Maurice Ravel, basque par sa mère, est né à Ciboure, petite ville portuaire qui partage la baie avec St-Jean-de-Luz. C’est l’enfant du pays, même s’il passa toute sa jeunesse à Paris. Ses musiques m’enchantent et ce que j’aime particulièrement de lui, c’est son éclectisme, sa soif de sons d’ailleurs pour mieux les intégrer à sa culture française.

Ce portrait de Ravel évoque les multiples influences de ses musiques
Lors d’une immense tournée en 1928 aux Etats-Unis et au Canada, il fit cette déclaration : « Vous, les Américains, prenez le jazz trop à la légère. Vous semblez y voir une musique de peu de valeur, vulgaire, éphémère. Alors qu’à mes yeux, c’est lui qui donnera naissance à la musique nationale des États-Unis. »
Bien vu ! Il avait notamment sympathisé avec George Gerswhin dont les sonorités de sa Rhapsody in Blue l’enthousiasma, alors que les critiques pleuvaient encore sur cette « musique de nègres ».

Si son imaginaire musical majeur vient d’Espagne (le Boléro, qui envoûte ou énerve, reste la musique française la plus jouée au monde), ses œuvres sont profondément originales et éclectiques, inspirées successivement des folklores de la Russie, la Grèce, les sonorités orientales ou tziganes…

Célèbre ballet de Béjart sur le Boléro de Ravel
« L’art, sans doute, a d’autres effets, mais l’artiste, à mon gré, ne doit avoir d’autre préoccupation que la perfection technique. L’important est de s’en approcher toujours davantage. » Ravel… C’était un travailleur lucide, exigeant envers lui-même et les autres, qui déclara : « Oui, mon génie, c’est vrai, j’en ai. Mais qu’est-ce que c’est ? Eh bien, si tout le monde savait travailler comme je sais travailler, tout le monde ferait des œuvres aussi géniales que les miennes. ». A méditer quand on croit qu’on peut faire des œuvres vite faites-mal faites, sous le couvert de modernité !
Ravel aimait lire Beaudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. » (l’Invitation au Voyage)
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Je ne peux éviter ici d’évoquer deux sœurs pianistes nées tout à côté, à Bayonne, qui interprètent dans le monde entier des œuvres aussi diverses que celles de Ravel, Gerschwin, Mozart ou le répertoire baroque, mais aussi le rock expérimental avec grâce et un talent fou… qu’elles reconnaissent couplé à un travail acharné. Les ayant rencontrées à 19 ans, âge où nos goûts se forment pour la vie, je collectionne leurs enregistrements et leur voue une admiration sans faille. Elles se font malheureusement très rares en France…

Travailleuses, éclectiques, talentueuses… et si belles ! (©KLM recordings)
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Le hasard faisant bien les choses, Marie-Claude Tsuruya cohabita avec Maurice Ravel pendant Quilt en Sud. C’est en effet dans l’auditorium Maurice Ravel que le Japon s’installa à Saint-Jean-de-Luz avec une sélection de quilts de la Chambre des Couleurs.

Parions que Ravel aurait adoré cette cohabitation : l’excellence du travail, l’alliance de deux cultures, sont des caractéristiques ravelliennes tout comme celles de cette quilteuse ! Marie-Claude Tsuruya n’a pas de télévision mais coud et quilte toujours au son de la musique. Quelques articles de son blog sont consacrés à cette autre passion.

Plusieurs kimonos précieux, en soie ou en « chirimen » (tissu légèrement ondulé, une sorte de crêpe agréable à porter et facile à entretenir) agrémentaient cette exposition. Les kimonos japonais sont coupés et cousus d’une manière immuable (sujet d’un prochain article dans le blog de Marie-Claude sans doute !), il en résulte un vêtement très long qui sera ajusté à la taille de la personne grâce à la ceinture (obi). Marie-Claude avait apporté son obi de mariage mais dès le premier jour, elle l’a enlevé de l’exposition en raison de trop nombreuses petites mains qui ne pouvaient s’empêcher de le toucher !

Détail d’un quilt de mini-blocs en T, initiale de leur nom de famille. Chaque T est cousu à la main avec un tissu japonais récent ou ancien, sur un fond d’indigos. Finalement, cela donne plutôt une jolie collection de mini-kimonos !

Enfilade de quilts tous plus beaux les uns que les autres ! De près, ils sont parfaits, de loin on découvre une autre dimension avec des jeux de lumière insoupçonnés… C’est pourquoi j’appelle Marie-Claude Tsuruya la créatrice de lumière.

Les quilts exposés ont tous un lien avec le Japon. L’époux de Marie-Claude étant japonais, elle hérite des tissus de sa belle-famille, surtout ceux dont personne ne veut plus ! De chaque voyage elle rapporte des kilos de textiles qu’elle achète aussi pour compléter sa collection. Le quilt ci-dessus, en cotons bicolores marine/blanc, étaient destinés aux yukata, kimonos d’été aux imprimés plutôt masculins (à l’origine, ces kimonos étaient pour la sortie du bain).

Quilts récents de Marie-Claude. Son goût pour les tissus recyclés, ayant la trace du passé, se confirme dans ces ouvrages. On y retrouve des tissus d’épaisseurs différentes que beaucoup de quilteuses hésiteraient à unir, mais finalement coton, lin, chanvre ou ramie cohabitent avec bonheur !

Je me souviens que, tandis que je donnais un stage sur le « nine-patch évanoui », une variante amusante de coupe rapide avec cutter et règle, Marie-Claude confectionnait ce même bloc de manière patiente, artisanale, choisissant avec précaution les morceaux pas trop usés de ses tissus anciens du nord du Japon, étoffes d’un peuple fier et travailleur. C’est ainsi un bel hommage qu’elle rend aux personnes qui filèrent, teignirent, tissèrent artisanalement ces textiles. Quand on voit ce quilt, on comprend d’autant plus ses réticences sur le phénomène Boro, ou la mise sur le marché de guenilles, parfois même artificiellement vieillies, qui se vendent à des prix exorbitants… Tandis que les visiteurs occidentaux s’extasient, les Japonais se sentent parfois humiliés…

Encore cette association dont je ne me lasse pas, les indigos et les imprimés joyeusement colorés !

Beauté d’un sobre Log Cabin. Contrairement aux tissus de patchwork, les bleus teints à l’indigo ne s’affadiront pas en quelques années !

Finissons ce petit tour par ce magnifique quilt qui vous dit sans doute quelque chose… Il est inspiré d’un top en soie et satin fait par Ella Holcombe (1872-1957), qui fut offert au Musée Shelbourne en 1990 et immédiatement admiré et recopié ! On ne sait pas quand la quilteuse cousit ce top, mais le modèle du bloc existe depuis la fin du XIXe siècle. Dominique Husson le reproduisit en coton avec infiniment de subtilité (voir article précédent). Si vous aussi vous souhaitez vous lancer dans cet extraordinaire quilt, cherchez le Quiltmania n° 21, Renée Ferré l’a présenté en fiche « pas à pas ». Celui de Marie-Claude a la particularité d’être en soies de kimonos, ce qui lui donne une présence lumineuse et chaque bande est quiltée en son milieu… Association encore de l’occident et de l’extrême-orient, ce quilt est baptisé « Temari », du nom des balles japonaises de décoration qu’on sort pour certaines fêtes. Plus de renseignements sur ce quilt dans le blog ici.
Guettez les prochains articles de Marie-Claude ! Elle nous donnera ses impressions de son voyage plein sud… Je sais qu’elle a adoré rencontrer ses lectrices et revoir les personnes rencontrées en avril 2012 à Pibrac lors de la Journée de l’Amitié… Des liens d’amitié qui se tissent au fil du temps !
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De Quilt en Sud, je ne vous en montrerai pas plus ; d’autres artistes, avec qui je n’ai pas pu m’entretenir, présentaient eux aussi des merveilles ! Vous pouvez aller voir ces blogs et sites pour d’autres points de vue :
– le reportage-photos d’Edith Bouilly sur le blog News FP
– les reportages de Marie-Christine sur le blog Carrément Crazy, très intéressants avec de belles photos
– les photos (articles en cours) sur le blog de France-Patchwork Tarn
– le blog de l’artiste Françoise Christien
– l’art textile léger et pétillant des Espagnoles Desedamas
– l’univers d‘Hubert Valéri, si raffiné, dont je vous montre ici la couverture du livre qui paraîtra en octobre prochain :

Livre préparé avec Maryse Allard
… et il y en avait tant d’autres ! Merci à tous ces artistes de nous avoir enchantés !
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