Dans la Ruche des Quilteuses, nous aimons choisir des thèmes, pour avancer dans la création sans nous lasser. Ce que nous faisons ensemble est toujours très accessible. Nous sommes loin d’être des candidates aux concours, puisque la simplicité est notre touche favorite. Et dès que j’ai connu le thème central du Carrefour Européen du Patchwork pour septembre 2023, je me suis dit : voilà une de nos orientations pour cette année !
Lire la suite de « Field of Joy »Catégorie : Fil noir
Drôles de signes : les écritures
Il y a quelque temps, j’avais écrit une petite série appelée Drôles de Signes. En voici une suite, où l’on parle de nos lettres mais aussi des hiéroglyphes de l’ancienne Égypte.
Comme le sujet est passionnant, j’aurais aimé savoir vous faire un long article sur la naissance et le développement des écritures dans le monde, tout simplement parce que je suis ressortie éblouie du Musée des Écritures à Figeac (Lot). Mais ouf, cela a déjà été formidablement fait :
Je me contente donc de vous dire : allez baguenauder dans les ruelles de Figeac, une des plus belles villes d’Occitanie. Entrez dans une arrière-cour où s’équilibrent miraculeusement un cadre médiéval et la reproduction géante d’une des pierres les plus connues du monde. Visitez la maison attenante à cette cour, lieu de naissance d’un de nos brillants intellectuels du 19e siècle… J’arrête les énigmes, voyez les photos !
La pierre de Rosette originale (1,12 x 0,75 m) fut découverte lors d’une campagne napoléonienne à Rosette en Égypte, en 1799. Mais en raison de la défaite de la France, elle est dès 1801 la propriété des Anglais. Depuis lors, on peut l’admirer au British Museum de Londres. Elle date de 196 avant JC.
Le 14 septembre 1822, il y a 198 ans tout juste, Champollion s’exclama :
Je tiens mon affaire !
C’était son Eurêka à lui, il avait enfin percé les mystères de l’écriture des Égyptiens anciens.
Figeac est pleine de bonnes ondes, grâce à ses habitants d’hier comme d’aujourd’hui. C’est dans chaque boutique un accueil authentique. J’ai eu du plaisir à discuter en particulier avec une dame qui aime tant les tentures du Caire qu’elle en vend quelques-unes dans son magasin. Bien sûr, ça crée des liens. Un autre est né à Figeac mais a passé une vingtaine d’années en Amazonie, à Manaus notamment. Il en a conservé la jovialité brésilienne, l’amour de l’artisanat des Amérindiens (qu’il vend) et voilà, après avoir vécu ailleurs, sa vie est de nouveau à Figeac, en toute sérénité.
La ville est sereine, belle par nature, authentique sans esbroufe.
Certaines d’entre vous connaissent Michel, un de mes 3 amis quilteurs français. Jeudi dernier, nous ne nous sommes pas croisés, mais il est à Figeac, se reposant d’une blessure qui l’empêche momentanément de continuer son Chemin de Compostelle. Il n’aurait pas pu mieux tomber, rester une semaine dans cette ville est une récompense quelque part ! Il raconte sur Facebook l’ambiance sympa au son du flamenco, le soir venu…
J’avais déjà visité Figeac au mois d’août, mais un lundi, jour de fermeture du Musée des Écritures. Sa visite aurait pu attendre quelques mois, mais je voulais absolument y voir l’expo temporaire de Rieko Koga !
J’ai eu un grand plaisir à découvrir, en même temps que les origines des écritures, des œuvres de cette artiste déjà admirée l’année dernière à Toulouse. Ses ouvrages sont ici répartis dans chaque pièce du musée, les œuvres se dévoilent bien différemment, presque toujours protégées par une vitre.
J’ai retrouvé, dans l’escalier, le mantra Peace que j’avais tant aimé à Toulouse, mais aussi son frère en français :
Ne laissez pas le comportement des autres détruire votre paix intérieure.
Le Dalaï Lama
Les belles photos sont difficiles à réussir en raison des vitrines et éclairages forts. On constate bien cependant l’infinie patience de l’artiste, on imagine son état méditatif en faisant danser son aiguille, se souvenant sans doute de sa maman qui pratiquait le sashiko pendant son enfance.
La structure octogonale de Toulouse n’étant pas pratique à Figeac, les 600 vœux déjà lus attentivement à Toulouse sont cette fois disposés en accordéon :
L’artiste des petites lettres en bâtons en noir sur fond blanc a occupé l’espace qu’on lui a octroyé avec finesse et poésie. Le 21e siècle côtoie les origines de l’Histoire de l’humanité, un grand écart où la soif d’exprimer et de transmettre par l’écriture reste intact.
Broder, quilter, tricoter, crocheter… Ce sont des gestes qui nous mènent au lâcher prise, au retrait de notre vie bruyante et impatiente, à la concentration, à la méditation… Que du bonheur !
Katell
Texte et textile, le minimalisme spirituel de Rieko Koga
Texte et textile, deux passions… C’est en préparant cet article que je me suis penchée sur la proximité de ces mots, et cela ne tient pas du hasard : au début était textus, mot latin désignant le tissu, se mêlant vite au tissage des mots… On a en français de nombreuses expressions qui en témoignent : suivre le fil d’une conversation… ou le perdre – la trame d’un discours – un tissu de mensonges – une histoire cousue de fil blanc – le fil conducteur d’une idée – au fil du temps – le fil rouge pour ne pas perdre le fil de l’histoire… et tant d’autres !
Une artiste des mots et des tissus a nommé son site Du textile aux textes, c’est Jacqueline Fischer. Écrire, coudre, broder, elle s’exprime depuis des années en exploitant les mots appréhendés par l’intellect et les tissus qui stimulent les sens de la vue et du toucher. Jacqueline développe aussi ses recherches dans son livre :
-oOo-
Mardi dernier, j’ai rencontré une personne formidable à Toulouse, Stephanie Davis. Elle avait un mot de passe irrésistible : je suis l’amie de LeeAnn (Nifty Quilts)… Très prochainement, je vous présenterai cette belle personne et ses expressions textiles.
Nous avons profité de notre promenade dans ma ville pour aller visiter une exposition d’art textile : Dropping Words, par Rieko Koga. C’est une artiste d’origine japonaise, qui vit à Paris depuis plus de 15 ans.
Dans cette exposition, on est frappé par l’économie de moyens : un tissu blanc, de lin ou de coton, et du fil noir. Point. Tout comme avec de l’encre sur du papier blanc, l’artiste nous fait méditer sur la beauté de l’écriture (ici japonaise et occidentale) et le lien sacré entre représentation, signification et émotion. Beaucoup à voir, à ressentir au travers de cette visite, mais pour conserver le plaisir de la découverte, je ne parlerai que de deux œuvres.
-o-
PEACE : la paix, mot brodé à la suite des milliers de fois au fil noir, souvent sans espace, un vrai mantra pour une vie en paix…
Cela me rappelle une de mes contributions au projet 70273, mon point d’interrogation fait de 698 duos de croix :
-o-
Un Vœu pour l’éternité : une oeuvre collective dans un sens – et je remarque à chaque fois à quel point ce concept m’intéresse. Reiko a collecté les vœux de 600 personnes, par internet et dans une boite aux lettres des Archives Nationales de Paris ; elle les a ensuite brodés durant deux mois sur du tissu coupé, puis plié et cousu, renfermant un peu de l’air ambiant, comme une enveloppe envoyant un message au futur. Des vœux en plusieurs langues, même si la plupart sont en français. Les vœux ainsi brodés reprennent la forme des ema, prières et vœux gravés sur bois que les Japonais exposent dans les sanctuaires shinto.
Ema au Japon ( photo domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=119877)
Ces 600 vœux vont des plus universels (la paix sur terre, la prise de conscience écologique…) aux plus intimes (demande d’amour, de guérison, de réussite…) en passant par tous les souhaits qu’on peut imaginer. Un concentré d’espoirs de l’humanité… Ils sont disposés sur une structure octogonale* en bois recouverte de lin, sur lesquels de fins rubans blancs sont cousus pour permettre l’accrochage des vœux. C’est une splendeur, on peut passer un temps infini à les lire, espérer que les souhaits se réalisent, imaginer l’histoire derrière le vœu… L’écriture-broderie en bâtons, fine et claire, imprime les espoirs sur tissu, imprégnant l’énergie de Reiko pour qu’ils se réalisent…
*le 8 : symbole de chance en Asie et de l’infini en mathématiques ∞…
Pour voir ces œuvres (et bien d’autres) de Rieko Koga, rendez-vous à l’Espace Écureuil, 3 place du Capitole à Toulouse. L’exposition dure jusqu’au 7 septembre, mais attention, fermeture du 5 au 19 août !
-oOo-
Un coup ou deux de trait noir
Dans le monde de la peinture, une technique picturale est appelée le Cloisonnisme.
Le cloisonnisme est né grâce à la liberté offerte par l’impressionnisme, alors que techniquement c’est à peu près son contraire. De quoi parle-t-on ? Avant l’impressionnisme, les peintres apprenaient toutes les techniques pour donner une image semblant réelle, avec des fondus et mélanges de couleurs. Avec l’avènement de la photographie qui rendait le réel sur papier – même en noir et blanc – des peintres ont révolutionné leur approche en juxtaposant des touches de peinture, faisant confiance à notre cerveau pour mixer les couleurs à une certaine distance et donner des impressions de luminosité inédites. L’effervescence à la suite de l’impressionnisme a donné de multiples courants post-impressionnistes hétérogènes comme le pointillisme (chaque touche rendue à sa plus petite expression, le point), le fauvisme et les Nabis (exagération des aplats de couleurs violentes) ou le cloisonnisme.
Tout le monde connaît le cloisonnisme, sans pour autant utiliser ce mot. Visuellement, on le retrouve dans beaucoup d’arts et artisanats : la mosaïque, la marqueterie, le vitrail, mais aussi les estampes japonaises, la peinture sur soie, les images d’Epinal, les bandes dessinées… et bien sûr, comment l’oublier, le patchwork! Leur point commun ? Vous le devinez peut-être, c’est l’utilisation de la matière ou de la couleur par zones définies, parfois cloisonnées d’un trait surligneur… Nous y voilà !
Il y a quelques semaines, j’ai essayé une technique qui me faisait de l’œil depuis bien longtemps : l’appliqué « moderne » (coupé à cru, collé au thermocollant) surligné de deux traits de fil noir, justement pour accentuer le cloisonnisme et l’impression de dessin de page de coloriage. Je dois avouer que pour mon premier essai, je n’ai fait aucun effort de création et ai entièrement copié sur une artiste que j’aime, Laurraine Yuyama. La réalisation est très facile, pour peu que vous soyez familiarisée avec le quilting en piqué libre (à la machine).
Voyez ici l’un vu recto, l’autre verso :
Ce sont deux mug rugs (mini-tapis de table servant de dessous de tasse, avec la place pour une douceur) faits pour un échange tiré au sort entre copines. Je me suis complètement inspirée de la photo d’ici. Heureusement, celle qui les a tirés au sort les aime bien je crois, tant mieux pour Maïté !
Moi j’ai eu la chance de recevoir des mug rugs d’une autre gamme de couleurs, mais qui me réjouissent tout autant ! Ils viennent de Claude, qui a passé plusieurs années au Canada. Son bloc préféré est donc la Feuille d’Erable dans toutes ses nuances ! Ici les feux de l’été indien se retrouvent dans son cadeau :
Malheureusement, j’ai oublié de prendre en photo la table pleine de mug rugs échangés… Vous ne verrez donc que ces deux paires, dommage car toutes les amies réunies hier avaient préparé de petits bijoux de technique, de poésie ou de créativité !
Le Fil Noir
Au lieu d’un fil rouge, suivons aujourd’hui un fil noir qui ne tient souvent qu’à un trait…
Le trait noir en peinture
Après la naissance de la photographie, quelques artistes peintres s’éloignèrent de la reproduction d’une vision académique, réaliste ou romantique. L’Impressionnisme, cette nouveauté majeure, entraînera à sa suite une ébullition artistique dans tous les sens, sautant rapidement du pointillisme (oh les beaux pixels 😀 ) au fauvisme, au cloisonnisme, puis à l’Art Nouveau, au cubisme et aux mouvances de l’art moderne du XXe siècle.
Suivons aujourd’hui Émile Bernard, post-impressionniste entouré par Paul Gauguin, Vincent Van Gogh et quelques autres… Réunis en Bretagne à Pont-Aven, ces peintres eurent comme sujets privilégiés les beaux paysages, l’exotisme (mais oui, quand on vient d’ailleurs 😉 ) des costumes bretons, ainsi que les coutumes de la religion catholique qui jalonnaient la vie d’antan. Avec ces thèmes ils se lancèrent dans l’aventure artistique du cernage, du cloisonnage et du synthétisme, inspirés par les estampes japonaises aux dessins cernés, aux aplats de couleurs, à la perspective non travaillée.
Le trait noir dans la bande dessinée
Restons en Armorique pour effleurer le monde de la BD dans lequel, tout naturellement, on trouve un trait noir délimitant les couleurs.
Célébrons ici la sortie mondiale du 36e album d’Astérix ! Il semble respecter la meilleure tradition de Goscinny et Uderzo, se référant étroitement au livre de la Guerre des Gaules de Jules César. Une BD, c’est beaucoup de crayonnage avant de mettre le dessin en couleurs. Typiquement, nous retrouvons le trait noir dans la planche finale :
Les nouveaux auteur & dessinateur sont Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. Je lirai ce livre ces jours-ci, par Toutatis !
La broderie noire
La broderie au fil noir sur tissu blanc est fort ancienne. Importée par les Maures, la broderie de laine noire sur lin blanc était prisée très tôt par les Espagnoles. Sa variante la plus raffinée, au fil de soie et réversible, fut exportée en Angleterre avec Catherine d’Aragon (1485-1536), fine brodeuse. Vous pouvez trouver ici chez nos amies québécoises un résumé historique très intéressant.
Pour les brodeuses en quête de nouveauté et de liberté, je peux vous conseiller d’acheter auprès de Dijanne Cevaal un tissu teint et imprimé par ses soins. Cela laisse un espace de création très amusant ! A la fin, les traits noirs sont recouverts de fil de couleurs.
Le trait noir en fil raconte…
Nadine Levé a créé ce quilt que j’aime beaucoup, fait d’hexagones brodés ensuite de mots, de fourmis, suivant un chemin de vagabonde :
Après trois ans
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu’éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.
Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin…
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.
Même j’ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,
– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.
Poèmes Saturniens, Paul Verlaine
Un peu de poésie ne peut pas faire de mal !
Le trait noir autour des appliqués
C’est une finition très « country » que le point de feston autour des pièces appliquées à cru.
Le point de feston était utilisé également pour les appliqués des années 1920-1930. Le noir est très décoratif et rehausse toutes les formes, tout en renforçant l’appliqué.
Le point droit, en maintien de pièces appliquées ou en matelassage, a une présence décorative tout aussi marquante :
Avec le piqué libre qui fait de plus en plus d’adeptes, on voit des tableaux textiles de toutes sortes utilisant le fil noir qui fixe des pièces appliquées à cru :
Une quilteuse tarnaise, Sylvie Philippart, a exposé au printemps à Fayssac (exposition annuelle organisée par Josie Patch). Son quilt était mon coup de coeur :
Revenons à Nadine Levé qui utilise également ici le piqué libre, tel un trait d’encre :
Nadine Levé évolue dans son monde bien à elle, fait de livres textiles, de broderies charmantes pleines de féminité, de rêverie… En ce moment, elle met la touche finale à l’album photo de Mademoiselle Rose. Allez tourner les pages chez elle en cliquant ici !
Au fil noir ou gris foncé, à la main ou à la machine, l’appliqué surligné est une tendance internationale qu’on trouve notamment dans ces livres :
Le fil noir s’arrête ici pour aujourd’hui, en souhaitant qu’il vous aura diverti !