Ylang-Ylang

Les calendriers de l’Avent montrent notre avancée vers Noël et les fêtes de fin d’année, de grandes joies pour beaucoup, de grandes peines pour d’autres, quand un être cher manque ou pour toute autre raison. Pour le dernier article de l’année, je voulais vous donner les perspectives textiles pour 2025, mais la catastrophe naturelle à Mayotte me fait changer de sujet.

Mise à part sa location géographique, j’étais parfaitement ignorante de tout ce qui avait un rapport avec Mayotte, à part mon vague souvenir de la séparation d’avec les autres îles comoriennes dans les années 1970, et la volonté des Mahorais de rester Français.

Ce qu’on voit et entend de la situation de l’île, même avant la catastrophe, est une situation dégradée dans tous les domaines, alors que la vie pourrait – hors cyclones – y être paradisiaque, avec une nature extrêmement belle et généreuse. Se trouver juste sur le parcours de l’œil du cyclone est une calamité imprévisible, tout est à reconstruire, autrement si possible…

Cette jeune femme porte une robe confectionnée avec un tissu typiquement mahorais, à l’imprimé ylang-ylang.

En voyant des Mahorais à la TV, je m’étonnais de les voir arborer un tissu avec un motif particulier, une étoile aux branches courbées, qui s’avère être une fleur à six pétales. Les femmes portent ce motif en robe, les hommes en bandeau ou en écharpe. Il s’agit de la merveilleuse fleur d’ylang-ylang, un des symboles de l’île de Mayotte, surnommée l’île aux parfums !

L’ylang-ylang est originaire d’Asie du Sud-Est,
qui a le même climat tropical chaud et humide que Mayotte.
La légende raconte que dans les Philippines,
un couple se voit offrir un bébé par les Dieux, une petite fille, Ylang,
qu’il ne fallait pas toucher. Elle grandit en beauté,
un homme tombe amoureux d’elle et lui offre
le plus beau bouquet de fleurs qu’on puisse imaginer…
et il touche par inadvertance sa fiancée.
Celle-ci se transforme en arbre magnifique,
aux fleurs qui ont un parfum inoubliable.
Le fiancé désespéré, court partout en criant Ylang, Ylang !…

Le vendredi à Mayotte, c’est le jour de la beauté féminine. Si on s’habille à l’occidentale les autres jours, le vendredi c’est le grand jeu avec le vêtement traditionnel, le salouva, inspiré du sari indien : une grande pièce de tissu, cousue sur un seul côté, s’enfile et se noue harmonieusement sur l’épaule, ou à la taille. S’y ajoute parfois un châle, ainsi qu’un maquillage bien particulier : un masque au bois de santal protecteur ou au curcuma finissent la parure !

Le fond est ici au curcuma, le dessin est de la poudre de santal à l’eau, avec laquelle on peut dessiner des motifs. Ce maquillage est destiné à l’origine à la protection de la peau contre le soleil ardent, il s’est enrichi de dessins, surtout pour les plus jeunes.

Photos de Rod Waddington et Giorgio Minguzzi.

Fierté mahoraise, un vendredi… Cet imprimé rouge, jaune et noir reste le favori, c’était le premier, créé en 1991.
Une Miss Salouva, avec un tissu aux ylang-ylangs et hippocampes. La nouvelle élection 2025 devait se faire samedi dernier, jour du cyclone…
Ce tissu est un des grands succès de ces dernières années ! En vente dans le magasin COMEMA (Mayotte). Souhaitons-leur de rouvrir rapidement.

Qu’en est-il des plantations d’ylang-ylang ? Ce fut un très bon débouché pour les Mahorais, tant que Guerlain achetait son extrait à Mayotte. Le départ du célèbre parfumeur (en raison du coût de la main d’oeuvre, principalement) rend cette activité marginale. Et pourtant, certains continuent, favorisant la qualité. On a le cœur serré quand on pense que tous ces efforts doivent être anéantis par le cyclone…

Finalement, peu de monde allait visiter Mayotte, en raison de la pauvreté, de la violence, du manque d’infrastructures. Et pourtant, certains faisaient tout pour attirer les personnes curieuses de la nature : le jardin d’Imany proposait des activités très tentantes autour de l’ylang et d’autres plantes locales.

Dans le jardin botanique d’Imany… avant le 14 décembre.

En cherchant des informations sur l’ylang de Mayotte, je suis tombée sur les Chatouilleuses, menées par Zéna M’Déré (1920 ou 1922 – 1999). Zéna adorait cette fleur, comme beaucoup de femmes mahoraises du reste.

Zéna M’Déré, peu de temps avant sa disparition.

Mais c’est pour son action politique qu’elle est l’une des personnalités les plus connues de l’île. En 1966, l’archipel des Comores est un territoire français autonome ; le gouvernement veut faire déménager la capitale de Mayotte sur une autre île (Grande Comore). Les femmes des fonctionnaires visés ne veulent en aucun cas quitter leur chère Mayotte ! Alors la légende dit que leur arme fut de chatouiller les officiels comoriens qui venaient sur Mayotte – ce n’est pas interdit ! – et les faire repartir ainsi.

 Nous commencions à tirer sa cravate, sa chemise puis on criait : « Chatouillons-le ! ». Imagine, vingt femmes en train de chatouiller quelqu’un ! Il tombait directement par terre. La route n’étant pas goudronnée à cette époque, nous l’arrosions de poussière partout. On lui en mettait dans ses poches, sur sa chemise… Au bout d’un moment, il commençait à suffoquer : « Hum, hum, hum, hum… ». Et là, on le laissait partir pour ne pas le tuer.
Archives départementales de Mayotte (ADM), entretien avec Zaïna Méresse (traduction par Faouzia Antoissi)

En réalité, les actions étaient également plus agressives, comme jeter des cailloux toute la nuit sur les toits de tôle des favorables à l’indépendance des îles comoriennes.

Cette révolte des femmes a contribué à aboutir en 1976 à l’exclusion de Mayotte de l’indépendance des îles comoriennes, et les femmes ont largement contribué à ce que Mayotte reste française.

Les Chatouilleuses savaient ce qu’elles voulaient,
mais il leur était difficile de dialoguer directement
avec les représentants parisiens parce qu’elles n’avaient pas été à l’école.
Yasmina Aoudy, militante, féministe et écrivaine

Le combat pour intégrer pleinement la France a cessé en 2011, l’île est devenue le 101e département français. Les infrastructures n’ont pas suivi, mais le plus pauvre des départements français est tout de même bien plus riche que les îles indépendantes. Les Chatouilleuses ont des descendantes, des jeunes femmes modernes et connectées, qui luttent pour une meilleure scolarisation des enfants, des débouchés professionnels à développer… Les femmes mahoraises sont déterminées et courageuses !

Ces femmes mahoraises arborent un tissu Ylang, avec le portrait de Zéna M’Déré. De nombreux groupes de femmes se réunissent ainsi dans l’hexagone, étudiant pour mieux aménager leur île par la suite.
Non, nous ne voulons pas ! C’était le leitmotiv de Zéna qui combattait l’indépendance des îles comoriennes en incluant Mayotte.

Pourquoi cet article aujourd’hui ? C’est le premier vendredi « d’après ». Après ce cataclysme, les femmes auront-elles à cœur de célébrer leur beauté aujourd’hui, comme tous les autres vendredis, comme une forme de résistance ? Le pourront-elles ?… Je voulais aussi simplement parler d’elles, qui luttent aujourd’hui pour obtenir de quoi boire et manger pour leur famille, les abriter des prochaines pluies…

On ne sait pas comment résoudre les multiples problèmes de l’île, mais toucher le fond de l’horreur comme ces jours-ci permettra peut-être de remonter, en évitant les erreurs du passé. Et ça, les femmes, avec leur sens pratique, ont leur mot à dire. Beaucoup de jeunes femmes n’acceptent plus le patriarcat, elles savent mieux que tous les autres ce qu’il faut à l’île pour se reconstruire. Je leur souhaite de tout cœur beaucoup de courage pour les jours, les semaines, les mois, les années à venir. Qu’elles soient écoutées, entendues, suivies, la reconstruction les concerne en premier lieu !

L’ylang-ylang sera-t-elle la fleur étendard du renouveau mahorais ?

Je vous souhaite une belle fin d’année malgré tout !
N’oubliez pas d’oser partager votre passion pendant ces fêtes
avec les jeunes que vous rencontrerez,
donnez-leur l’envie d’essayer la création textile à leur tour !
Merci pour cette année riche en belles rencontres,

À Bientôt !
Katell

36 commentaires sur « Ylang-Ylang »

  1. merci Katel pour cet article.

    j ai une pensée pour la maman, la sœur ainsi que la famille de Yasmina, l épouse de mon neveu Jérôme, qui sont à Mayotte et vont bien.

    belles fêtes de fin d année à toi et les tiens.

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  2. merci pour cette leçon d’histoire d’un peuple qui lutte pour survivre ! Les femme mahoraises son très courageuses ! Bonnes fêtes de fin d’année !

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  3. toujours plein de découvertes grâce à vous,de belles fêtes à vous et revenez nous enchanter encore en 2025.amities

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  4. Katell, vous nous avez offert un reportage très intéressant (et pour moi très enrichissant, car j’ignorais presque tout de ces îles !)

    Le textile est pour nous une fois de plus une ouverture sur le monde, ses richesses comme ses malheurs et catastrophes naturelles !! Merci pour vos recherches et ce partage avec toutes les passionnées de tissus.

    Annie

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  5. Merci Katell de ces recherches qui nous montrent Mayotte sous un autre aspect que celui des migrants que les médias veulent bien nous donner.

    J’imagine bien une île paradisiaque… non loin de La Réunion. La voir dévastée fait mal et nous prouve, s’il le fallait encore, combien les catastrophes naturelles prennent de l’ampleur en raison de la dégradation climatique.

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    1. Je n’ai pas développé cet aspect, mais en Espagne aussi et ailleurs, c’est la température excessive des mers et océans qui causent ces phénomènes brutaux. Et on sait bien que cette montée si rapide des températures est due aux activités humaines…

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    1. Le plus récent des départements… Une histoire liée à l’Hexagone depuis bien longtemps, une volonté de rester français, oui c’est bien d’avoir quelques repères !

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  6. Merci Katell pour tout ce que tu m’apprends! J’ai toujours un grand plaisir à lire tes articles.

    Je te souhaite de belles fêtes de fin d’année et à l’année prochaine pour de nouvelles aventures 🙂 !

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    1. Ma chère Martine, de très bonnes fêtes à toi aussi ! J’ai été ravie d’être invitée dans ton magasin si cozy… Nous aurons des occasions de nous revoir en 2025 !

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  7. merci Katell pour ce bel article! Je fais justement colorier par mes élèves de 5ème cet après-midi des images de Mayotte pour décorer ma classe et faire un moment de solidarité avec cette île bien tourmentée! La fleur fait partie des motifs sélectionnés!

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    1. C’est une très bonne activité pour clore l’année, des couleurs et une pensée pour les îliens dans la détresse…
      Passe de très bonnes vacances, repose-toi ma Coco !

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  8. Magnifique reportage et bien documenté j’ai appris beaucoup de choses, merci. Belles fêtes de fin d’année.

    Dom63

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  9. merci encore pour ce nouvel article qui met en avant des êtres anonymes mais dont les histoires ne doivent pas rester dans l’ombre.

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  10. Encore un super article. C’est tellement important de nous partager toutes ces infos sur Mayotte. Et surtout ce pouvoir que peuvent avoir les femmes quand elles s’allient. Tout ça réveille dans ma mémoire l’odeur de l’ylang-ylang que j’avais découvert en Haïti, autre terre de misère. MERCI . Et que la Joie de Noël envers et contre tout envahisse nos cœurs et nous donne d’avancer.

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    1. Merci Thérèse ! Nous aurions tellement envie d’un monde parfait… Et on peut avancer en favorisant la place des femmes, j’en suis convaincue, nous sommes tout de même la moitié de l’humanité !
      Joyeux Noël Thérèse, malgré tout…

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  11. Merci Katell pour tout ce que tu m’apprends. Les femmes ont une sacré force. Il va leur en falloir pour reconstruire cette île! Les tissus sont magnifiques. Des souvenirs de la petite fille que j’étais ont ressurgi. Mon oncle, en poste à Tahiti avait rapporté quelques fleurs d’ylang ylang, un peu différentes de celles de Mayotte. Puissent les fleurs à nouveau sortir de la terre de Mayotte et sur les robes des femmes!

    J’ai lu sur FB ce que Muriel Figuière a écrit. Coeur serré pour ces jeunes filles loin de chez elles dans ces conditions!

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    1. Oui, tous les Mahorais dans l’Hexagone qui n’ont pas de nouvelles vivent également une terrible épreuve. Et aller dans l’île comme prévu pour Noël est impossible… Tant de souffrances. Prenons des forces, pour aider le cas échéant !

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  12. Merci Katell pour la transmission de ces informations sur Mayotte, une île du bout du monde pour nous que nous ne connaissons pas ou très peu. Et n’oublions pas non plus les îles Vanuatu.

    Malgré toutes ces informations anxiogènes, je te souhaite de passer de bonnes fêtes de fin d’année !

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  13. Merci Katell pour tes recherches et ce bel article intéressant sur Mayotte. Bien jolie fleur et jolis imprimés.

    Pensées positives pour Mayotte.

    Joyeuses fêtes de fin d’année.

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  14. Katell je te remercie de partager le terrible choc qu’a subit Mayotte. Mon compagnon est Mahorais, il est très difficile d’avoir des nouvelles des membres de sa famille. De vrais nouvelles pas celles qui passent aux infos … c’est un peuple qui attends de l’eau , de l’électricité et de la nourriture en urgence !!!

    Passes de bonnes fêtes 🌲

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    1. Merci pour ton témoignage. Que ce doit être difficile de manquer ainsi de nouvelles… Ils subissent une terrible épreuve, vous aussi…
      Si tu as une idée à nous soumettre pour aider, n’hésite pas à m’écrire. Pour les dons financiers, c’est à chacun de décider, mais je pense à une aide qui concerne notre art et nos tissus.
      Passe malgré tout de bonnes fêtes, et transmets de gros bisous à ta fille de ma part !

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  15. merci pour cette leçon d’histoire très inspirante. Bravo à toutes ces femmes. Bon courage aux Mahoraises et Mahorais pour reconstruire leur paradis perdu

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    1. Merci pour elles ! Nous savons que ce sera très difficile, mais avec des projets bien pensés, de l’aide bien sûr, ce n’est pas impossible de retrouver une belle vie !

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  16. Merci Katell pour cette découverte culturelle maintenant au détour des reportages mon œil est attiré par la fleur d’ylang-ylang sur les tenues des femmes interrogées.

    Bon réveillon 🥳🎉

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    1. Oui on les voit, plusieurs femmes portent des coiffes avec les ylang-ylangs aussi ! La situation est compliquée, souhaitons-leur de rebâtir dans de meilleures conditions, pour un avenir rayonnant !
      Je pense aussi au manque flagrant d’éducation nationale, c’est la base d’une société qui va bien…

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