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J’ai reçu aujourd’hui Les Nouvelles n° 146, c’est le magazine des adhérents de France Patchwork. Comme souvent, dans l’adversité, on déploie des trésors d’imagination et c’est ainsi que ce numéro a du corps et une âme.
J’apprécie beaucoup les interventions des déléguées, c’est une nouvelle rubrique en or. Le point commun de celles de ce numéro, Sophie de Normandie, Catherine d’Alsace et Brigitte d’Occitanie, c’est leur modestie, leur incertitude de pouvoir jouer le rôle, avant d’assumer et de réjouir les adhérents de leur département. Et pourtant leurs très beaux parcours attestent qu’elles sont parfaitement à leur place. Que les futures déléguées le sachent, le poste est certes prenant mais si gratifiant !
Ma chère Cécile D. (j’ai beaucoup de chères Cécile dans ma vie), tu devines que j’ai grandement apprécié ton pas-à-pas à la manière de Gwen Marston qu’on n’oubliera jamais !
Les divers articles sur le Crazy – j’en avais justement touché un mot la veille sans arrière-pensée – sont autant de petits plaisirs car le crazy, j’y reviens toujours, à petites ou grandes touches, avec ou sans broderie. Son principe est intemporel en patchwork.
Dans la rubrique Rencontres, Maria Shell nous offre ses variations contemporaines et si dynamiques, Linda Anderson ses tableaux époustouflants et inégalables et bien d’autres quilteuses nous ouvrent leur porte et leur cœur. Mais bien sûr je m’incline devant le talent de Maryte Collard qui a si gentiment accepté de me raconter sa vie sur 4 pages, qui mettent magnifiquement en valeur ses quilts aux inspirations variées. Je vous avais déjà présenté un de ses quilts, sobrement appelé Le Baiser…
Et puis vous avez de très beaux modèles et l’histoire de Quilt en Sud qui nous manque tant…
Nous avons de la chance d’avoir à lire et admirer tant de belles choses ! Merci à toute l’équipe de rédaction, en particulier Sylvie, Edith, Catherine…et toutes les autres moins visibles mais tout aussi indispensables !
Vous avez été touchés par le précédent article montrant des quilts qui expriment des souffrances, par Chawne Kimber. Ce sont des quilts qui parlent, à la fois parce qu’on peut les lire et leur donner la puissance d’un discours, mais aussi qui émeuvent, qui touchent notre cœur.
Je vous propose de (re)découvrir une autre artiste, Gina Adams, qui quilte de manière bien particulière pour dénoncer le mal insidieux de la société américaine, le racisme, terriblement ancré dans son passé. Découvrir tous les traités de paix avec les Indiens écrits par le Gouvernement, jamais tenus, projette une lumière crue sur les origines de ce pays : Quilter pour sa cause.
Détail d’un quilt de Gina Adams montrant un des broken treaties, ces traités de paix entre le gouvernement américain et les Indiens… jamais respectés par les militaires.
On le voit dans l’actualité, le problème du racisme reste aigu. Et pourtant, chaque communauté a tant à apporter aux autres ! Cette fois-ci sera-t-elle la bonne, pour obtenir une égalité de traitement quelle que soit l’origine de chacun ? Les Américains ont fait tout de même des avancées (regardez les films récents montrant les années 1960, Green Book ou Les figures de l’ombre : double peine pour des femmes noires, même géniales !). Le melting pot reste en grande partie une illusion, les origines diverses sont nombreuses, mais on a encore bien trop peu de communautés harmonieusement multiraciales.
On est souvent surpris de savoir les pourcentages d’origines des Étasuniens : bien moins d’Anglais (24,5 millions) que d’Allemands (42,8 millions), majoritaires, suivis par les Irlandais (30,5 millions) puis par les Afro-Américains (25 millions)… L’origine française arrive en 9e position avec 3,8 millions de personnes, derrière les origines mexicaine, italienne et polonaise. Suivent les Amérindiens, un peu moins de 3 millions (y compris d’Alaska). A savoir qu’on pouvait donner jusqu’à 2 origines (Résultats du recensement de l’an 2000).
Nos quilts sont décoratifs, ils sont aussi expressifs avec parfois une citation, une pensée, un prénom, un mot fétiche… Pour cela, bien des techniques sont à notre disposition : broderie, appliqué main ou machine, couture sur papier, piécé (couture patchwork) pour les techniques 100% textiles, ou aussi transfert avec imprimante… De récentes expositions américaines, des publications sur Instagram et sur des blogs montrent de plus en plus de quilts qui parlent, utilisant toutes les techniques. C’est une tradition revisitée, car nombre de quilts anciens comportent des lettres, des signatures, des souhaits, des dédicaces… Voici un florilège de versions contemporaines :
Au QuiltCon 2015, Laura Hartrich pose sur son superbe Quilt for our Bed, où il est écrit en quarts de cercles : Bonne nuit, je t’aime.La quilteuse roumaine Geta Grama nous dit : Rêve jusqu’à ce que tes rêves deviennent réalité ! Un tissu de Michael Miller, imprimé de lettres, est découpé et appliqué.Voir ici sur son blog.Un quilt positif sur les femmes, quilt collectif de Lorna Constantini et the Niagara Modern Quilt Guild (photo d’ici)Paige Alexander a reproduit une page d’écriture à l’ancienne : la marge avec sa ligne rouge, le lignage des cahiers américains et cette phrase qui signifie que l’écriture cursive est un art qui s’efface. Savez-vous que, dans plusieurs États des USA, on n’enseigne plus comment écrire à la main ?… Oui, on enseigne seulement à taper sur clavier dans certaines écoles… (retrouvez l’artiste sur Instagram @quiltedblooms)
Voici le quilt qui rit, inspiré d’un quilt datant de la Première Guerre Mondiale, qui a plu à mon amie LeeAnn : son histoire se trouve sur son blog Nifty Quilts.
Les chemises de son mari ont trouvé une nouvelles vie, HAHA de LeeAnn Decker de Seattle.
Celui dont je ne me lasse pas, toujours de LeeAnn :
Incitation à voter aux élections présidentielles de 2016, par Denyse Schmidt :
Vote, de Denyse Schmidt, 2016. Ce formidable quilt est le modèle d’une grande aventure sur Instagram sous le label #theproverbialquilt. De nombreuses quilteuses écrivent en lettres leurs textes favoris ou leur souffrance ou… ce qu’elle veulent ! La plupart des quilts ont une taille respectable et sont de vrais manifestes.
Quelques Proverbial Quilts :
De Sarah Minshall, une citation de Vincent Van Gogh : Je ne sais rien avec certitude, mais la vue des étoiles me fait rêver. Très beau pour un dessus de lit ! Tu es mon rayon de soleil, tu me rends heureuse quand les cieux sont gris, Cathy deBlueberry Patch
Kristine a fait un quilt qui parle, sélectionné au concours des Modern quilts de France Patchwork. Il était bien différent des autres, n’étant pas dans le style épuré et très géométrique des autres quilts.
J’ai toujours aimé la typographie et pour ce premier concours Modern Quilt en France, l’idée d’un message s’est imposé à moi. J’ai souhaité un message simple, coloré, bien visible, et en anglais pour marquer notre appartenance à un mouvement international. Kristine
Les lettres sont thermocollées puis quiltées pour les maintenir.
Le message comporte un petit jeu de mot, Bee creative, pour évoquer mon appartenance à La Ruche des Quilteuses, le blog de Katell. Kristine
C’est un quilt fait de manière artisanale, sans long arm. Une abeille batifole…
Celle qui a lancé l’écriture improvisée piécée est Tonya Ricucci dès les années 1990, elle a beaucoup joué avec les lettres avec ses amies (Bonnie Hunter, Gwen Marston et tant d’autres) et a finalement pu faire éditer sa méthode en 2011. La technique est bien différente de celle en couture sur papier, l’apparence également. Le superbe bonus, c’est qu’on s’amuse beaucoup en créant ces lettres ! Vous pouvez voir de nombreux quilts plus récents sur Instagram @tonyaricucci.
Merci Tonya, nous te devons tant ! C’est toi qui as initié ce grand mouvement des quilts bavards !
Couverture inspirante de son livre qui détaille son idée de créer des lettres en patchwork.
Voici quelques-uns de ses quilts qui parlent :
Variation sur son drapeau, America, Tonya Ricucci
Mots de quatre lettres, Tonya Ricucci
Sew much Love, Tonya Ricucci : j’adore ce quilt !
La saga des quilts bavards ne fait que commencer !
Dans mon livre BeeBook, j’ai aimé mettre en avant le bloc des étoiles créatives, si rapide et amusant à faire.
C’est aussi le bloc choisi par la délégation France Patchwork des Hautes-Alpes comme Bloc pour la JNA (Journée Nationale de l’Amitié) qui aura lieu le samedi 6 juin 2020 à Gap. Cette JNA est réservée aux adhérents de France Patchwork à jour de leur cotisation, naturellement ! Pour adhérer, veuillez suivre ce lien. Et pour vous inscrire à la JNA, toutes les informations se trouvent dans les Nouvelles n° 143 de France Patchwork, ainsi que les détails pour faire ce bloc d’étoiles.
⭐⭐⭐
Curieusement, Bee Maïté disait ne pas aimer les blocs d’étoiles en patchwork, trop statiques à son goût. Ce bloc d’étoiles plus modernes, plus vivantes, dans la lignée du patchwork improvisé et libéré par Gwen Marston et ses amies, fait scintiller les étoiles et les yeux de Maïté. La machine à coudre étant sa nouvelle copine, vite fait, elle a fait une constellation d’étoiles pour la JNA :
Vendredi dernier, Maïté nous a montré ses étoiles créatives, très scrappy (utilisation massive de chutes de tissus !)
C’est tellement simple à faire que Maïté projette d’occuper ses petites-filles aux prochaines vacances en faisant des étoiles ⭐⭐⭐. Cette même technique peut s’utiliser en intersection de bandes intermédiaires d’un quilt où les blocs sont montés traditionnellement :
Voie Lactée, un quilt fait de nombreux blocs orphelins, est devenu un quilt d’enfant (même principe chez mon amie Ana Maria !). Les intersections sont faites d’étoiles créatives et le molleton, plus épais que le Nuage, le rend très chaud et confortable. Voie Lactée est un quilt de BeeBook.
Une folle étoile sur fond blanc, c’est chouette aussi !Enfin un rayon de soleil ce matin !
Ce bloc est simplement additif, où le centre peut être un simple carré ou bien, comme ici, un mini-crazy à la machine, fait de p’tits bouts de tissus qu’on ne jette même pas…
C’est souvent le bloc-bonus du stage que je propose sur les assemblages en patchwork improvisé (coupes à main levée, courbes à la machine), succès assuré ! En 2021, je serai en mesure de vous proposer un autre thème de stage, au cœur des préoccupations des quilteuses… A suivre !
A bientôt, portez-vous bien, gardez le moral ! Katell
Elle est discrète et se met si peu en avant qu’elle devient invisible, mais si elle n’est pas là tout change. Indispensable donc, elle est rarement au centre de la conversation et pourtant elle est, vous le devinez, toujours à l’esprit.
Qui est-elle ?
C’est la marge de couture, qui varie selon les siècles, les habitudes, les techniques. Si elle est absente, le patchwork bascule dans le mix-media ou art textile, avec l’utilisation de colle ou autres moyens d’attache et le tissu qui reste à cru. Certains appliqués sans marge de couture font l’exception, restant de style traditionnel en laine à cru par exemple.
Des appliqués sans marge de couture restent dans une certaine tradition, en flanelle ou feutrine, plus rapides à réaliser. Création Cosabeth Parriaud pour Marie-Claire Idées.
La discrète est essentielle et aujourd’hui, pour une fois, la discrète se fait vedette⭐.
Le patchwork mosaïque
Commençons par le patchwork en mosaïque, qui est une des origines de notre art. Il est appelé aussi patchwork à l’anglaise, car c’est chez nos voisins et néanmoins toujours amis malgré le Brexit 😏 qu’il est né. Technique utilisée de nos jours principalement pour faire des hexagones, c’était l’unique moyen, naguère, d’assembler toutes les pièces de récupération des couturières (en soie, satin, brocart et autres étoffes glissantes), un gabarit en papier de l’exacte forme et dimension de la pièce cousue qu’on recouvre et « emballe » de tissu.
Et la Discrète ? Ici les marges de couture doivent être suffisantes, mais il n’y avait pas vraiment de règle : on coupait à vue, juste assez pour bâtir en enveloppant le papier.
Le plus ancien patchwork qui nous reste, fait en patchwork à l’anglaise, est daté de 1718. Il est cousu sans aucune pièce appliquée, ce qu’on pourrait croire en le regardant :
Pour le tricentenaire de ce vétéran, Susan Briscoe et la British Quilters’ Guild ont exposé en 2018 à Birmingham plus de 20 répliques de ce chef d’oeuvre. La gagnante du concours est Denise Geach, mais saluons le travail de bravoure de chacune !
Le patchwork américain
Le patchwork à l’anglaise est bien long à faire, avec l’étape fastidieuse et dispendieuse des gabarits. Par souci de rapidité et l’utilisation d’autres tissus moins fuyants comme la laine et le coton, les femmes ont inventé une autre manière de faire : assembler les pièces en mettant les tissus endroit contre endroit, les coudre à la main ou à la machine après avoir tracé, à l’aide de gabarits en carton ou métal réutilisables, les formes directement sur le tissu (et donc les lignes de coutures).
La Discrète est encore ajoutée à vue d’œil : soit on découpe après avoir dessiné la pièce, à la distance la plus petite possible du trait pour économiser le tissu, soit on a pris soin de s’approcher le plus possible du bord du tissu au moment du dessin. Sur la plupart des quilts anciens un peu ou beaucoup déchirés, on constate que les marges sont minimes, 1/8e d’inch (entre 3 et 4 mm) était tout ce qu’on laissait à la Discrète… d’où les déchirures, l’effilochage des tissus coupés ou déchirés en droit fil.
Le dos de ce quilt inachevé montre que les traits de couture ne sont pas tracés par toutes les quilteuses et que la couture du tissu à carreaux est à la limite de l’effilochage… Cela ne tiendra pas longtemps, même quilté(photo de Flickr)
Au cours du 20e siècle, les magazines, les livres de quilteuses chevronnées donnaient de bons conseils : si vous voulez que votre quilt tienne bon, qu’il devienne un Heirloom Quilt (quilt qui sera transmis en héritage), mettez environ 1/4 d’inch (6,35 mm) comme marge de couture… ce qui semblait, pour la plupart des quilteuses, un gâchis terrible !
Quilt américain appartenant à Caroline, en gardiennage chez son amie Kristine : vaut-il la peine d’être restauré ? Telle est la question…
Ce quilt n’est probablement pas très ancien, c’est un Log Cabin fait à la machine dans les années 1960 peut-être. Le 1/4 d’inch est quasiment respecté mais, autre problème, le fil blanc a cisaillé le tissu de coton… Probablement un fil en polyester, trop solide pour les cretonnes et les divers tissus en coton utilisés… A garder en mémoire !!
La discrète révèle non seulement les habitudes des quilteuses, mais aussi… la couleur d’origine des tissus qui n’a pas été délavée par les UV !
Ce n’est que sur la marge de couture qu’on a une idée de la couleur d’origine du tissu.
Le Crazy
Là encore, on ne parle pas de marge de couture, on coud dans tous les sens, on pratique un mélange de piécé et d’appliqué, on ajoute des broderies qui tiennent le tout, la discrète n’a pas la parole alors qu’elle est omniprésente, cela va de soi. Mais en évoquant la folie du crazy, on peut se rapprocher des vraies origines multicentenaires du patchwork, l’assemblage en puzzle de tout ce qu’on avait comme textiles, quelle que soit la forme de la pièce, ou bien la réparation des vêtements ou linges de maison avec l’ajout d’une pièce pour cacher un trou… Il y aura une marge de couture minime… Économie oblige !
On vient de le voir, l’appliqué fut d’abord une pièce de réparation, puis devint un loisir de femme aisée : coudre un tissu neuf sur un autre neuf ne se fait que pour des raisons esthétiques ! Là encore, les marges de couture sont souvent minimes et il faut beaucoup de petits points pour bien fixer le tissu décoratif sur son fond. On rentre généralement la marge de couture en s’aidant du bout de l’aiguille. La discrète est glissée et coincée, ni vue ni connue, entre les deux tissus.
Le patchwork avec l’utilisation du cutter rotatif
On l’a vu, pour du patchwork durable, on préconisait environ 1/4 d’inch, mais au vu des quilts anciens, on sait que la discrète était plus petite, presque toujours.
Vint l’avènement du patch moderne grâce à mon objet fétiche : le cutter rotatif ! Avec lui, les marges de couture se sont normalisées car, révolution, on ne marque plus le trait de couture : on coupe en ajoutant la valeur de 2 marges de couture (de part et d’autre de la pièce). Pour un carré de 2 inch, on coupe un carré de 2 1/2 inch. Simple comme bonjour ! Comme cette évolution est arrivée des USA, il a fallu convertir pour le système métrique. Dans les années 1990, les premiers livres en français qui présentaient cette méthode préconisaient 5 mm de discrète et donc un ajout très pratique d’1 cm (pour un carré cousu de 5 cm, on coupe 6 cm), mais cela s’est avéré un chouïa trop juste et la règle d’or est à présent d’ajouter 1,5 cm. Le quatuor cutter-règle-planche et machine à coudre fonctionne à merveille, il faut avoir un pied de biche de la bonne largeur (celle de la marge de couture) et hop ! tout est précis, vite et bien.
Sauf que… il y a l’épaisseur du tissu, celle du fil, le pli… et pour avoir un résultat absolument parfait, il faut coudre juste un peu moins que le quart d’inch, en anglais on dit coudre a scant quarter inch seam allowance.
Et en centimètres ? Personnellement j’obtiens de bons résultats avec :
un pied de biche d’un quart d’inch et les tissus tout juste au bord (donc une couture à 6,3 mm du bord, au lieu de 7 mm)
un repassage de la couture sans ouvrir les tissus d’abord (toujours mis endroit contre endroit), puis j’ouvre en repassant les marges sur un côté
dernière action : l’équerrage, le bloc étant logiquement trop grand d’1 mm environ. Je corrige tout petit problème. Avec des blocs complexes aux nombreux pavés intermédiaires, je me repère toujours aux correspondances de coutures centrales, non à la marge de couture.
Mais voilà que des quilteuses libérées et rebelles, avec Gwen Marston en mentor, ont remis en cause l’esthétique parfaite des quilts de la fin du 20e siècle. Avec tous les modèles repris à l’infini, calqués les uns sur les autres, cela engendrait un monde de quilts magnifiques certes, mais manquant de personnalisation, une perfection sans jubilation. Armée de son cutter, Gwen et ses amies ont repris l’esprit de « faire avec ce qu’on a », sans renier le progrès.
Ce quilt de Gwen Marston a une structure classique, mais les string blocks (blocs faits de bandes) sont cousus sans fondation, sans respect de la vraie diagonale, en prenant les bandes de tissus comme elles viennent, en s’amusant surtout… Il en résulte un quilt bien plus vivant et gai que s’il était coupé droit !
Si par exemple un tissu présente une courbure, au lieu de l’équerrer droit, on va tirer avantage de ce mouvement. Comme avant, chaque oeuvre devient absolument unique, on parle de processus d’improvisation et de création, au lieu de copie d’un modèle.
Ce quilt a été inventé au fil du temps, assemblé en tenant compte des mouvements des blocs non équerrés.Velours Rouge, Katell.
Et la discrète ? Eh bien, c’est toujours sa nature de rester en retrait ! Les quilteuses faisant des quilts improvisés l’ont constamment à l’esprit, mais elle ne sera pas nécessairement pile-poil d’un quart d’inch, les coupes souples ne sont plus en droit fil et ne s’effilocheront donc pas : on a une tolérance légèrement en-dessous et au-dessus du quart d’inch ou des 7 mm, au coup d’œil… mais nous l’avons à l’œil, la discrète, elle ne doit tout de même pas être trop fine !
Quand la discrète fait sa star
Comme toute règle peut être détournée, voici différents exemples d’une discrète devenant star ⭐
Tout d’abord un style country, coutures apparentes frangées et ébouriffées, amusant à faire mais vite passé de mode, les rag quilts :
Puis la modernité et l’audace de l’Allemande Inge Hueber, qui s’est fait une spécialité de la marge de couture visible, en tournant son top : l’envers devient l’endroit ! Il en découle un flou artistique, des limites indéfinies comme dans une légère brume :
Natalie Chanin, elle aussi, a fait des quilts avec le top « à l’envers », montrant fièrement les coutures :
Indigo Star Quilt de Natalie Chanin. Première particularité : les coutures visibles décoratives. La seconde : la matière est en jersey de coton, oui, celle des tee-shirts !
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Discrètement, la marge de couture se cache au cœur de vos quilts, bien à l’ombre des projecteurs… Mais veillez sur elle, sur ses épaules repose la pérennité de votre ouvrage !
Que faire au 19e siècle aux Etats-Unis quand on a un esprit curieux et scientifique ? Pour un homme, la question ne se pose pas dans ces termes. Pour une femme, il faut que ce soit acceptable, convenable.
Pour une femme vivant dans l’Iowa rural, une des occupations scientifiques convenables était l’astronomie, sans doute parce que c’était propre et lointain… Sarah Ellen Harding Baker (1847-1886) réussit à mener sa vie familiale avec 7 enfants nés (5 survivant aux difficultés de la petite enfance) et ses recherches sur le système solaire. Elle n’eut pas le temps de poursuivre longuement sa carrière, la tuberculose l’emporta à 38 ans.
Pour transmettre son savoir acquis par de multiples lectures pointues, elle faisait des conférences… mais elle n’avait pas de Power point… Elle fit donc un quilt immense, bien visible en conférence : 225 x 269 cm !
Le top est fait sur une étoffe de laine noire, doublé d’un tissu laine et coton, brodé et appliqué de laine et de soie. Il fut terminé au bout de 7 ans. Il est dans l’esprit des gravures scientifiques d’alors et son système solaire est exact. Elle passa de longues heures au télescope de Chicago pour bien capter les lunes de Jupiter, les anneaux de Saturne… Bien sûr Pluton n’y est pas, planète découverte en 1930.
Ce quilt est conservé au National Museum of American History, à Washington D.C.
L’Allemande Caroline Herschel (1750-1848… vécut 97 ans et 10 mois !) fut la première femme astronome professionnelle au monde, suivie par Maria Mitchell (1818-1889) aux USA. Toutes deux furent de brillantes astronomes. Dans la galaxie des scientifiques de l’espace, elles y laissèrent leur nom (chacune a un cratère de la Lune à son nom, ainsi que des comètes). L’Américaine, en bonne Quaker, ne s’habillait jamais en coton, pour ne pas soutenir l’économie du coton américain lié à l’esclavage…
Je prends ici le temps de vous présenter une oeuvre de Judy Chicago, artiste contemporaine, qui dans les années 1970 créa une table triangulaire de 39 places, chacune étant dédiée à une femme remarquable. Pour chacune, une place avec des symboles, un chemin de table brodé par l’artiste. Certaines évocations très explicites sur l’anatomie féminine ont fait couler beaucoup d’encre !
The Dinner Party, exposé à présent au Musée de Brooklyn
Parmi ces femmes, l’Allemande Caroline Herschel est présentée ainsi :
Broderie à la main par Judy Chicago. C’est superbe, sans scandale, sans critique !
« Miss Cecilia H. Payne – Harvard Obs. Astron. »
Au XXe siècle, la chercheuse brillantissime Cecilia Payne, née en Angleterre en 1900, fit scandale quand elle décida de garder son poste alors qu’elle venait de se marier. Pire, elle osa faire une conférence enceinte de 5 mois. Chocking n’est-ce pas ? Je ne saurai pas entrer dans les détails, mais elle fut la première à découvrir, à 24 ans, que les étoiles sont primairement faites d’hydrogène, elle fit de brillantes recherches sur les étoiles variables, les supernovas… et elle broda, au crépuscule de la vie, une image pixelisée des vestiges de la supernova Cassiopée :
Représentation de ce qui se passa il y a des centaines d’années, à des milliers d’années-lumière de chez nous, avec un art traditionnel féminin. Quelle poésie ! Cette broderie est conservée dans les archives de Harvard. 1975
Au 21e siècle, des femmes sont astronautes… et néanmoins quilteuses, du moins Karen Nyberg ! Pendant les 5 mois de travail intensif dans la station spatiale en 2013, elle trouva le temps de coudre le premier bloc fait dans l’espace ! Elle raconte qu’elle a eu du mal à couper et coudre en apesanteur et estime que ce n’est pas un chef d’oeuvre… mais quel exploit, indéniablement ! Dans cette video elle partage avec nous ses difficultés avec humour et lance un challenge.
Les tissus ne se laissent pas couper facilement en apesanteur.
Une étoile libérée à la manière de Gwen Marston…
C’était en 2013. Elle propose en fin de vidéo que des quilteuses cousent d’autres blocs d’étoiles pour en faire un quilt à exposer à Houston en 2014. Ce qui fut fait, et au-delà !
Une star, Karen Nyberg, autour d’autres stars… 2 200 blocs d’étoiles sont arrivés à la suite de sa proposition et 28 quilts ont été faits ! A Houston en 2014, voici Karen avec le quilt comportant son étoile faite dans l’espace…
Une blogueuse, Katie, a photographié les 28 quilts que vous pouvez voir ici. L’exposition itinérante continue son chemin, elle était à Winedale (TX) en février dernier. La collection de quilts a été offerte au Briscoe Center for American History à Austin (Texas).
Parmi la myriade d’étoiles, un bloc fit sensation :
« Portrait de l’astronaute quand elle était jeune fille ». Il se trouve dans le même quilt que l’étoile de Karen.
Dans les blogs de quilteuses américaines se trouvent d’innombrables photos de cette dame à l’élégance naturelle et un humour vif qu’on devine dans cette mosaïque de photos :
C’était en 2016, sa dernière année professionnelle, à Sisters en Oregon. Gwen donne de sa personne pour expliquer une technique ! Photo de ce blog.
Gwen eut des milliers de stagiaires, et heureusement pour les autres, écrivit une trentaine de livres. Ses premiers sont très proches de l’art amish, avec des gabarits en carton. Puis dans les années 1990, elle voulut trouver l’essence des blocs, les simplifier, utiliser le cutter rotatif, puis libérer les quilteuses des « il faut » et « il ne faut pas »…
Gwen utilisait surtout les unis et quiltait de préférence à la main, un lien maintenu avec la tradition amish qu’elle admirait. Photo de Kristin Shields
En septembre dernier, LeeAnnm’a longuement parlé de la santé de Gwen qui faiblissait. Nous espérions pourtant qu’elle puisse profiter encore quelques années de sa retraite prise à… 80 ans.
Je l’avais invitée chez moi pour un stage informel en France en 2018, mais sa santé ne le permettait plus. Un exemplaire de BeeBook lui était réservé, elle m’a un jour appelée sa représentante officielle en France… J’essaierai toujours d’en rester digne.
Gwen Marston a montré la voie d’un patchwork contemporain, très joyeux, qui chante à mes yeux. Comme toutes les Gwennie Girls, j’ai perdu mon mentor et je pleure.
Un jour, j’ai reçu un gentil mail d’une personne qui voulait avoir quelques renseignements sur un quilt en photo dans le Simply Moderne n°5. Pourquoi à moi ? Parce que c’était un quilt de Gwen Marston et j’ai la plupart de ses livres ! Voici la photo :
Pour info, on peut voir ce quilt en particulier dans le livre Liberated Medallion Quiltmaking, page 38. Il y a la photo légendée, mais pas d’explications pour le faire. C’est clairement d’inspiration Amish avec presque tous les tissus unis, sauf le noir du centre qui est un imprimé très discret ton sur ton.
Différent mais dans le même esprit, Sujata Shah a créé son logo ainsi :
Infinies possibilités sur un même thème !
Christiane s’est donc inspiré de la photo pour réaliser un quilt pour une amie… Quel beau cadeau !
Pour convenir à l’intérieur de son amie, la couleur dominante est ici framboise écrasée. Christiane a bien respecté la liberté de coupe des tissus et a osé associer l’orange au rose vif… comme Yves Saint-Laurent ou Christian Lacroix !
Cerise sur le gâteau, oh pardon sur l’étiquette : Merci d’avoir partagé ce quilt avec nous Christiane, et bravo !
… a créé des paysages féeriques en France cette semaine, et même si nous n’avons pas eu un seul flocon tombé dans la région toulousaine, nous pouvons admirer de loin par temps clair les cimes pyrénéennes toutes blanches… C’est sans doute ce qui a inspiré Kristine ! Hier, journée hebdomadaire de rencontre des Abeilles, nous avons pu admirer le fruit de son travail :
Le quilting méticuleux de Kristine est beige clair, en petites boules évoquant la neige qui tombe à gros flocons. Cerise sur le gâteau, notre péché mignon, l’utilisation de lisières !
Ce quilt est inspiré d’une oeuvre faite par Kristin Shields de l’Oregon, Etat aux grandes forêts de pins ! Il est présenté dans le dernier livre de Gwen Marston et Cathy Jones sur l’utilisation moderne des triangles, Free Range Triangle Quilts, AQS Publishing, livre que nous aimons beaucoup, comme tous ceux de Gwen !
Une pensée pour les Américains, anxieux à l’arrivée d’une tempête de neige sur une grande partie nord-est… Tout est question de dose, trop de neige signifie le chaos…