Miss Sue était une voisine de Betty. Elles se sont rencontrées alors que Miss Sue avait déjà 92 ans, mais que leurs conversations et leurs échanges furent riches ! Jusqu’aux derniers jours de sa vie de 98 années bien remplies, cette sacrée petite bonne femme vaquait toujours à ses occupations : coudre, quilter, cuisiner, jardiner, faire les courses et, toujours, réunir tous les bouts de tissus qu’elle pouvait trouver !

Sa vie mériterait un film. Celui-ci serait, croyez-moi, mouvementé. Elle devait avoir un ange gardien car elle a survécu à un grave accident de voiture, à un coup de foudre (un de ceux dont on ne se remet pas forcément, lors d’un orage 😉 mais à quoi pensiez-vous donc ?…), à plusieurs opérations chirurgicales… et à une tentative de meurtre au cours de laquelle elle tua son agresseur ! Une sacrée petite bonne femme, vous dis-je !
Elle naquit voilà 102 ans dans une ferme de Quincy, unique fille autour de neuf frères. Sa famille déménagea en Géorgie quand elle était petite.
Pour la petite histoire, cette ville de Quincy, bourgade de Floride près de la frontière de la Géorgie, mérite tout de même qu’on s’y attarde, même si Miss Sue la quitta enfant. Elle était naguère connue pour ses champs de tabac, mais aussi, pendant la grande Dépression des années 1930, pour la ville la plus riche par habitant ! Grâce au tabac ? Non, au Coca !

C’est une folle histoire que celle d’un banquier de la ville qui, en 1922, recommanda à tous ses amis fermiers bénéficiaires d’une excellente récolte de tabac, d’acheter des parts de la jeune société d’Atlanta. Il avait deviné que c’était un excellent investissement : il remarquait que les gens dépensaient jusqu’à leur dernier cent pour s’offrir un Coca-Cola bien frais… Au cours de la Grande Dépression des années 30, Quincy comptait bien des millionnaires car le banquier avait vu juste ! A Quincy, la devise est restée : acheter et conserver, ce qui n’est pas à la mode dans le monde des boursiers, mais les familles ayant conservé leurs parts jusqu’à ce jour en sont ravis !!

Revenons à Miss Sue, officiellement Arlene Denis, mais allez savoir pourquoi, on l’appelait Miss Sue. Ses parents ne faisaient pas partie des heureux bénéficiaires des gains de Coca-Cola. Elle grandit donc dans la ferme de ses parents, sa mère lui apprit la couture et le quilting, son père la distillation d’alcool. On enseigne ce qu’on sait faire ! Sa mère la gardait auprès d’elle pour l’aider, cela lui épargna le travail harassant dans les champs. Puis elle se maria et eut 12 enfants. On n’imagine pas la vie qu’elle eut, à nourrir sa famille, à la vêtir et lui procurer de la chaleur pour dormir, en pleine Grande Dépression… Après, heureusement, sa situation économique s’est améliorée, mais on ne perd pas certaines habitudes. De la nécessité à mettre au chaud sa famille, de l’horreur de jeter le moindre tissu, Miss Sue a fait des quilts utilitaires toute sa vie :
Ses quilts utilitaires sont les témoins du style « patchwork improvisé », pour lequel toute erreur éventuelle devient un nouveau style. On fait avec ce qu’on a, sans perdre de temps, et on trouve toujours moyen d’arranger ce qui ne va pas.
Ensuite, avoir chaud pour dormir, c’est bien, mais s’habiller pour pas cher c’est tout aussi nécessaire ! Miss Sue fréquentait les boutiques de fripes, on lui offrait aussi les vieux tissus et vêtements du quartier ; elle leur donnait une nouvelle vie en démontant les habits usagés pour les reconstruire à sa manière.
Miss Sue avait son patron de robe qui lui convenait pour tous les jours. Les couleurs qui claquent ne lui font pas peur, les carreaux, les fleurs et les unis peuvent bien se retrouver sur le même vêtement, mais oui pourquoi pas ?… J’aime l’omniprésence des deux poches de devant, c’est effectivement si pratique ! Le col quant à lui, aux formes variables, ajoute de la féminité au modèle. Elle s’était forgé ainsi une identité reconnaissable de loin avec ses robes faites à la maison (à la main), en tissus de récupération, mais néanmoins seyantes et virevoltantes avec leur petit volant ! Elle avait inventé son propre style.




Dans ce Vieux Sud, Miss Sue ne faisait pas partie du célèbre groupe de Gee’s Bend, mais elle a vécu les mêmes nécessités, d’où la ressemblance.

Betty me confia qu’au long des six années de leur amitié, elle alla rendre visite à Miss Sue quasiment tous les jours, et tous les jours celle-ci cousait quelque chose. Elles étaient devenues aussi proches que deux personnes de la même famille qui se connaissent depuis toujours.
Le dimanche, Miss Sue lisait la Bible, écoutait quelques Gospels à la radio et faisait des mots croisés, assise sur son porche (terrasse couverte devant les maisons américaines). Toutes deux s’installaient ensemble quelques heures et se racontaient leurs histoires. Miss Sue se souvenait de sa vie en Géorgie, de la vie de ses douze enfants, tous décédés sauf un avant elle… Pendant la conversation, Miss Sue cousait, cousait… Elle faisait donc des robes, mais aussi les slips, les chemises de nuit, les nappes, les sets de table, les rideaux, des vêtements de bébé… Tout à la main par goût, même si elle savait utiliser une machine à coudre. Dans le quartier, on savait à qui confier ses ouvrages de couture !

Nous retrouverons Betty et Miss Sue avec des quilts très spéciaux prochainement !
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L’exubérance affichée des vêtements de Miss Sue n’est pas sans rappeler les célèbres boubous africains, que les femmes continuent de porter quand leur travail ou leur goût ne les mènent pas à s’habiller à l’occidentale. Les Occidentaux, aptes à se dévêtir quand il fait chaud, sont toujours étonnés de voir les couches de tissus sur les gens du cru qui, eux, se protègent de la morsure du soleil !
En parallèle avec les joyeuses robes de Miss Sue, Betty m’a indiqué une bien singulière histoire de vêtements qui remonte à une centaine d’années. Cela se passe en Afrique, très au sud, en Namibie. Ce pays était une colonie allemande depuis 1892. A force de se voir confisquer leurs terres et leurs troupeaux, les Hereros se rebellèrent. La riposte allemande fut abominable. Copiant les Britanniques qui venaient d’inventer les camps de concentration pendant la Guerre des Boers en Afrique du Sud (120 000 descendants de Hollandais et autant d’Africains noirs en camps), les Allemands parquèrent les Hereros à partir de 1904. Ils massacrèrent ce peuple et on parle là du premier génocide du 20e siècle. On estime que, de 80 000 personnes, les Hereros ne furent plus que 15 000 en 1915 à la fin de l’occupation allemande. En 2004, 100 ans après le début de cette tragédie, le gouvernement allemand reconnut la responsabilité morale et historique de leur peuple, offrant ses excuses au peuple Herero.

Dans le désert de Namibie et contrairement à celui du Sahara par exemple, les gens vivaient à peu près nus avant l’arrivée des missionnaires et des colons allemands. Pour la bienséance, ceux vivant à leur contact durent se vêtir, mais leurs habits n’avaient sans doute pas grande allure. Après la guerre, que firent les survivants Hereros pour marquer leur victoire finale ? Contre toute attente, ils s’approprièrent la plus belle mode de leurs oppresseurs, en souvenir de ce que leur peuple avait traversé comme épreuves, les portant comme des cicatrices visibles du passé ; ils clament ainsi leur propre victoire et indépendance. Les hommes s’habillent en tenue coloniale militaire et les femmes ont opté pour les robes à crinoline de la mode victorienne des Allemandes d’alors. C’est encore actuellement leur manière de s’habiller avec de sublimes variantes en patchwork, une mode joyeuse et élégante… mais aussi, quand on connaît l’histoire, une implacable manière de rappeler au monde le génocide dont les Hereros furent victimes.

















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Quelle personne extraordinaire. Merci de nous avoir parlé d’elle. Belle journée.
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Je dévore vos articles! je les trouve passionnants. merci!
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Je suis sous le choc : l’incroyable vie de cette femme accompagnée de cette incroyable force de vie et la beauté de ces costumes ! Je crois que la robe que je préfère est la même que la tienne . Je ne vais pas manquer de me procurer ce nouveau livre dont ma bibliothèque s’enrichira, une fois de plus, grâce à toi…..
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Miss Sue est extraordinaire, son travail est fantastique quelle liberté !
Merci Katell pour ce reportage sur le » vrai patch » si bien documenté
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Encore une belle aventure et une belle histoire méconnues, merci pour ces voyages. Quelle vie quand même !!!
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Je découvre grâce à Milou. Merci de prendre le temps de raconter, de relayer ces techniques, ces pratiques où l’on découvre, si l’on en doutait encore, que le talent n’est pas une affaire d’argent ! C’est réconfortant !
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Tu as raison ;la personnalité de Miss sue mériterait bien un film !
Merci pour cette jolie découverte
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Merci Katell de nous faire découvrir toutes ces histoires!
J’attends avec impatience de voir un peu mieux ce fameux quilt…
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merci mille fois pour la qualité de vos reportages à chaque fois ce n’est que découvertes et plaisirs je souhaite à toute votre équipe une année 2015 superbe et pleine de joie , de bonheur et de santétrès cordialement rosemary
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dehors c’est la grisaille mais grace à toi la journée commence en couleurs
ton article est un rayon de soleil
quelle femme formidable
– merci de nous faire partager tes découvertes et tes coups de coeur
on en redemande
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Il y a tellement de belles personnes qui méritent un tel hommage….
Merci Katell pour ce reportage qui, je pense, fera plaisir à Betty.
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Histoire extrêmement émouvante que celle de Miss Sue. Merci et bonne journée,
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Comme d’habitude, j’ai ouvert le blog dès le matin… avec une petite dose de culpabilité : non,non, pas le temps ce matin…!
Et voilà, une demi heure après, je suis encore devant mon écran. J’ai été une fois de plus complètement subjuguée par ces deux articles. Deux magnifiques découvertes ! Et tellement de souvenirs d’Afrique qui resurgissent en moi, même si en général les robes Camerounaises n’étaient pas faites de patchwork . J’y retrouve néanmoins la même l’exubérance dans les couleurs, le métrage et les coiffes de ces belle dames africaines.
Tu m’as beaucoup émue avec l’histoire de Miss Sue. Tu devrais te faire embaucher à la radio 🙂 aux infos matinales, pour partager cette agréable nouvelle qu’il n’y a pas que des fous sur cette terre…
Cela donne du baume au coeur
Un grand merci Katell
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Merci, vous avez enchanté le début de ma journée. Je lis vos reportages comme une enfant qui écoute les contes. Quels chemins vous nous faites parcourir, merci, merci….. Bonne journée et à bientôt
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Je suis toujours impatiente de lire tes articles, chaque fois un peu plus passionnants. Miss Sue est une femme hors du commun et ce récit d’histoire sur les Héreros m’a beaucoup touchée, j’ai craqué pour le livre.
Merci Katell de nous faire découvrir tant de beauté;
Bonne fin d’année, Nadine
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Merci pour ce magnifique reportage. Très bonnes fêtes, Marylou
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quelle belle personnalité!
quelle « nature »…
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Katell, Grand Reporter ! merci pour tous ces articles qui font découvrir des mondes nouveaux très loin de notre bien-être quotidien. Moi aussi, j’attends la suite concernant le quilt de Miss Sue.
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Deux magnifiques reportages! Merci Katel, j’attends la suite avec impatience…..
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Katell, Thank you for letting us peek into the life of Miss Sue. To combine what’s on hands to make something new! To give a new live to what’s discarded – A concept very well known to many cultures around the world, so important to follow no matter where one lives or how much she has. That is a whole another topic of conversation! I love reading your blog in the morning. I may have to get that book for myself. The images are so lively, it spills the lives of those beautiful women.
Loved the fireplace !!!
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Total respect devant Miss Sue ! Imaginez, 12 enfants !!!! Quelle vie !
Pas de doute, le patch, ça conserve !
La créativité des robes des femmes hereros wouaw !!!
Merci pour tous ces articles enrichissants !
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Superbement intéressant ! Une fois de plus, merci.
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Merci pour tous les articles tous passionnants j’attends toujours avec impatience l’arrivée du mail.
Bonnes fêtes de fin d’année et une nouvelle pleine de bonnes idées de patch.Amitiés Huguette
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Quelle histoire touchante que celle de Miss Sue ! Merci pour ces deux articles passionnants. Bonne soirée.
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Oh my! Miss Sue does deserve a movie! How fortunate we are to hear about her from you. I absolutely love her dresses with the mixed plaids. Maybe I will wear similar clothes when I am 92. I had never seen the costumes of the Herero tribe. They are fascinating. Thanks so much for your great reporting!
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sublime! Merci
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Wow, Wow, Wow ! Katell has done a magnificent job writing the stories I gave her in a beautiful, sensitive and informative manner for everyone to enjoy. I love the way she has intertwined quilting with history and going much deeper than I could have imagined. Thank you Katell for this Christmas gift. Thank you Leeann for introducing me to Katell and her following with their heartwarming comments. I will always remember this experience. Betty
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En cette fin d’année et les préparatifs de Noël en retard (mais qu’écris-tu donc encore ? me disait ma famille), je suis extrêmement heureuse de voir que j’ai su faire passer l’émotion que j’ai ressentie en découvrant la personnalité de Betty et son souvenir de l’attachante Miss Sue.
Merci pour tous vos commentaires et le temps que vous avez pris à me lire !
Demain le post sera un peu plus court, mais vous pourrez découvrir les fameux Pine Cone Quilts !
Bonne journée chères Amies de la Ruche des Quilteuses !
Thank you so much dear Betty for your confidence in me! On Saturday there will be your quilts online!
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Une belle collections de robes et personnages , merci pour ce beau reportage aucour duquel j’apprend beaucoup , on retrouve aussi beaucoup le plaisir d’assembler des bouts de tissus et montrer le passé et son evolution positive
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Quel plaisir de lire cet article, très touchant…
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une belle vie bien remplie que celle de Miss Sue! Les robes du peuples Herero sont étonnantes!
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Oui, pas de doute, l’émotion passe ! ça me laisse vraiment bouche bée ! incroyables robes ! c’est plein de soleil !
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Extra, le personnage de Miss Sue et les robes en patchwork. La dernière photo est sublime!
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