événement. L’aventure a commencé voilà douze ans : après une première vie de collectionneur-vendeur de quilts, Roderick a décidé de faire une collection… pour lui-même. Mais il s’est imposé des conditions : il voulait des quilts d’après les années 1940 qui comble son sens de l’esthétique.
Mais qu’y a-t-il donc dans les années 50 ou 60 ? C’est le vide sidéral dans tous les livres de patchwork. On considère que, jusque la réhabilitation des quilts grâce aux expositions de la collection Holstein à NYC en 1971 et à Paris en 1972, plus personne ne quiltait : c’était vieillot, la jeunesse avait bien d’autres choses à faire : consommer, danser sur Elvis Presley, consommer, conduire des voitures fantastiques, consommer, aller au cinéma, consommer… Années idylliques et insouciantes dans la mémoire collective !
Le nouveau livre de R. Kiracofe montre combien nous nous trompons ! J’attendrai 2015 pour vous en parler plus en détails, car tant est à dire ! Sachez cependant que les extraordinaires photos ne seront vraiment intéressantes que si vous comprenez l’anglais à mon avis… Mais c’est vrai que les quilts sont si beaux et parlent d’eux-mêmes… Ce livre comporte 10 essais de personnes très diverses, toutes passionnées par le patchwork, d’une rare richesse informative et affective et on a là une histoire contemporaine du patchwork absolument passionnante.
AVIS AUX EDITEURS FRANCOPHONES !
La collection de Roderick Kiracofe inspire les artistes d’aujourd’hui. Tout comme nous avons toutes ou presque eu envie de copier un quilt du 19e siècle, ma copine de Seattle a eu envie de copier un quilt anonyme -comme la plupart des quilts du livre- trouvé en Louisiane :
Elle a adoré travailler en « free-form », sans se soucier si sa coupe est bien droite, suivant son inspiration. Son quilt est un hommage à la quilteuse inconnue… et à Roderick Kiracofe !
Bravo LeeAnn, moi j’♥ !
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Quelques références :
– Site Roderick Kiracofe
– Okan Arts
– … et d’innombrables blogs américains célébrant chacun leur admiration pour ce livre !
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