L’Assiette de Dresde – Les origines

C’est au tournant du XXe siècle que semble apparaître ce motif de bloc de patchwork, d’abord appelé de nombreuses manières avant que ne se généralise vers les années 30 l’appellation Assiette de Dresde. Vous pouvez en suivre l’évolution dans la Bible des blocs,  The Encyclopedia of Pieced Quilt Patterns de Barbara Brackman.

Alors, pourquoi donc ce bloc est-il nommé d’après une ville allemande ?…

Ayant vécu en Allemagne, je savais que Dresde -ou plutôt Meissen, à 20 km- était un centre historique de la porcelaine. Cela me semblait donc plutôt normal qu’un bloc de patchwork s’appelle « Assiette de Dresde » en hommage à ce haut lieu de la porcelaine baroque. Il ne faut pas oublier que les immigrantes d’origine allemande étaient fort nombreuses aux Etats-Unis !

Voici quelques pièces de porcelaine de Dresden/Meissen du XIXe siècle, dont quelques unes rappellent effectivement notre Assiette de Dresde. Les deux dernières sont le fameux motif de l' »oignon bleu »,  Zwiebelmuster en allemand, qui est, depuis sa création en 1730, le motif bleu-blanc qui a le plus de succès en Europe. A l’origine, ce n’étaient pas des oignons qui étaient dessinés sur la bordure mais des grenades ! Les motifs stylisés provenant d’Asie furent mal interprétés…

Fortuitement j’ai appris beaucoup au sujet de la porcelaine : en 2006, j’ai acheté un livre… un peu à cause de son titre, « Bleu de Sèvres » car dès qu’il s’agit de BLEU, j’ai tendance à acheter !! Dans ce roman fort bien documenté, nous apprenons toute l’histoire de la porcelaine, depuis cette connaissance millénaire chinoise,  les échanges culturels et commerciaux avec les voisins coréens et japonais, puis l’engouement européen des « chinoiseries et japonaiseries »… Les Cours Royales veulent absolument posséder ces divines porcelaines ! Lisez ce livre si vous aimez l’Histoire, vous apprendrez comment Limoges est devenu la première ville de la porcelaine française pour concurrencer la suprémacie européenne… de Dresde !

Pour mieux comprendre l’enjeu, il faut savoir que l’art de la poterie, c’est-à-dire le travail de terres argileuses, est extrêmement ancien dans le monde entier, argile cuite (=céramique)  décorée ou pas… Elle est solide, imperméable, mais reste d’aspect rustique.

La porcelaine, elle, est admirée d’emblée pour sa blancheur, sa finesse, sa transparence… Les premières pièces furent apportées en Europe par Marco Polo au Moyen-Age ; elle fut baptisée ainsi par le Vénitien qui la croyait au début fabriquée à partir de poudre d’un coquillage (la porcelaine, porcellana). Mais pour l’étymologie du mot lui-même, ce n’est pas très romantique, je vous laisse donc chercher  dans un dictionnaire

Voici la très belle collection de porcelaines de mon mari, passion depuis son adolescence !

Toutes les porcelaines ont une brillance naturelle superbe (ici, une Cypraea Mappa)

Ce sont donc les Chinois qui ont inventé la porcelaine à partir d’une roche argileuse blanche fine et très friable, le kaolin (mot d’origine chinoise), qui se vitrifie et devient translucide au-delà de 1200°C. On y ajoute du feldspath et du quartz pour le liant et la solidité. Il leur fallut plusieurs siècles pour arriver, au XIIe siècle, à obtenir la perfection. A noter que les Anglais nommèrent la porcelaine simplement china en raison de sa provenance… Ce qui était naguère  possible ne le serait plus maintenant, avec tout ce qui  est made in China !…

Porcelaine chinoise Ming du 17e siècle, voyez-vous ces décorations bleues ?… les Européens aiment tellement qu’ils s’en inspireront largement !

Bien longtemps après la découverte de la porcelaine par Marco Polo en Chine, cette vaisselle précieuse enchantera les riches tables européennes après l’ouverture des grandes Routes maritimes  et donc commerciales  entre l’Europe et l’Asie tracées par Vasco de Gama en 1498. Période d’ébullition avec la découverte récente de l’Amérique,  période d’intense évolution intellectuelle et artistique, bref c’est la Renaissance !

A savoir que le premier collectionneur historique de porcelaines asiatiques fut le Cardinal de Richelieu, qui possédait près de 400 pièces au XVIIe siècle. Ces grandes collections européennes étaient faites par des hommes, mais c’est   la passion de la Marquise de Pompadour pour la porcelaine qui fut à l’origine de la fabrication à Limoges des porcelaines françaises… Voir le livre ci-dessus !

Entre temps je me suis rendu compte que tous ces styles « européens » blanc et bleu que j’aimais, des services anciens Villeroy & Boch aux carreaux de Delft, de la fine porcelaine danoise Royal Copenhagen (ci-contre, aux accents lointains de blocs d’Assiette de Dresde) au motif typiquement allemand du Zwiebel de Meissen, tout, absolument tout était inspiré par… les Chinois et les Japonais…

Dès lors j’ai eu un doute raisonnable sur l’origine de ce qu’on appelle le bloc de l’assiette de Dresde.

Et effectivement, ces assiettes aux dessins découpés en tranches sont des motifs typiquement asiatiques (voir l’assiette chinoise ci-dessus). Avec plusieurs couleurs, elles sont directement de style japonais, dit Imari, connu en Europe d’abord grâce à l’extravagante collection réunie… à Dresde par Auguste de Saxe au XVIIIe siècle. Collectionneur acharné, il se disait atteint de la Maladie de la Porcelaine ! Il fit même construire « Le Palais Japonais » de Dresde pour y abriter son extraordinaire collection. Miraculeusement préservée des bombardements lors de la seconde guerre mondiale, cette collection compte environ 20 000 pièces, asiatiques et européennes. De là à assimiler les motifs de la porcelaine Imari avec la ville de Dresde, il n’y a donc qu’un tout petit pas… Collection à admirer dans le palais de Zwinger à Dresde, le Palais Japonais abritant à présent le Musée ethnologique.

 Cette assiette semble européenne par sa forme, alors qu’elle vient d’Imari/Arita. Ces porcelaines japonaises étaient à l’origine destinées aux Seigneurs de Nagasaki et Saga (sud du Japon).

La porcelaine traditionnelle Imari était principalement colorée en bleu (grâce à l’oxyde de cobalt), comme les porcelaines chinoises, mais aussi en rouge (oxyde de fer) et or. On y trouvait les mêmes dessins que sur les soies et autres objets nippons, des dessins géométriques mais surtout des fleurs. Certains dessins nous sont très familiers, regardez :

Antiquités du XIXe Siècle  – Porcelaines Imari du Japon

C’est donc pour la ville de Dresde une gloire probablement un peu usurpée, on devrait plutôt appeler le bloc de patchwork que nous connaissons « Assiette d’Imari » ou « Assiette d’Arita »! Imari est le port d’où partaient les porcelaines faites à Arita… Ces Japonais purent fournir aux Hollandais les porcelaines si prisées alors que la Chine, en proie à la guerre civile qui mit fin à l’ère Ming, était en rupture de stock. Avant que l’Europe ne réussisse à percer les secrets de la fabrication de la porcelaine, toute cette fine vaisselle traversait une grande partie du Monde avant d’atterrir sur les plus belles tables européennes ; après l’influence chinoise, la porcelaine Imari formata ainsi largement l’esthétique de la porcelaine en Europe. Puis on retrouva de manière un peu mystérieuse ces motifs utilisés en blocs de patchwork en Amérique !

Pour finir, j’ai envie de partager avec vous un très beau quilt fort justement appelé Imari  découvert lors de mes recherches sur internet :

Imari de Eileen Uchima – Une merveille ! Il mérite de l’attention, une foule de détails sont à découvrir…

-=-

19 commentaires sur « L’Assiette de Dresde – Les origines »

  1. Bonjour
    Merci beaucoup pour cette enrichissante histoire de l’assiette de Dresde et bravo pour ta réalisation .Bon dimanche Michèle

    J’aime

  2. Merci de ce bel exposé sur l’assiette de Dresde et de la porcelaine.
    Le quilt Imari est magnifique. Bon dimanche

    J’aime

  3. Merci pour avoir pris le temps de cet excellent article. Comme quoi l’histoire du patch se mêle intimement à la vie « ordinaire ».

    J’aime

  4. Merci pour cet article. Il est toujours intéressant d’avoir un peu d’histoire et de connaître l’origine des choses. Bon dimanche.

    J’aime

  5. I enjoyed your argument that the Dresden Plate pattern has been incorrectly named. So often we accept things without inquiring further. Back in the 1930s when this pattern was popular, we might have heard someone say, « I remember that my grandmother had a plate like that – it was Dresden, » when actually, grandmother’s plate was a pale imitation of an older and more beautiful pattern. I think cultural bias can also color how we look at everyday objects. Thank you for helping me to see a larger picture.

    J’aime

  6. Ces assiettes sont superbes,l’histoire auncienne a beaucoup de valeurs,le quilt Imari alors lui on fond devant.Merçi pour tous les documentaires que vous nous faites partagés.Françoise

    J’aime

  7. Je comprends à présent pour quelle raison l’imagination des quilteuses est inépuisable !!!
    Magnifique post. Merci !!

    J’aime

  8. Est-ce possible de rentrer en contact car j’aimerais te demander un conseil sur l’achat d’un livre, mais je n’ai pas ton mail….
    Merci pour ta réponse !

    J’aime

  9. merci beaucoup pour cet exposé très interessant et j’ajoute que le Musée de la Compagnie des Indes à PORT LOUIS (près de Lorient dans le morbihan) possède de merveilleuses pièces IMARI.
    C’est un musée que je conseille très vivement. En plus il se trouve dans la rade de Lorient : une visite s’impose!!!!!
    bonne journée
    jibé

    J’aime

    1. Merci à toutes pour vos si gentils messages. Les recherches autour de ce bloc m’ont menée plus loin que je ne l’imaginais !

      Et merci Jibé de rappeler que le Musée de la Compagnie des Indes de Port-Louis recèle des trésors, dont des porcelaines IMARI. Je regrette beaucoup de ne pas être allée aux expos de Bretagne l’été dernier, il y avait douze sites sur la Bretagne et le Japon…

      Je crois bien que, comme le dit justement Jotokla, le nom d’assiette de Dresde a été donné un peu par hasard et sans doute en toute bonne foi, puis repris et ainsi validé. On peut accuser Internet de véhiculer de fausses informations, mais ce n’est pas un phénomène récent !!

      J’aime

  10. Alors là bravo! pour cette recherche et ce compte-rendu fort intéressant sur l’origine du bloc l’Assiette de Dresde. Ce n’est d’ailleurs pas le premier article qui m’interpelle ici!!!
    Merci donc et à bientôt ;o)

    J’aime

  11. Salut, Katell. J’ai bien aimé ton article cette fois. Cela me plaît quand on trouve des liens entre les choses avec un peu d’histoire qui enrichit le récit. Et merci pour ton soutien à mon nouveau blog.
    best, nadia

    J’aime

  12. Je suis en train de faire des recherches sur la ceramique de Villeroy Boch de Dresden
    fabriquée avant la 2e guerre mondial, car si j’ai bien compris cette usine avait été détruite pendant la guerre. J’ai besoin de trouver le nom du créateur du dessin d’un carreau art nouveau ou déco. Le dessin semble d’avant garde pour son époque. J’ai lu qu’un grand nombre de peintres reconnus ont fait des dessins por Villeroy Boch. Si quelqu’un a des catalogues de cette période (car le musée m’a informé qu’il n’en a pas) ou sait dans quels archives je pourrais consulter, SVP, contactez moi
    mtcap@consultant.com. Merci à l’avance.

    J’aime

Répondre à Marmotte rousse Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.