Toile de Jouy pour Bournville

C’était au cours d’une conversation dans le groupe FB de La Saga de Lucinda, Cécile écrivit rapidement qu’elle avait fait un quilt à partir d’un livre de Jonathan Coe. Si vous me connaissez un peu, vous savez que c’est une histoire qui m’intéresse au plus haut point ! Alors je lui ai demandé de me transmettre un texte et des photos. J’ai été séduite par sa plume, son esprit, son quilt. Alors voici l’histoire de Bournville, par Cécile Demeude !

La toile de Jouy, délicieusement désuète… Photo d’ici.

Je fais partie d’un club de patchwork dynamique, tourné vers le patchwork traditionnel mais aussi le patchwork moderne, cette ouverture d’esprit me convient : c’est La Feuille d’Érable à Saint-Martin-le-Beau, en Indre-et-Loire. Martine Bronca, connue ici pour son quilt-météo et sa Saga de Lucinda, en fait partie. Lorsque la thématique annuelle du club a été annoncée « faire quelque chose avec la toile de Jouy », cela apparaissait comme un tour de force d’introduire cette toile illustrée de scènes champêtres dans un ouvrage moderne. Plutôt une marque des intérieurs bourgeois que de ma propre inspiration avec des tissus modernes.
Le centre s’est imposé en isolant une des scènes de la toile, mais comment allais-je poursuivre pour étaler un peu ce petit carré ? D’autres ont déjà fait ce type de patch, mais j’ai choisi de ne pas chercher un modèle. Suivre avec précision un patron me lasse très rapidement. Mon esprit créatif disparaît.


Dans le même temps, je lisais Le royaume désuni de Jonathan Coe, dont j’apprécie les textes autour de certaines périodes marquantes de la société contemporaine de la Grande-Bretagne. Le titre anglais Bournville est bien plus évocateur. Ce récit de la vie des habitants sur deux ou trois générations dans le familistère construit autour de l’usine Cadbury a été révélateur pour la poursuite du patch. J’allais représenter les éléments de ce paysage à la fois campagnard et industriel, où tout était fait pour le bien-être des habitants employés à l’usine. J’ai toujours eu une curiosité pour ce type d’aménagement, de relations sociales. Il y avait un embryon de familistère près de chez moi auprès d’une importante usine de tissage. Ces maisons, certes petites, faisaient l’envie de ceux qui n’y habitaient pas.

Quelques années plus tard, mon métier m’a conduite dans un établissement qui conservait les archives du Familistère de Guise. J’y croisais des chercheurs qui venaient les consulter pour leurs travaux. Je me souviens particulièrement d’un jeune étudiant italien qui venait spécialement de son université de Cambridge et que j’avais accompagné dans sa recherche. Je me souviens de son nom et de la classe qu’il dégageait. Son nom se disait avec rondeur Luca Einaudi. Trente ans plus tard, je crois qu’il a fait une belle carrière*.


Avec tout ce passé enfoui, réveillé par le texte de Jonathan Coe, j’ai symbolisé avec des blocs simples et classiques, les rues et places (bandes de carrés) sur lesquelles s’ouvraient d’agréables maisons, le tout au milieu des denses frondaisons des arbres (boules de neige) et tout de même bien cernées par les toits (triangles HST) de l’usine. Ainsi, nous revenons vers le centre pour constater le remarquable entretien des espaces verts. Et ce patch a trouvé du sens.


Après un quilting machine discret, je l’ai ensuite quilté à la main avec un fil ancien qui venait de l’usine de tissage de ma région.

Bournville, 142 x 142, Cécile Demeude @louiseworkshop

Je vous recommande ce livre Le Royaume désuni, Bournville en anglais, de Jonathan Coe. Un extrait :

Vous vous inquiétez du réchauffement climatique, de l’avenir de la BBC, de ce qui se passe en Palestine ou en Syrie. Des choses auxquelles vous ne pouvez rien et qui pour la plupart n’ont rien à voir avec vous.
Le monde serait meilleur si chacun se contentait de cultiver son jardin, parce que quand on se mêle de ce genre d’histoires,
à tous les coups on ne fait qu’empirer les choses. […]
Martin grogna mais dit :
« Bref, j’imagine que Pascal serait d’accord avec toi.
– Qui ça ?
– Blaise Pascal. Il a dit que « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.»
– Très bien dit. Ça résume parfaitement la philosophie britannique.
– Il était français.
– Eh ben ça arrive que les Français aient raison, de temps en temps. »

Jonathan Coe, Le Royaume désuni, 2024, Gallimard

Cécile Demeude @Louisesworkshop

*J’ai eu la curiosité de rechercher ce nom, Luca Einaudi, il est devenu un éminent historien et économiste, conseiller largement consulté par les politiques italiens ! Katell

17 commentaires sur « Toile de Jouy pour Bournville »

  1. Quelle bonne idée de se laisser guider par une lecture pour créer un quilt! Tout a du sens dans l’ouvrage de Cécile… même ce souvenir d’une rencontre.

    Grâce à cet article, je crois avoir déniché une nouvelle idée de livre. C’est tout à fait le genre de lecture que je recherche. Merci Cécile!

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        1. Ah bon ? Je lis beaucoup les critiques de Babelio et elles sont très bonnes ! Je vais le télécharger sur ma tablette pour le lire ces prochains jours, je verrai bien !

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        2. C’est étonnant. C’est un des écrivains majeurs de la littérature anglaise contemporaine, et il n’a pas son pareil pour décrire la société anglaise. Après selon l’époque on adhère ou pas. Par exemple je n’arrive pas à finir Bienvenue au club qui se situe dans les années 70, que j’ai vécue, mais sans doute différemment.

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  2. J’adore quand les quilteuses nous expliquent leur cheminement pour arriver au résultat final. Et pour moi qui adore le bleu, il est parfait avec ses tissus aux imprimés anciens. Bravo Cécile.

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  3. En voici encore une superbe idée pour réutiliser du tissu ancien !

    Il se trouve que dans le carton des tissu de ma mère, récupérés pour faire le dessus de lit étoilé en 2020, il y a toujours une longue bande de toile de Jouy. Je n’y ai jamais touché, ce ne sont pas les couleurs qui m’attirent (jaune et noir)… Mais après lecture de cet article, je crois bien que l’inspiration pointe le bout de son nez 😉 🙂

    Merci, mille fois merci Katell pour tous ces échanges entre quilteuses de France ou d’ailleurs

    Bravo pour cet ouvrage à l’histoire toute personnelle et ce joli camaïeu de tissus bleus !!

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  4. Une inspiration en suscite une autre…

    Oh oui, je suis sûre que tu feras de belles choses avec ta toile de Jouy aux couleurs fortes ! C’est sortir de ta zone de confort, mais c’est souvent aussi l’occasion de se surpasser.

    Dans le prochain article, la semaine prochaine, c’est toi qui nous raconteras une autre belle histoire… À bientôt Chantal !

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  5. Belle histoire et bien joli Quilt ! La toile de Jouy … les étés ou l’on s’ennuyait un peu mais les paysages de ces toiles étaient des embarcadères rassurants pour rêver. Dépassées oui mais non comme le gâteau de Savoie, l’odeur de lavande, les mouchoirs en tissus l’austérité saine mais joyeuse de vie de ces communautés. Une dignité.

    Envoyé de mon iPhone

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  6. What a great post! As someone who has Toile in red drapes in my bedroom and a duvet to match, you can tell I love these designs. Classic, I think. Thank you for this.

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  7. Super, j’aime les travaux patchs ou autres qui racontent une histoire , le familistère de Guise , waoooh sa visite devrait être obligatoire et ouvrirai l’esprit de bien des gens obtus, une des visites que j’ai le moins oubliée, nous étions un tout petit groupe dans une période sans visites avec un guide passionné et passionnant. Du reste j’ai acheté un livre avec plein de photos , certaines très graphiques , des bâtiments , je vais creuser l’idée. Merci d’en avoir parlé, à suivre.

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    1. Je sais que tu lis mes articles bien attentivement, merci ! Et grâce à ta vie, riche en culture, en visites, en rencontres, tu sais trouver un lien. J’apprécie toujours !

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