Quand la baie de Rio était française…

L’Histoire est passionnante, et bien sûr celle du Brésil intéresse les aventurières qui mettent en quilt la saga des Sept Soeurs ! Évoquons aujourd’hui un court épisode au milieu du XVIe siècle, à recadrer d’abord dans son contexte.

Remontons à la fin du XVe siècle, le 12 octobre 1492, il y a presque 531 ans. Christophe Colomb réussit à traverser l’Océan, après avoir convaincu Isabelle la Catholique de financer son voyage pour trouver une voie maritime plus courte que celle du contournement de l’Afrique, pour atteindre l’Asie. Il fait confiance aux cartes imprimées nouvellement grâce à l’invention de Gutenberg, d’après les études manuscrites du géographe grec Ptolémée (90-168). Le Monde est alors connu comme une sphère chez les érudits, et la carte montre à l’Ouest les îles Canaries, à l’Est la Chine. En toute logique, ça se rejoint… Nous savons maintenant qu’il y manque un continent (qu’on appellera Amérique) et un Océan (le Pacifique)… Son estimation était un voyage de 5 500 km sur l’Atlantique, alors que l’Asie est éloignée, à vol d’oiseau vers l’Ouest, de 27 500 km… Il ne connaîtra jamais cette erreur de son vivant ! Il appela les indigènes des Indiens, tout comme il aurait pu les appeler les Chinois…

Mappemonde de l’édition d’Ulm (1482) d’après La Géographie de Ptolémée, étudiée par Christophe Colomb.

La concurrence pour les nouveaux territoires était féroce entre l’Espagne et le Portugal, et le Pape Alexandre VI (de nationalité espagnole) a partagé le Monde entre Espagnols et Portugais dès 1493. À gauche du méridien dessiné, toutes les nouvelles terres seront espagnoles, à droite elles seront portugaises. Quel égocentrisme !

Deux traités de Tordesillas, qui changent beaucoup de choses…

Dès l’année suivante en 1494, le traité est renégocié par les Portugais. Pourquoi ? On peut les soupçonner d’avoir découvert la pointe nord-est du Brésil avant leur découverte officielle du Brésil en 1500, et donc ils voulaient leur part de gâteau… C’est ainsi que le Brésil parlera portugais, et le reste de l’Amérique du Sud espagnol.

Le second traité donne une part de l’Amérique du Sud aux Portugais. On ne peut pas trop croire au hasard !…

Un arbre remarquable poussait partout dans la forêt primaire côtière de cette terre découverte par les Portugais : le pernambouc en français, qu’on appelait communément le bois-brésil. Deux histoires sur son origine, qui donnera le nom au pays Brésil : les premiers Portugais virent des Natifs danser autour de cet arbre en scandant Brasil-Brasil-Brasil, esprit de la Nature ; l’autre – qui ne contredit pas totalement le premier – est que le bois coupé a la couleur de la braise, un chaud rouge paprika… Ce bois fut exploité jusqu’à sa disparition ou presque d’abord pour ses excellentes qualités tinctoriales (on aimait d’habiller en rouge en Europe !), puis pour la dureté de son bois (pour des meubles). On essaie de replanter cet arbre, car c’est le bois préféré des violonistes virtuoses : aucun bois, aucune résine, aucune fibre naturelle ou synthétique n’égale le pernambouc pour faire des archets (voir violon.com)…

François 1er n’accepte pas le traité de Tordesillas et fait partir divers bateaux de reconnaissance pour créer une colonie dans la baie de Guanabara, au nez et à la barbe des Portugais.

Les Portugais avaient découvert cette baie le 1er janvier 1502 ; la confondant avec l’embouchure d’un fleuve, ils la baptisèrent Rio de Janeiro, la Rivière de Janvier. Ils gardèrent finalement l’appellation autochtone pour la baie, Iguaá-Mbara (de iguaá = anse de fleuve, et mbará = mer) qui donne Guanabara. Plus tard, la ville de Rio de Janeiro y sera fondée.

Carte française de la baie, vers 1555. Elle enseigne notamment que le Pain de Sucre était alors une île (Pot de Beurre), alors que ce monolithe granitique est à présent sur une péninsule (hauteur 396 mètres)

Les Français profitèrent des relations difficiles entre Portugais et Topinambas (les Natifs de la région, avec les Tamoios) et préparèrent l’installation d’une colonie dans cette baie magnifique, en faisant plusieurs aller-retours, en sympathisant avec les Amérindiens. Le grand départ se fait au Havre avec l’amiral Villegagnon au commandement, pour arriver dans la baie le 15 novembre 1555. Cette colonie se nommera La France Antarctique et durera 5 ans. D’abord prévue pour faire un port intermédiaire pour le commerce des épices, la base française devint un utopique refuge pour les Protestants, sauvagement poursuivis par les Catholiques en France. Mais l’histoire est bien plus exubérante, foisonnante et riche que cela…

Le moine André Thevet (1516-1592) faisait partie du voyage, pour évangéliser les « sauvages ». Peine perdue ! Il écrivit néanmoins un livre sur ses impressions de voyage. Il rapporta aussi en Europe une herbe euphorisante, qu’il nomme d’après sa ville natale Angoulême, herbe angoumoisine. Mais quelques années plus tard, un autre Français s’en procure et lui, sait le faire savoir, en fournissant Catherine de Médicis qui soigne ainsi ses migraines. Il appelle cette herbe du même nom que les Amérindiens, le tabac… C’est Jean Nicot bien sûr !

Gravure d’André Thevet : les Indios vivaient nus, ce qui choquait les Européens, mais cela ne les empêchait pas de faire travailler les Natifs pour couper le pau-brasil, le bois rouge tant convoité…

Parfois, une fiction rend l’Histoire bien plus vivante. Je ne vous conterai pas davantage cette épopée, car Jean-Christophe Rufin l’a fait brillamment dans Rouge Brésil, ce qui lui a valu de remporter le Goncourt en 2001. Il s’inspira, tout comme Montaigne dans ses Essais, Rousseau pour le Bon Sauvage et bien d’autres, du remarquable livre de Jean de Léry (1536-1613), Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique. Celui-ci est bien plus respecté et exact que le livre d’André Thevet, et montre le conflit entre Catholiques et Protestants du côté des Calvinistes.

Nous savons globalement comment cela finit, les Français doivent partir, attaqués par les Portugais. Les Topinambas, même s’ils sont cannibales (ils mangent les ennemis battus le jour-même) sont admirés par les Français pour leur proximité avec la Nature, leur sagesse, leur beauté, leur santé (qui se détériorera avec les virus apportés d’Europe) : leur vie et leur environnement donnent une image du Paradis.

Topinamba, ce mot vous rappelle quelque chose, forcément… Le topinambour ! Samuel de Champlain rapporta cette plante cousine du tournesol d’Amérique du Nord, qui faisait de très bons tubercules, symboles de paix au Canada. Comment s’appelaient-ils en langue vernaculaire ? Je n’ai pas trouvé, chaque tribu devait avoir un nom différent. En anglais, on les appelle Jerusalem Artichokes. Artichaut pour la ressemblance de goût, Jerusalem par dérivation du mot italien girasole (tournesol). Bref, les mots sont souvent pleins de surprises. Et notre topinambour ? Eh bien, en même temps que les tubercules, arrivèrent en France seize malheureux Indiens Topinambas du Brésil, pour les montrer en exhibition. De malheureuses confusions s’ensuivirent… C’est aussi bête que ça ! Les topinambours, naguère très appréciés, furent détrônés ensuite par les pommes de terre, également d’Amérique, riches en amidon et donc bien plus nourrissantes (après avoir subi un purgatoire en raison de la suspicion de plante-poison…).

Fleur d’Helianthus Tuberosus, alias Topinambour

Le 12 octobre est un jour célébré dans toute l’Amérique, le Jour de l’Hispanité (Fête Nationale en Espagne), le Jour de Christophe Colomb… Il devient progressivement, par égard pour les Peuples Premiers, le Jour des Natifs, le Jour du Respect de la Diversité Culturelle… et le Cristo Redentor fut inauguré le lundi 12 octobre 1931, date choisie bien sûr !

Cérémonie de l’inauguration du Christ Rédempteur, chef d’œuvre Art Déco de 38 mètres, sur un éperon rocheux de 700 mètres.

Ce 12 octobre 2023 et jusqu’à dimanche 15 au soir je serai, avec mes amies de la Ruche,
au Salon des Loisirs Créatifs de Toulouse (au MEETT-Aussonne).
Nous y présentons les Jolies Frimousses
faites par de Fabuleuses Quilteuses d’Occitanie.
Si on pouvait,
on y mettrait bien quelques airs de samba et de bossa nova,
pour célébrer notre joie de vous revoir !
Katell

16 commentaires sur « Quand la baie de Rio était française… »

  1. Merci Katell pour toutes ces recherches que tu fais et que tu nous transmets. Le rouge Brésil me parle et je crois bien qu’il sera présent dans mon bloc.
    Mais pour le moment, je ne me suis pas encore impliquée dans cette aventure car pas mal occupée par ailleurs. Comme tu le sais, je prépare avec Les Petites Mains notre exposition Bisannuelle qui ouvrira ses portes ce vendredi 13 dans l’après midi, et pour tout le week-end
    Bien sûr nous attendons beaucoup de visiteurs et leur promettons de belles découvertes. L’excitation est sensible. Si vous êtes en Alsace ou dans le Grand Est, n’hésitez pas à faire le déplacement vers Langensoultzbach.

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  2. Merci Katell pour ce reportage qui va ensoleiller ma journée et me donner des idées pour le tome 1. Je brode, j’applique, je colle….Bonne journée à toi. A bientôt. NB ma tablette ne me permet plus de pouvoir ajouter mon commentaire, mystère…

    Envoyé de mon iPad

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    1. Je viens de « t’approuver », j’espère que tu pourras mettre autant de commentaires que tu veux désormais !
      L’effervescence est bien autour de la représentation de Rio, pour les quilteuses qui s’engagent dans la Saga de Lucinda en textile.
      On continuera jusqu’à fin octobre pour le tome 1, ensuite on changera d’ambiance ! Bonne création !

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  3. Waooh ,je viens de passer 6 jours en voyage, je me comprends, je suis à Hanoï ce qui pour la plupart est un voyage , mais je suis chez mon fils et la première semaine c’était surtout refaire les peintures du sejour et couloir…vous avez dit vacances ?
    Là nous sommes allés voir les montagnes du nord ou sont les ethnies qui font un travail textile fabuleux, mais ici comme ailleurs tout fout le camp, elles portent toujours la tenue traditionnelle mais plus faite à la main, elles ont dû vendre leurs magnifiques jupes brodées multicolores ou imprimées à l’indigo aux touristes precedents desormais elles portes des jupes synthétiques plis permanents toutes molles ! Bon on ne s’étendra pas.
    Pas de connexion durant la semaine je reprends pied juste maintenant.
    Katel tu es une véritable encyclopédie, j’ignorais cet episode et je ne sais comment je suis passée à coté du livre de J C Ruffin car j’en ai lu une quantité. Merci pour ces précisions, je ferai mon devoir debut novembre , et j’enchainerai sur le deuxième tout de suite après, la mer et la musique pas mal.
    Bon ttravail à toutes M C

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    1. Quel dommage que les si beaux vêtements traditionnels disparaissent… le monde change inexorablement.
      Profite bien de l’Asie, tu rattraperas ton petit retard en rentrant !

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  4. Topinambour… Rouge Brésil.. Merciii Katell. C’était encore one more time foisonnant d’histoires et tu y a mis encore une fois tout dans un désordre très ordonné… j’adore… à la portée de tous. Bonne expo et que L’aventure continue. 🇧🇷💕

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  5. Fabuleux. Merci pour cette page d’histoire. Je relirai quand je reviendrai chez moi amicalement Michèle Picard Sent from Gmail Mobile

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  6. Merci beaucoup pour ce superbe résumé ayant vécu ma jeunesse dans ce merveilleux pays je suis toujours passionnée quand on en parle

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