Guérir : faire passer la lumière

Dans notre monde des arts textiles, le Japon compte beaucoup. On y trouve d’abord des artistes exceptionnelles, un raffinement inégalé, des tissus émouvants… Je reste personnellement amoureuse des styles de Keiko Goke, Shizuko Kuroha et de Marie-Claude Tsuruya, Japonaise par alliance. La première incarne la modernité, l’improvisation et la richesse de la fantaisie, alors que les deux dernières subliment les étoffes devenues précieuses par leur ancienneté et leur symbolisme : les vrais indigos, les sarasa et tous ces beaux tissus provenant des kimonos… En ce qui concerne l’art des quilts au Japon aussi, modernité et tradition restent à égalité dans mon cœur.

Même si j’ai admiré les quilts en tissus taupe, je n’en ai jamais été très fan personnellement, mais cela a permis un rapprochement entre nos deux cultures. C’est toujours bénéfique🙂.

Mont Fuji – Japon ©Travel mania. shutterstock

Peu à peu, la mode japonaise a quitté le devant de la scène du patchwork mais a gagné les étagères des librairies pour nous insuffler de nouvelles habitudes. Rangeons avec Marie Kondo pour un intérieur minimaliste, épanouissons-nous avec la recherche de notre ikigaï (la raison pour laquelle on a envie de se lever le matin), mangeons comme à Tokyo des sushis et comme à Okinawa une soupe miso au petit-déjeuner, offrons nos cadeaux emballés d’un furoshiki, jouons à Super-Mario et lisons des mangas, promenons-nous dans les bois pour un shirin yoku (bain de forêt bénéfique), apprécions l’imperfection avec le wabi-sabi, les reprises textiles avec le boro et le chiku-chiku… J’ai l’air de me moquer de toutes ces modes venues du Soleil Levant, mais non, j’y suis sensible et parfois m’y adonne avec enthousiasme, comme plusieurs d’entre vous ! 

 

Le Kintsugi

Et voici la nouvelle mode venue du Japon !

Kintsugi (japonais) « réparer avec de l’or » : c’est l’art de réparer des poteries avec de la laque d’or et comprendre que l’objet devient plus beau parce qu’il a été cassé.

A vrai dire, j’estime infiniment ce concept.

Cette phrase reprend l’esprit de celle de Michel Audiard qui a dit : Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière.

Ah la beauté de l’imperfection, le wabi-sabi ! C’est un concept que je défends depuis longtemps en patchwork et que j’ai abordé dans mon livre BeeBook (toujours en vente auprès de France Patchwork et, espérons-le, bientôt de nouveau en Salons de loisirs créatifs et en JA !). Avec le Kintsugi, il s’agit de réparer sans essayer de rendre l’apparence du neuf, agir en assumant les rides de l’âge, la marque des fêlures. Les deux principes se complètent : l’acceptation de l’imparfait, du « pas neuf », et la vision de la beauté hors jeunesse et nouveauté.

L’art du Kintsugi est donc traditionnellement appliqué aux objets fêlés, cassés, puis réparés avec un soin extraordinaire : les fêlures sont colmatées à l’or, les défauts sont sublimés, les faiblesses rendent l’objet plus solide qu’à l’origine…

La coach Céline Santini va plus loin en faisant le parallèle entre le Kintsugi et la résilience, ce principe psychologique mis en lumière par Boris Cyrulnik. Il s’agit de la capacité d’une personne à transformer un traumatisme en souvenir acceptable, à partir duquel on peut se reconstruire. On guérit en soignant ses blessures et on devient même meilleur et plus fort.

Son livre détaille à la fois l’art de réparer une fêlure d’un objet à l’or et celui de se réparer psychologiquement, se développer harmonieusement, pour aider à mieux vivre. On lit même que les personnes ayant été cabossées par la vie et qui se sont réparées, deviennent plus touchantes, plus intéressantes, plus authentiques. Le parallèle est saisissant. C’est un beau livre que j’ai eu grand plaisir à lire.

Le Kintsugi en patchwork

Déjà, au 19e, le japonisme, la Japanmania, touchait les artistes occidentaux. Pendant que les impressionnistes et autres peintres contemporains modernes s’inspiraient de l’art de l’estampe, l’art de la craquelure des poteries et porcelaines séduisaient les Américaines au point de s’en inspirer et de créer… le patchwork crazy ! C’est du moins une des versions, la plus vraisemblable d’ailleurs, de la naissance de ce style.

Sur un de mes crazy, le livre de Denyse Saint-Arroman, un des rares bouquins sur le crazy en français.

Le Bazar japonais à l’Exposition Universelle de Philadelphia, en 1876. Les porcelaines craquelées furent les inspirations pour le crazy patchwork, et en même temps, au même endroit, les dessins qu’on voit en décoration donnèrent l’idée de créer le bloc de l’Assiette de Dresde (voir son incroyable histoire par ici).

En Angleterre, Charlotte Bailey emballe de tissu chaque morceau d’une porcelaine cassée et les joint en décorant les failles au fil d’or fixé au point de Boulogne, le résultat est incroyable :

Un vase cassé ? Charlotte Bailey a conçu un long processus de rénovation avec chaque morceau emballé de tissu…

Rassemblé par collage, il est ensuite embelli au fil d’or au point de couchure (point de Boulogne ou autre point décoratif apparenté). On peut aussi imaginer faire ces embellissements à la cannetille (disponible chez Neelam)
Deux poteries sublimées par Charlotte Bailey.

Le Kintsugi a fait récemment irruption dans la mode du patchwork moderne, quand il s’agit d’ajouter une petite pièce après une erreur de mesure par exemple. Au lieu de cacher le rattrapage, on le met en valeur, comme ici, après des erreurs de coupe, avec un tissu finement rayé et très visible :

Bien sûr, il apparaît sur des poteries quiltées :

Le principe est devenu plus abstrait en représentant des failles :

Le Kintsugi devient aussi des lignes cassant un bloc, avec les inserts de bandes assemblant le patchwork :

Le livre qui a grandement popularisé le Kintsugi dans le patchwork improvisé est du Britannique Nicholas Ball. Bizarre, je n’ai pas encore pris le temps de vous parler de lui alors que je me sens si proche de sa démarche !

Double page montrant le quilt Kintsugi de Nicholas Ball (éditions Lucky Spools)

Comme bien souvent, Debbie de Seattle a judicieusement utilisé le modèle pour en faire un quilt, simplement beau comme j’aime :

K comme Kintsugi…
Cette lettre m’inspire pour faire mon premier bloc officiel à la manière Kintsugi – même si, avec les quilteuses Patch d’Oc, nous avions déjà utilisé cette technique d’insertion pour nombre de blocs du blason de Lacaze sans lui donner d’autre nom que patchwork libéré.

Ce sont ici les tout premiers blocs faits avec mes amies pour le quilt Blason de Lacaze, avec l’esprit libre de contraintes. Un grand amusement !

K comme Katell. J’ai d’abord pensé écrire mon prénom en langue des oiseaux (piou-piou, cui-cui ? Non, ce sont des jeux de sons, de lettres, de mots, des jeux de sens cachés de mots ou de phrases…), Katell devenant simplement KTL. Le E, avec ses 3 barres parallèles, me semblait le plus difficile à intégrer, mais finalement j’ai écrit toutes les lettres, le E se pliant tout de même gracieusement à l’exercice ! 

Ce sont les premiers essais, je sens que je vais bien m’amuser avec ces lettres très stylisées façon Kintsugi ! Ici un seul bloc pour deux L – deux ailes – pour voler plus vite. 

Ce sera un petit quilt, à poser sur une table, avec son esprit discrètement japonisant… Se souvenir de la beauté de la fêlure qui laisse passer la lumière…

A très vite,
Katell

Anaïs de A à Z

A peine un sampler fini, Maïté s’est attelée à un abécédaire pour Anaïs, sa petite-fille née le 2 avril dernier.
De A à Z, les lettres ont été brodées en s’inspirant de celles d’un livre de Yoko Saito édité par Quiltmania (traduit par Marie-Claude Tsuruya et son époux) :

120 Modèles de Broderie par Yoko Saito

Mais les illustrations sont  presque toutes le fruit du coup de crayon de notre dessinatrice-brodeuse-quilteuse :

Pour avoir de belles couleurs sur la photo, nous sommes sorties de la Ruche… Quand il sera quilté, je vous en montrerai tous les détails,  ils valent le coup d’oeil ! En cliquant sur la photo, vous aurez déjà un bel aperçu.

Maïté a déjà fait de nombreux quilts destinés aux enfants de sa famille, nous avons eu la chance de les voir presque tous réunis à Fayssac en avril dernier.

une-poule-sur-un-mur

« Une Poule sur un Mur… »

Même les quilts qui restent chez elle, ainsi que l’ambiance de sa maison,  ont un goût d’enfance, de gaieté simple et raffinée. Son mari lui a dit un jour : « J’ai parfois l’impression d’habiter dans une maison de poupées ! »…

lu4

Dans la cuisine de Maïté, de bien jolies choses ornent les étagères. Il y a tant à y admirer !

ourson maïté

Adorable ourson chez Maïté… Toujours un pied dans l’enfance, Maïté se régale d’accueillir ses petits-enfants avec chaleur et confort, et leur prépare des journées enchanteresses de jeux, de bricolage et de découvertes…

Bon sang ne saurait mentir, Claire Gaudriot, l’une des illustratrices françaises à succès pour enfants n’est autre que sa nièce ! Les mamans de petites filles connaissent la série des Hortense petite fée (Hachette Jeunesse) :

Claire Gaudriot61cOU0UyW1L._SX385_gaudriotgaudriot

Dommage, mes filles sont trop grandes !

-=-=-=-

L’Invitation au Voyage

Maurice Ravel, basque par sa mère, est né à Ciboure, petite ville portuaire qui partage la baie avec St-Jean-de-Luz. C’est l’enfant du pays, même s’il passa toute sa jeunesse à Paris. Ses musiques m’enchantent et ce que j’aime particulièrement de lui, c’est son éclectisme, sa soif de sons d’ailleurs pour mieux les intégrer à sa culture française. 

ravel

Ce portrait de Ravel évoque les multiples influences de ses musiques

Lors d’une immense tournée en 1928 aux Etats-Unis et au Canada, il fit cette déclaration : « Vous, les Américains, prenez le jazz trop à la légère. Vous semblez y voir une musique de peu de valeur, vulgaire, éphémère. Alors qu’à mes yeux, c’est lui qui donnera naissance à la musique nationale des États-Unis. »

Bien vu ! Il avait notamment sympathisé avec George Gerswhin dont les sonorités de sa Rhapsody in Blue l’enthousiasma, alors que les critiques pleuvaient encore sur cette « musique de nègres ».

rhapsody in blue

Si son imaginaire musical majeur vient d’Espagne (le Boléro, qui envoûte ou énerve, reste la musique française la plus jouée au monde), ses œuvres sont profondément originales et éclectiques, inspirées successivement des folklores de la Russie, la Grèce, les sonorités orientales ou tziganes…

boléro béjart

Célèbre ballet de Béjart sur le Boléro de Ravel

« L’art, sans doute, a d’autres effets, mais l’artiste, à mon gré, ne doit avoir d’autre préoccupation que la perfection technique. L’important est de s’en approcher toujours davantage. » Ravel… C’était un travailleur lucide, exigeant envers lui-même et les autres, qui déclara :  « Oui, mon génie, c’est vrai, j’en ai. Mais qu’est-ce que c’est ? Eh bien, si tout le monde savait travailler comme je sais travailler, tout le monde ferait des œuvres aussi géniales que les miennes. ». A méditer quand on croit qu’on peut faire des œuvres vite faites-mal faites, sous le couvert de modernité !

Ravel aimait lire Beaudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. » (l’Invitation au Voyage)

-=-

labeque ravel

Je ne peux éviter ici d’évoquer deux sœurs pianistes nées tout à côté, à Bayonne, qui interprètent dans le monde entier des œuvres aussi diverses que celles de Ravel, Gerschwin, Mozart ou le répertoire baroque, mais aussi le rock expérimental avec grâce et un talent fou… qu’elles reconnaissent couplé à un travail acharné. Les ayant rencontrées à 19 ans, âge où nos goûts se forment pour la vie, je collectionne leurs enregistrements et leur voue une admiration sans faille. Elles se font malheureusement très rares en France…

©KLM recordings

Travailleuses, éclectiques, talentueuses… et si belles ! (©KLM recordings)

-=-

Le hasard faisant bien les choses, Marie-Claude Tsuruya cohabita avec Maurice Ravel pendant Quilt en Sud. C’est en effet dans l’auditorium Maurice Ravel que le Japon s’installa à Saint-Jean-de-Luz avec une sélection de quilts de la Chambre des Couleurs.

chambre des couleurs

Parions que Ravel aurait adoré cette cohabitation : l’excellence du travail, l’alliance de deux cultures, sont des caractéristiques ravelliennes  tout comme celles de cette quilteuse ! Marie-Claude Tsuruya n’a pas de télévision mais coud et quilte toujours au son de la musique. Quelques articles de son blog sont consacrés à cette autre passion.

quilt en sud 028 quilt en sud 036

Plusieurs kimonos précieux, en soie ou en « chirimen » (tissu légèrement ondulé, une sorte de crêpe agréable à porter et facile à entretenir) agrémentaient cette exposition. Les kimonos japonais sont coupés et cousus d’une manière immuable (sujet d’un prochain article dans le blog de Marie-Claude sans doute !), il en résulte un vêtement très long qui sera ajusté à la taille de la personne grâce à la ceinture (obi). Marie-Claude avait apporté son obi de mariage mais dès le premier jour, elle l’a enlevé de l’exposition en raison de trop nombreuses petites mains qui ne pouvaient s’empêcher de le toucher !

quilt en sud 034

Détail d’un quilt de mini-blocs en T, initiale de leur nom de famille. Chaque T est cousu à la main avec un tissu japonais récent ou ancien, sur un fond d’indigos. Finalement, cela donne plutôt une jolie collection de mini-kimonos !

Tsuruya

Enfilade de quilts tous plus beaux les uns que les autres ! De près, ils sont parfaits, de loin on découvre une autre dimension avec des jeux de lumière insoupçonnés… C’est pourquoi j’appelle Marie-Claude Tsuruya la créatrice de lumière.

quilt en sud 043

Les quilts exposés ont tous un lien avec le Japon. L’époux de Marie-Claude étant japonais, elle hérite des tissus de sa belle-famille, surtout ceux dont personne ne veut plus ! De chaque voyage elle rapporte des kilos de textiles qu’elle achète aussi pour compléter sa collection. Le quilt ci-dessus,  en cotons bicolores marine/blanc, étaient destinés aux yukata, kimonos d’été aux imprimés plutôt masculins  (à l’origine, ces kimonos étaient pour la sortie du bain).

quilt en sud 029

Quilts récents de Marie-Claude. Son goût pour les tissus recyclés, ayant la trace du passé, se confirme dans ces ouvrages. On y retrouve des tissus d’épaisseurs différentes que beaucoup de quilteuses hésiteraient à unir, mais finalement coton, lin, chanvre ou ramie cohabitent avec bonheur !

quilt en sud 045

Je me souviens que, tandis que je donnais un stage sur le « nine-patch évanoui », une variante amusante de coupe rapide avec cutter et règle, Marie-Claude confectionnait ce même bloc de manière patiente, artisanale, choisissant avec précaution les morceaux pas trop usés de ses tissus anciens du nord du Japon, étoffes d’un peuple fier et travailleur. C’est ainsi un bel hommage qu’elle rend aux personnes qui filèrent, teignirent, tissèrent artisanalement ces textiles. Quand on voit ce quilt, on comprend d’autant plus ses réticences sur le phénomène Boro, ou la mise sur le marché  de guenilles, parfois même artificiellement vieillies, qui se vendent à des prix exorbitants… Tandis que les visiteurs  occidentaux s’extasient, les Japonais se sentent parfois humiliés…

quilt en sud 035

Encore cette association dont je ne me lasse pas, les indigos et les imprimés joyeusement colorés ! 

quilt en sud 033

Beauté d’un sobre Log Cabin. Contrairement aux tissus de patchwork, les bleus teints à l’indigo ne s’affadiront pas en quelques années !

quilt en sud 040

Finissons ce petit tour par ce magnifique quilt qui vous dit sans doute quelque chose… Il est inspiré d’un top en soie et satin fait par Ella Holcombe (1872-1957), qui fut offert au Musée Shelbourne en 1990 et immédiatement admiré et recopié ! On ne sait pas quand la quilteuse cousit ce top, mais le modèle du bloc existe depuis la fin du XIXe siècle. Dominique Husson le reproduisit en coton avec infiniment de subtilité (voir article précédent). Si vous aussi vous souhaitez vous lancer dans cet extraordinaire quilt, cherchez le Quiltmania n° 21, Renée Ferré l’a présenté en fiche « pas à pas ». Celui de Marie-Claude a la particularité d’être en soies de kimonos, ce qui lui donne une présence lumineuse et chaque bande est quiltée en son milieu… Association encore de l’occident et de l’extrême-orient, ce quilt est baptisé « Temari », du nom des balles japonaises de décoration qu’on sort pour certaines fêtes. Plus de renseignements sur ce quilt dans le blog  ici.

Guettez les prochains articles de Marie-Claude ! Elle nous donnera ses impressions de son voyage plein sud… Je sais qu’elle a adoré rencontrer ses lectrices et revoir les personnes rencontrées en avril 2012 à Pibrac lors de la Journée de l’Amitié… Des liens d’amitié qui se tissent au fil du temps !

-=-

De Quilt en Sud, je ne vous en montrerai pas plus ; d’autres artistes, avec qui je n’ai pas pu m’entretenir, présentaient eux aussi des merveilles ! Vous pouvez aller voir ces blogs et sites pour d’autres points de vue :

– le reportage-photos d’Edith Bouilly sur le blog News FP
– les reportages de Marie-Christine sur le blog Carrément Crazy, très intéressants avec de belles photos
– les photos (articles en cours) sur le blog de France-Patchwork Tarn
– le blog de l’artiste Françoise Christien
– l’art textile léger et pétillant des Espagnoles Desedamas
– l’univers d‘Hubert Valéri, si raffiné, dont je vous montre ici la couverture du livre qui paraîtra en octobre prochain :

livre boutis

Livre préparé avec Maryse Allard

… et il y en avait tant d’autres ! Merci à tous ces artistes de nous avoir enchantés !

-=-=-=-

En France, le froid arrive…

… et j’ai trouvé sur Facebook un quilt qui illustre l’hiver à merveille :

felisa quilt : Minka in Invierno

« Minka Houses in Winter » : Felisa Nakawasa a dessiné ce modèle réalisé par Shisuyo Tuchihashi. Felisa fait régulièrement éditer ses modèles dans les magazines de patchwork japonais les plus réputés et a reçu maintes récompenses.

Les « Minka » sont au Japon des maisons traditionnelles, généralement les habitations modestes des paysans, pêcheurs, artisans et marchands. Leur style varie grandement selon la région mais les plus connues sont au centre du Japon où quelques villages, inscrits par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité, sont préservés :

Village historique au centre du Japon

(photo du site de l’UNESCO)

Les toits de ces Minka sont extrêmement pentus car l’hiver, la neige tombe fortement dans cette région. Certains descendent presque jusqu’au sol et cette architecture est appelée « gassho-sukuri », c’est-à-dire en forme de mains jointes. Les toits pentus sont à la fois utiles à l’extérieur (intempéries) et à l’intérieur (fonction de cheminée !). Je vous recommande la lecture du blog de Jacques Perrin à ce sujet.

gassho_zukuri

Maison Minka… ou le charme de la couleur taupe

Cette représentation de la Maison est, pour le peuple japonais, une image traditionnelle ancrée dans les esprits. On peut rapprocher cette image culturelle à celle de la « petite école rouge » aux Etats-Unis. Il faut peut-être trouver ici l’inspiration des tissus japonais taupe pour le patchwork, car c’est bien dans cette gamme de couleurs qu’apparaissent ces maisons en bois au toit de chaume !…

houses yoko saito

Ce livre, au succès fou amplement justifié (traduit du japonais par Osamu & Marie-Claude Tsuruya) comporte de nombreuses maisons de style « Minka », ces maisons habitées par les « gens du peuple » ruraux ou citadins.

Dans le sud du Japon, les Minka n’ont pas les mêmes caractéristiques car elles sont adaptées au climat ; les toits sont moins pentus et elles sont souvent construites sur pilotis pour favoriser la ventilation… mais aussi, tout comme plus au nord, en raison des séismes…

architecture traditionnelle sur pilotis

Ces habitats traditionnels ont été massivement démolis au XXe siècle mais de nombreuses personnes et associations les protègent et les reconstruisent actuellement. Leur charme opère… et après tout, en plus de leur valeur historique, ce sont de parfaites maisons écologiques ! 

Pour le regard unique d’une Française quilteuse connaissant le Japon de l’intérieur, allez sur le blog de Marie-Claude Tsuruya La Chambre des Couleurs.

-=-

EstampeHiroshige

Estampe de Hiroshige, Sur la route du Tokaïdo, Kambara
« Neige de nuit » – Des maisons Minka sous la neige. Je crois presque entendre la neige crisser sous les pas…

-=-=-=-

Rencontre avec la Créatrice de Lumière

Si vous saviez quel plaisir j’ai eu cette semaine à recevoir Marie-Claude de la Chambre des Couleurs ! C’est une femme merveilleuse qui m’honore de son amitié et crée des quilts uniques dont j’ai déjà essayé de vous transmettre l’esprit dès les premiers articles de ce blog :

https://quilteuseforever.wordpress.com/2011/05/11/la-creatrice-de-lumiere/

Elle m’a offert le plus beau cadeau possible en nous apportant cinq de ses quilts ; elle les a exposés, commentés à une assemblée de quilteuses de Haute-Garonne à l’occasion d’une Journée de l’Amitié France-Patchwork. De l’avis général, ce fut un enchantement d’admirer ces patchworks quiltés de facture classique, mais au charme magnétique ; la magie vient sans doute de sa capacité unique à jouer avec les couleurs et la lumière, ses fonds presque toujours sombres mettant en valeur les tissus chatoyants de soie, de coton ou de ramie… Marie-Claude ne se refuse rien si elle considère que ce sera beau, même si la soie lui donne parfois du fil à retordre  ! Elle nous a généreusement donné tous ses petits trucs que vous retrouverez au fil de ses articles sur son blog.

Sa démarche personnelle a marqué l’assemblée : contrairement à la plupart d’entre nous, elle commence avec les tissus et recherche leur meilleure utilisation ; ainsi ci-contre, vous voyez un détail de « Chant d’Etoiles » où soies de kimonos ou cravates usagées jouent ici leur meilleur rôle.

Elle a parfois copié un modèle mais ce n’est pas sa démarche favorite… Et que dire des sublimes tissus anciens japonais tissés artisanalement, parfois un peu rèches, teints à l’indigo et destinés aux vêtements des paysans ou pêcheurs du nord du Japon, à qui elle donne une nouvelle vie ?…

Tout son art lui vient de l’observation inlassable des grands Maîtres de la peinture, connus ou oubliés. Ses goûts sont éclectiques mais sa préférence va vers la peinture européenne du XVIIe Siècle, héritière de la Renaissance, avec bien sûr le clair-obscur qu’on retrouve souvent dans ses quilts, mais aussi l’opulence baroque et raffinée de Rubens, le classicisme joyeux de Poussin… Elle est intarissable sur le bonheur que lui procure la visite des musées. Guettez, sur son blog, ses prochains articles sur son séjour dans la région toulousaine, nous allons sûrement découvrir beaucoup de choses !

Et surtout, admirez sur son blog ses quilts qui ne sortent presque jamais de chez elle ; je dois vous avouer que je craignais d’être un peu déçue en les voyant « en vrai », mais ce fut au contraire un éblouissement. Je suis très heureuse d’avoir pu partager cet immense bonheur avec mes amies de Haute-Garonne, alors au nom de toutes, merci Marie-Claude !

-=-=-=-

Je vous recommande de cliquer sur les petites photos en colonne de gauche pour lire les articles consacrés aux différents quilts de la Chambre des Couleurs

-=-=-=-

Le nom de son blog dévoile son amour pour la peinture, puisque la chambre des couleurs était la pièce où les matières premières destinées à faire de la peinture (pigments d’origines diverses) étaient stockées et préparées pour peindre les tableaux… Mon goût pour les romans historiques me donne envie de vous signaler sur ce sujet :

La Jeune Fille à la Perle, de Tracy Chevalier
L’Enfant de Bruges, de Gilbert Sinoué
La Passion Lippi, de Sophie Chauveau

Ces auteurs ont parfois abordé ce même sujet dans d’autres livres… Découvrez, laissez-vous surprendre !

La Créatrice de Lumière

Vous les Abeilles, vous m’avez entendu maintes fois dire en cours qu’un quilt réussi le doit souvent au respect des valeurs, encore plus que des couleurs. Je veux dire que le choix des tissus compte à plusieurs titres – les styles d’imprimés avec leurs ambiances, les couleurs, l’intensité – mais les valeurs sont parfois oubliées. C’est pourtant une notion simple : imaginez le bloc en noir et blanc, est-ce que le motif est autant visible que vous le souhaitez ? Si c’est oui, le bloc « fonctionnera » même vu de loin !

« Etoiles immobiles » de MC Tsuruya, aux si subtils effets de lumière

Celle qui réussit prodigieusement à manier les valeurs, c’est mon amie Marie Claude. Certains de ses quilts ont une lumière prodigieuse comme une peinture de la Renaissance avec l’utilisation du clair-obscur.

Fichier:La Tour Le Tricheur Louvre RF1972-8.jpg

Ce tableau de Georges de La Tour (héritier de Caravage, de l’époque de la Renaissance) sur fond noir par exemple, avec ses ombres marquées, met d’autant plus en valeur la blancheur de la peau, le chatoiement des étoffes…

Ne trouvez-vous pas une certaine correspondance ? Ce quilt très symbolique est le nouveau-né de Marie Claude, allez lire son histoire sur son blog*.

Marie Claude sait partager son savoir et ses sentiments. Quand elle écrit un article sur un de ses quilts, vous entrez dans l’intimité de ses sources, ses techniques, ses inspiratons, ses difficultés, ses heureux hasards… De plus, elle répondra toujours à vos messages avec l’infinie patience et la gentillesse qui la caractérisent.

Ici un exemple de quilt de style américain faits de « scraps » (restes de tissus), « Les vieilles Ecoles ». Judicieuse alternance des blancs et noirs dans les maisons !

Lorsque j’ai regardé pour la première fois les dizaines de quilts sur son site**, j’avais l’impression qu’il y avait deux artistes, une Occidentale et une Japonaise. L’Occidentale ayant fait des quilts ambitieux dont j’avais souvent gardé les modèles mais que je n’avais jamais réalisés… et la Japonaise qui s’approchait de mon absolue esthétique déjà tant admirée chez Shizuko Kuroha.

L’Occidentale utilisait comme moi dans les années 80 les tissus qui lui tombaient sous la main -les robes, chemisiers et autres vêtements en coton, des coupons de chez Bouchara et des grands magasins, mais encore très peu de tissus de patchwork- pour en faire des quilts enthousiasmants et pleins de souvenirs.

L’Etoile de l’Amitié avec toutes sortes de tissus, y compris des hermines bretonnes !

La Japonaise avait mystérieusement accès à ces tissus rêvés, des gammes d’indigos incroyables, des tissus de kimonos, des soies chatoyantes, des rayures et ikats somptueux, et en faisait des quilts remarquablement équilibrés, lumineux, uniques.

« T comme Tsuruya »,  bloc traditionnel américain avec des tissus japonais, cousu et quilté main. Ce bloc en T majuscule devient autant de petits kimonos !

Les deux artistes ne font évidemment qu’une, c’est Marie Claude avec sa connaissance approfondie de l’Art grâce à une vie passée à visiter les musées, sa passion des livres… et les tissus d’une part,  et d’autre part, son mariage avec Osamu et l’adoption de la culture de son pays d’origine, le Japon.

Détail d’un de mes quilts préférés, « Cubes flottants » 

Je pourrais encore vous parler longtemps de mon admiration et mon amitié pour Marie, mais sa modestie en souffrirait. Sachez encore tout de même que sa famille est son plus grand trésor, ses enfants ont su trouver leur place avec leur bi-culture. Tous restent inquiets du sort des Japonais à la suite du drame du 11 mars dernier. Ici on n’en parle déjà plus, pendant ce temps les Japonais déblayent encore et toujours, avec la ferme volonté de retrouver un jour leur vie « d’avant »…

« Chant d’Etoiles » en soie, dont les cravates de son mari

Ses quilts mériteraient une belle exposition, à Ste-Marie-aux-Mines par exemple. Quelle chance ce serait pour nous Quilteuses que la Créatrice de Lumière nous laisse entrer dans sa Chambre des Couleurs !…

* Son blog vous parle de ses quilts, mais aussi des expos que Marie visite, ses découvertes au fil des promenades et voyages, ses talents culinaires… http://chambredescouleurs.france-i.com/

** Son site existe depuis longtemps déjà, vous avez accès aux photos de ses quilts depuis ses débuts, ainsi qu’à ses précieuses collections : http://www.france-i.com/marie/