Un peu d’Art Vaudou

Le vaudou, voilà un mot qui évoque bien vite des poupées criblées d’épingles pour jeter un sort, et pourtant… les poupées à l’effigie d’une personne, les poupées d’envoûtement, existent bien dans la sorcellerie… occidentale, depuis bien plus longtemps ! Nous avons transféré nos peurs sur les pratiques vaudou qui, effectivement, tentent parfois de jeter un sort (bon ou mauvais, par exemple attirer l’amour ou l’échec à distance, sans toutefois souhaiter la mort…) à l’aide d’un petit paquet ficelé à la morphologie d’une personne… parfois piqué d’épingles, mauvais signe pour la personne visée 🤔
Le vaudou, c’est, à Haïti principalement (mais aussi sporadiquement dans le monde entier), une assimilation de rites et croyances venant d’Afrique de l’Ouest à ce que les Blancs ont inculqué à leurs esclaves, à savoir la religion catholique. Ainsi des Esprits africains portent-ils des noms de Saints catholiques, et inversement. La pratique du vaudou fascine bien au-delà de son influence, en raison des Zombis, ou morts-vivants, qui cristallisent les fantasmes sur le thème de la résurrection… Les Chrétiens ont tout fait pour diaboliser le vaudou, l’assimiler au satanisme et la sorcellerie, car il « parlait » trop bien aux âmes africaines, empêchant la parfaite christianisation de ce peuple déplacé de force.
C’est d’abord pour des raisons esthétiques que Betty Ford-Smith s’est intéressée à des ouvrages vaudou. Je lui ai demandé de nous écrire sur le sujet, en voici la traduction.

Drapeaux de perles et sequins de Haïti, collection de Betty Ford-Smith 

J’ai commencé à collectionner les drapeaux et bouteilles vaudou à la fin des années 1970, lors d’un séjour dans les Îles Vierges, à Saint-Thomas. Jamais je n’avais vu d’objets aussi fascinants au cours de mes voyages précédents ! J’adore tout ce qui brille, les paillettes et les strass,  et c’était le summum du brillant dans le monde des arts ! Autant que je le sache, cette forme d’art est unique, à Haïti. Attention à ne pas tenter de les copier, Haïti a établi un copyright mondial sur cet art.

Des bouteilles vides transformées en œuvres d’art qui brillent !

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Les drapeaux – appelés drapos localement – viennent directement de la religion Vaudou, où ils étaient disposés sur les murs des temples. Le Vaudou est un mélange de croyances africaines arrivées à Haïti avec les esclaves et du Catholicisme enseigné par les Missionnaires, avec l’addition discrète mais réelle de croyances du Nouveau Monde (des Amérindiens). Au fil du temps, les touristes visitant les temples ont souhaité acquérir des drapeaux. Quelques Hougans (des prêtres vaudou) acceptèrent, car le besoin d’argent pour aider la communauté était criant. Ils firent d’autres drapeaux pour leurs temples, puis directement pour le marché touristique.

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Au-delà des couleurs et de la signification religieuse derrière les images, ce sont les bordures décoratives qui attirèrent mon regard parce qu’ils me rappelaient les quilts des USA. Les perles et sequins sont cousus sur du coton ou de la récupération de sacs texturés en plastique ayant contenu du riz ou des haricots, puis doublés de beau satin, encadrant le tableau d’un surplus de brillance. Chaque scène est faite de perles et sequins fixés à la main avec du fil et une aiguille, l’un après l’autre ; de une à quatre personnes peuvent y travailler en même temps.

Ces drapeaux sont d’incroyables œuvres d’art, scintillantes et hypnotiques. On trouve tout un monde de symbolismes, aussi bien les symboles des cartes à jouer (Cœur, Carreau Trèfle et Pique) que ceux des Francs-Maçons, librement utilisés, mais aussi des bougies, des têtes de mort, des visages de Saints, etc. dans le design de ces tableaux uniques.

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Les Haïtiens échangent avec les Esprits – ou Loas, du mot français Loi – dans un système de croyances et rituels fortement codifiés, ce qu’ils savent décoder dans les représentations des drapos. La plupart des collectionneurs sont comme hypnotisés par les couleurs, la brillance et la qualité de l’artisanat de chaque ouvrage. Parfois, le nom de l’Esprit invoqué est marqué dessus, sur d’autres il y a un indice appelé vévé, un symbole graphique :

De plus en plus, les noms sont écrits pour faciliter la compréhension et l’identification de l’Esprit du drapo.

Les drapeaux étaient traditionnellement cousus par les hommes, mais à présent quelques femmes ont rejoint les rangs des experts. J’ai lu quelque part que les sequins et perles furent découverts dans les manufactures de confection tenues par des Français installés à Haïti. A la fin de la journée, tout ce qui était tombé par terre était balayé… Au lieu de les jeter, les Haïtiens ont inventé comment les utiliser d’une autre manière. Ils avaient reçu l’enseignement très pointu de couturières et tailleurs français, leur imagination, leur foi ont fait le reste : les drapos vaudou étaient nés…

De nos jours, certains touristes sont devenus amis avec des fabricants de drapeaux : ils leur envoient des perles du monde entier, pour aider ce peuple si pauvre à continuer d’exercer leur art.

Betty Ford-Smith

 

Betty est donc à la tête d’une grande collection d’art vaudou, de drapeaux qui forment une exposition itinérante en Floride, où vivent de nombreux Haïtiens. Mais l’intérêt est général, sa dernière expo a remporté un franc succès ! Soixante-quatre drapos de sa collection furent exposés dans le Highland Museum of the Arts de Sebring (Floride) en fin d’année dernière :

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Je vous en avais déjà parlé par ici en 2014, mais je voulais compléter ce sujet que Betty m’a fait découvrir et qu’elle continue de faire connaître au grand public, tout comme les Pine cone quilts !

Take care, dear Betty💜

Betty Ford-Smith à la recherche de ses racines

Une complicité s’est établie entre trois personnes qui échangèrent de nombreux mails ces dernières semaines, trois quilteuses qui ont tant à partager : LeeAnn de Seattle (Washington), Betty de Sebring (Floride) et moi-même de Toulouse (France). Le fil qui nous lie est le patchwork avec la passion des tissus, mais aussi un état d’esprit, le plaisir de l’inattendu, du non conventionnel, l’admiration devant nos ressemblances tout autant que nos différences… Nous avons oublié que nous étions devant nos ordis et on a papoté comme si nous étions assises autour de la même table !

Lucien Andrieu
Peinture de Lucien Andrieu (peintre de l’Ecole de Montauban), Etude de femmes autour d’une table

Ayant vécu en Afrique (mes plus belles années de fac d’anglais furent à l’Université de Cocody à Abidjan en Côte d’Ivoire), j’ai une sensibilité marquée pour ce que ce continent a pu offrir à notre monde occidental, de gré… ou de force, car nous savons tous plus ou moins comment les Noirs furent déracinés d’Afrique vers l’Amérique, comment nous avons pillé leurs ressources, tout en pensant parfois « bien faire » en leur imposant notre culture occidentale, notre éducation, nos religions… C’est un sujet toujours sensible, en particulier en France.
Alors imaginez ce que peuvent ressentir les Afro-Américains à la recherche de leurs racines.

Betty m’a raconté avec confiance son parcours, ses passions… que je suis heureuse de partager ici avec vous.

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Pour les personnes utilisant Google Translate : I am sorry that Google always says « his » instead of « her » in its automatic translation, please correct it yourself in your head!

Betty Ford-Smith a 63 ans et une vie bien remplie, ancrée dans la société américaine actuelle mais curieuse de ses lointaines origines depuis son enfance. Professeur d’économie familiale pendant 38 ans, notamment spécialisée dans la prise en charge des enfants nécessitant des soins spéciaux, couronnant sa carrière en devenant proviseur, elle a parallèlement nourri sa passion sur les arts d’origine africaine.

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A l’âge de 12 ans, Betty cherchait de l’inspiration dans un livre d’art africain ; elle fut encouragée par sa prof d’art à faire le portrait d’Idia, la Reine Mère du Bénin. Ce tableau sur carton est la première manifestation d’une longue passion.
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Plus tard, Betty voudra s’offrir cette reproduction en bronze. Cette opportunité se présentera l’année de la mort de sa mère, et pour elle c’est un signe précieux… Il n’y a oas de hasard quand on croit aux signes.

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Celle-ci est exposée au Bristish Museum et date du 16e siècle. C’est toujours Idia, reine et mère du Bénin, qui vécut de 1504 à 1550. La beauté des femmes du Bénin est célébrée dans toute l’Afrique de l’Ouest. Notre ravissante Miss france 2014 en est d’ailleurs originaire !

Elevée près de New-York, la petite Betty n’aimait rien tant que passer ses vacances scolaires auprès de sa grand-mère et son arrière-grand-mère en Caroline du Sud, terre où sévissait encore l’esclavage il y a 150 ans. Elle y puisa maintes histoires du temps passé et comprit grâce à elles l’âme africaine qui ne les avait pas quittées. Les femmes de sa famille connaissaient les secrets des plantes et des esprits, le tout s’accompagnant de mystère, de magie et de rituels, certaines avaient des dons… Une fascination pour Betty ! Pour plonger dans l’ambiance des Etats du Vieux Sud, nous avons des livres, des films

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C’est dans cet Etat de Caroline du Sud, dans l’entre-deux-guerres, que se passe l’intrigue de l’opéra de Gerchwin Porgy and Bess. L’affiche des premières représentations (à New-York) est bien représentative de l’art pictural de l’époque (1935). Même si cet opéra véhicule nombre de stéréotypes quasi inévitables à l’époque, c’est une oeuvre aux musiques et chansons inoubliables. Vous pouvez entendre ici une version de Summertime chantée par Ella Fitzgerald que j’ai eu l’immense chance de rencontrer en 1980, mais ceci est une autre histoire…

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Parallèlement à son travail, Betty devint donc spécialiste des arts africains et afro-américains. Elle vécut dans les années 70 dans les Caraïbes à la recherche des racines de son peuple. C’est à Haïti qu’elle trouva les pratiques les plus proches des origines africaines (le vaudou). Elle y découvrit également des arts populaires très vivaces comme les « drapos vodou » (écrit ainsi en anglais), ces tableaux textiles figuratifs ou géométriques, iconographie de l’esprit haïtien avec son héritage africain, son passé d’esclave, son ancrage catholique… Rappelons que le Vaudou est une religion de déracinés, un mélange des cultes animistes d’Afrique avec les rituels et les saints de la religion catholique imposée. Ces drapeaux, tels qu’ils sont appelés là-bas, sont destinés à accueillir les esprits du vaudou lors des cérémonies. Ce sont des oeuvres d’abord dessinées sur tissu, puis cousues de perles et de sequins… de l’art textile pur ! Ils deviennent pour le reste du monde des objets de décoration et de collection. Betty possède une bonne cinquantaine de drapos qu’elle a exposés dans diverses maisons de culture, des écoles, des musées… Elle fait autorité dans ce domaine et donne volontiers des conférences sur le symbolisme de ces oeuvres.

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Collection Betty Ford-Smith

Collection Betty Ford-Smith
Betty devant deux drapos vodou, lors d’une exposition en 2012

 Même les bouteilles sont recyclées en oeuvres d’art par les artisans haïtiens, comportant souvent des symboles vaudou :

Collection Betty Ford-Smith

Betty se sentit naturellement très éprouvée par le terrible séisme du 12 janvier 2010. Elle fit partie de ces personnes qui se démenèrent pour apporter du soutien au peuple en souffrance, en faisant notamment cette exposition d’art haïtien.

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Keeping Haïti in Our Hearts fut une des expositions de soutien pour le peuple haïtien. Betty et son mari posent devant des peintures haïtiennes, en compagnie d’une des organisatrices.

A l’extrême droite de la photo ci-dessus, vous pouvez deviner une sculpture en fer découpé, spécialité du village haïtien Croix-des-Bouquets. Ces artisans travaillent magnifiquement cette matière dans un style unique, toujours lié aux pratiques vaudou. J’ai chez moi, au-dessus de la cheminée, un Arbre de Vie haïtien :

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J’ai eu un coup de coeur pour ce travail de fer découpé, martelé, embossé… Mon mari me l’a offert l’été dernier car cet arbre « me parlait ». Nous l’avons découvert dans une jolie boutique de la ville close de Concarneau (Finistère) qui soutient ainsi les artisans de ce pays. Cliquez sur la photo pour l’agrandir et voir les détails !

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Pour aller à la source, Betty fit également plusieurs voyages en Afrique : en Gambie et au Sénégal en 1986, en accompagnant un groupe de collégiens new-yorkais, puis au Nigeria en 2009 pour aider une amie à monter une école.

Collection Betty Ford-Smith

Collection Betty Ford-Smith
Au Nigeria, les enfants apprennent tous l’anglais, langue officielle nationale qui côtoie des langues locales. Ainsi, la communication était facile ! Cinq ans après, ces enfants ont grandi mais se souviennent sûrement encore du passage de la dame américaine qui leur a fait la classe !

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Son intérêt pour l’artisanat afro-américain la mena aussi en 2008 en Alabama où fut découvert, dans un hameau nommé Gee’s Bend, un groupe de quilteuses utilisant toutes sortes de tissus de récupération de façon souvent très libre. Leur notoriété leur permet maintenant de vendre les quilts qui n’étaient que couvertures utilitaires il y a 10 ans encore.

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Il y a du choix dans les quilts à vendre à Gee’s Bend !
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Une des acquisitions de Betty : celui-ci est très traditionnel !

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Betty a acheté 2 quilts pour sa collection, celui-ci est signé Betty Seltzer.

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Sebring est une très jolie ville au centre historique, au bord d’un immense lac, au centre-sud de la péninsule de la Floride. Le climat est sub-tropical humide, on devine la luxuriance de la végétation !

sebring postcardIl y a peu, la retraite étant pesante pour une femme si active, Betty monta un magasin d’antiquités à Sebring et cette grande boutique porte le joli nom de Miss Ruby’s Den. On y trouve un sympathique bric-à-brac multi-culturel qui fait le bonheur des collectionneurs. Je trouve l’ambiance particulièrement féminine, avec des dentelles, des poupées anciennes, des éventails, des tableaux…

wpid-marineandrew-tom-red-sofa-miss-rubys-040-jpgCollection Betty Ford-Smith
Si d’aventure vous allez en Floride, voici l’adresse de ce magasin : 619 North Pine Street, Sebring, FL 33870

wpid-miss-rubys-den-025-jpgCollection Betty Ford-Smith

Les objets ont une âme, c’est la croyance intime de Betty… et finalement beaucoup de gens le sentent aussi ! Un objet fait à la main ou celui qui a la patine du temps dont vous pouvez tomber amoureux, sont bien autre chose qu’une simple matière inerte !
Et vous, les objets vous parlent-ils parfois ?

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Dans un coin de sa boutique se trouve un lit avec un quilt extraordinaire… Vous connaîtrez son histoire très prochainement !

 Dear Betty, just hoping you will not be disappointed by this summary of all the documents you gave me about you and all your interests! You know that we are now connected… Soon comes a post about your dear friend Miss Sue!

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