Dans notre monde des arts textiles, le Japon compte beaucoup. On y trouve d’abord des artistes exceptionnelles, un raffinement inégalé, des tissus émouvants… Je reste personnellement amoureuse des styles de Keiko Goke, Shizuko Kuroha et de Marie-Claude Tsuruya, Japonaise par alliance. La première incarne la modernité, l’improvisation et la richesse de la fantaisie, alors que les deux dernières subliment les étoffes devenues précieuses par leur ancienneté et leur symbolisme : les vrais indigos, les sarasa et tous ces beaux tissus provenant des kimonos… En ce qui concerne l’art des quilts au Japon aussi, modernité et tradition restent à égalité dans mon cœur.
Même si j’ai admiré les quilts en tissus taupe, je n’en ai jamais été très fan personnellement, mais cela a permis un rapprochement entre nos deux cultures. C’est toujours bénéfique🙂.

Peu à peu, la mode japonaise a quitté le devant de la scène du patchwork mais a gagné les étagères des librairies pour nous insuffler de nouvelles habitudes. Rangeons avec Marie Kondo pour un intérieur minimaliste, épanouissons-nous avec la recherche de notre ikigaï (la raison pour laquelle on a envie de se lever le matin), mangeons comme à Tokyo des sushis et comme à Okinawa une soupe miso au petit-déjeuner, offrons nos cadeaux emballés d’un furoshiki, jouons à Super-Mario et lisons des mangas, promenons-nous dans les bois pour un shirin yoku (bain de forêt bénéfique), apprécions l’imperfection avec le wabi-sabi, les reprises textiles avec le boro et le chiku-chiku… J’ai l’air de me moquer de toutes ces modes venues du Soleil Levant, mais non, j’y suis sensible et parfois m’y adonne avec enthousiasme, comme plusieurs d’entre vous !
Le Kintsugi
Et voici la nouvelle mode venue du Japon !

A vrai dire, j’estime infiniment ce concept.

Ah la beauté de l’imperfection, le wabi-sabi ! C’est un concept que je défends depuis longtemps en patchwork et que j’ai abordé dans mon livre BeeBook (toujours en vente auprès de France Patchwork et, espérons-le, bientôt de nouveau en Salons de loisirs créatifs et en JA !). Avec le Kintsugi, il s’agit de réparer sans essayer de rendre l’apparence du neuf, agir en assumant les rides de l’âge, la marque des fêlures. Les deux principes se complètent : l’acceptation de l’imparfait, du « pas neuf », et la vision de la beauté hors jeunesse et nouveauté.
L’art du Kintsugi est donc traditionnellement appliqué aux objets fêlés, cassés, puis réparés avec un soin extraordinaire : les fêlures sont colmatées à l’or, les défauts sont sublimés, les faiblesses rendent l’objet plus solide qu’à l’origine…

La coach Céline Santini va plus loin en faisant le parallèle entre le Kintsugi et la résilience, ce principe psychologique mis en lumière par Boris Cyrulnik. Il s’agit de la capacité d’une personne à transformer un traumatisme en souvenir acceptable, à partir duquel on peut se reconstruire. On guérit en soignant ses blessures et on devient même meilleur et plus fort.
Son livre détaille à la fois l’art de réparer une fêlure d’un objet à l’or et celui de se réparer psychologiquement, se développer harmonieusement, pour aider à mieux vivre. On lit même que les personnes ayant été cabossées par la vie et qui se sont réparées, deviennent plus touchantes, plus intéressantes, plus authentiques. Le parallèle est saisissant. C’est un beau livre que j’ai eu grand plaisir à lire.

Le Kintsugi en patchwork
Déjà, au 19e, le japonisme, la Japanmania, touchait les artistes occidentaux. Pendant que les impressionnistes et autres peintres contemporains modernes s’inspiraient de l’art de l’estampe, l’art de la craquelure des poteries et porcelaines séduisaient les Américaines au point de s’en inspirer et de créer… le patchwork crazy ! C’est du moins une des versions, la plus vraisemblable d’ailleurs, de la naissance de ce style.


En Angleterre, Charlotte Bailey emballe de tissu chaque morceau d’une porcelaine cassée et les joint en décorant les failles au fil d’or fixé au point de Boulogne, le résultat est incroyable :



Le Kintsugi a fait récemment irruption dans la mode du patchwork moderne, quand il s’agit d’ajouter une petite pièce après une erreur de mesure par exemple. Au lieu de cacher le rattrapage, on le met en valeur, comme ici, après des erreurs de coupe, avec un tissu finement rayé et très visible :
Bien sûr, il apparaît sur des poteries quiltées :
Le principe est devenu plus abstrait en représentant des failles :
Le Kintsugi devient aussi des lignes cassant un bloc, avec les inserts de bandes assemblant le patchwork :
Le livre qui a grandement popularisé le Kintsugi dans le patchwork improvisé est du Britannique Nicholas Ball. Bizarre, je n’ai pas encore pris le temps de vous parler de lui alors que je me sens si proche de sa démarche !

Comme bien souvent, Debbie de Seattle a judicieusement utilisé le modèle pour en faire un quilt, simplement beau comme j’aime :
K comme Kintsugi…
Cette lettre m’inspire pour faire mon premier bloc officiel à la manière Kintsugi – même si, avec les quilteuses Patch d’Oc, nous avions déjà utilisé cette technique d’insertion pour nombre de blocs du blason de Lacaze sans lui donner d’autre nom que patchwork libéré.

K comme Katell. J’ai d’abord pensé écrire mon prénom en langue des oiseaux (piou-piou, cui-cui ? Non, ce sont des jeux de sons, de lettres, de mots, des jeux de sens cachés de mots ou de phrases…), Katell devenant simplement KTL. Le E, avec ses 3 barres parallèles, me semblait le plus difficile à intégrer, mais finalement j’ai écrit toutes les lettres, le E se pliant tout de même gracieusement à l’exercice !

Ce sera un petit quilt, à poser sur une table, avec son esprit discrètement japonisant… Se souvenir de la beauté de la fêlure qui laisse passer la lumière…
A très vite,
Katell