Anne Woringer au PAF 2023

Aujourd’hui et après-demain, mes projecteurs sont dirigés sur deux artistes françaises remarquables, que j’ai suivies au fil des articles de magazines depuis le milieu des années 1980. Elles font partie du creuset parisien à partir duquel le monde du patchwork français s’est développé avec le succès qu’on connaît ! Nous sommes toutes, ou presque, héritières de ce formidable élan initial dont j’ai déjà parlé à l’occasion de l’exposition des Filles du Rouvray au Château de Lacaze en 2021 (lire ici et ). Anne Woringer et Édith Raymond ont, pour leur part, tracé leur chemin personnel, que nous allons emprunter ensemble. Aujourd’hui, rendons visite à Anne Woringer.

Cerise sur le gâteau, ne manquez pas l’annonce du thème principal du Salon Pour l’Amour du Fil 2024 en fin d’article !

Cela fait des années que je voulais vous présenter Anne Woringer, que j’avais croisée plusieurs fois à ses expositions, sans oser lui parler. Que lui dire, sinon banalement que j’aimais ses œuvres, du fond du cœur ? Il a fallu que Cosabeth Parriaud nous présente mercredi matin au Salon pour que le lien se fasse. Cosabeth, une autre de mes modèles depuis le début des années 1980, cette fille à qui je rêvais de ressembler avec son air de squaw sur les 100 Idées, celle qui déjà utilisait des blue jeans pour en faire des étoiles !!

Anne Woringer a un style complètement en dehors des modes. On le reconnaît au premier coup d’œil, avec l’amour du bleu indigo teint, reteint, déteint…, l’obsession de la couleur lumineuse apportée par des milliers de points, uniquement au point avant ou de chaînette, et bien souvent des formes qui touchent aux racines de l’art, avec un langage universel. Ses labyrinthes brodés ou piécés me rappellent les pierres gravées celtiques du néolithique… et de bien d’autres civilisations des Peuples Premiers.

Le triskell n’est pas d’origine bretonne, il est bien plus universel ! Ici, c’est une pierre gravée du Camp de la Bure, à 30 km de Sainte-Marie-aux-Mines (près de St-Dié, 88). Les labyrinthes et sentes sinueuses sont des créations humaines récurrentes dans le monde entier, sous maintes formes.
Objet de résistance au colonialisme, les Molas sont cousues avec maestria par des femmes d’Amérique Centrale. J’ai lu un jour que les femmes se dessinaient naguère des dessins sur leur poitrine nue et les Jésuites leur imposèrent le corsage. Elles auraient donc développé leurs dessins en textile comme forme de résistance, inventant cette technique (qui existe également en Asie !). Je ne retrouve pas trace de cette histoire, pardonnez-moi si ce n’est qu’une légende ou fake news !

En textile, comment ne pas rapprocher les œuvres d’Anne Woringer avec les Molas ? C’est une des inspirations qu’Anne revendique dans son livre Au Fil d’une passion (Éditions Quiltmania). Elle se confie avec grande sincérité dans ce livre, déroule le fil de sa vie avec des joies, des embûches, des drames, et toujours beaucoup de visites d’expositions, de musées, des voyages, des rencontres qui nourrissent son esprit curieux et créent sa singularité artistique.

Tout l’esprit d’Anne Woringer se trouve dans un de ses tout premiers quilts personnels, Fontaine bleue, 1985. On a des tissus ethniques, du bleu, l’idée de l’eau, la lumière, le labyrinthe… Photo du livre Au Fil d’une Passion 1, Éditions Quiltmania.

Dès ses quilts de la première heure, j’admire son utilisation des contrastes lumineux. Sa liberté d’esprit l’encourage bien vite à explorer le patchwork sans gabarit, avec la recherche constante des vibrations des couleurs.

Ce n’est peut-être pas le labyrinthe le plus réussi de la série de 1988 (même s’il est splendide !), mais il a la particularité d’utiliser un matériau qui avait alors fait grand bruit : le quotidien Libération avait été publié aussi sur du textile ! Le noir & blanc se détache bien, quelle bonne idée… Les tissus imprimés noir & blanc ont du succès en ce moment, c’est une tendance qui se développe beaucoup dans le patch moderne. Anne, elle, l’utilisait dès 1988 ! (photo du livre Au Fil d’une Passion 1, Éditions Quiltmania)
Admirons ce merveilleux quilt… J’aurais tellement aimé le créer ! (photo du livre Au Fil d’une Passion 1, Éditions Quiltmania))

Je vous recommande très chaleureusement ces deux livres, vous y découvrirez les nombreuses séries, les détails de ses inspirations… Par la lecture, par l’observation des photos, vous vous attacherez à cette merveilleuse artiste 💙 :

J’ai ces deux livres d’Anne Woringer, dégustés sans modération !

L’exposition 2023 était consacrée à une partie de ses réalisations récentes, qu’on peut admirer dans le second tome d’Au Fil d’une Passion.

En passant rapidement, on peut imaginer qu’Anne Woringer recycle des blue jeans. Erreur ! Les blue jeans ont un tissage particulier nommé sergé (en côtes obliques, en glissant par exemple la navette 1 fil dessous, 3 fils dessus), alors que les tissus utilisés par Anne sont des toiles simples (un fil dessus, un fil dessous).

Le point avant est devenu minoritaire pour faire place à l’épaisseur du point de chaînette. Anne explore ici le Cercle, le parfait symbole d’unité, de plénitude, rappelant l’esprit zen et la Pleine Lune… Une beauté intemporelle !

Planète Bleue. Anne dessine uniquement les espaces qui resteront sans broderie, ensuite, elle laisse courir son imagination et son aiguille…

Autre thème, cette fois en broderie uniquement : les pierres de Cuzco. Cuzco, c’est 3000 ans de civilisation Inca, et des murs aux pierres ajustées au millimètre près. Anne a vécu 12 ans en Argentine dans sa jeunesse et elle voue parallèlement une admiration sans borne aux arts amérindiens. Un point commun de plus !

C’est un mur de Cuzco, qui a inspiré Anne !

Et puis les Korrigans font leur apparition dans une danse joyeuse :

Et aussi, les mystérieux hiéroglyphes, dessins-écritures qui racontent les racines de l’humanité, mais malheureusement nous ne voyons pas, nous n’entendons pas leurs messages…

Les Hiéroglyphes écarlates sont brodés sur des tissus anciens teintés à l’indigo, ce qui renforce le lien intemporel entre le fond et la forme de ce tableau.
Les Petites Portes bleues et Dazibao
Anne Woringer et sa cousine, au Salon de Nantes le 21 avril. Merci de m’avoir consacré du temps, chère Anne !

En admirant les œuvres d’Anne Woringer, j’ai encore plus la conviction que tout est relié, et que nos fils qui se croisent et recroisent, en textile et en broderie, nous connectent à la Vie et symbolisent la beauté de notre monde.

Carol Veillon, créatrice de Quiltmania et Directrice des Éditions Quiltmania, a lu mon article présentant le Salon Pour l’Amour du Fil 2023.
En remerciement, elle m’a fait honneur d’annoncer en commentaire, en avant-première, le thème principal du Salon 2024 :
Made in France !
Rendez-vous à Nantes l’année prochaine, du 17 au 20 avril !

À très bientôt, pour la (re)découverte d’Édith Raymond,
autre figure exceptionnelle du monde textile français contemporain !
Katell

32 commentaires sur « Anne Woringer au PAF 2023 »

  1. Bonjour chère Katell, merci pour ce nouvel article ! Je me rends compte que je suis totalement passée à côté de cette artiste, alors que je l’ai rencontrée une fois à Nantes, à l’occasion de la parution d’un de ses livres… On a même un peu discuté. Le travail me parle seulement aujourd’hui, avec vos explications… Les goûts évoluent aussi avec le temps… Bref, merci pour cette nouvelle découverte ! Très bonne journée à vous et à bientôt !

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  2. Ces œuvres m’ont touchée mais je suis passée à côté de sa technique et de son histoire merci Katell d’être curieuse pour moi 😊

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    1. C’est tellement différent de l’éblouissement des quilts des maisons d’expo voisines ! C’est un autre univers, que je voulais mettre en lumière car je l’aime !

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  3. Bonjour Katell. J,ai vu Anne Woringer je ne sais pas si c’est à Sitges ou SteMAM et j’ai vu ses mains de grande brodeuse… Et sa modestie, sa créativité etc…et la beauté particulière de ses œuvres. Merci Katell nous émerveiller avec Nantes.

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    1. Anne Woringer a une place unique dans notre monde des arts textiles, avec sa sobriété croissant au fil des ans, alors que la majorité fait le chemin vers plus de couleurs, plus de détails…

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  4. Merci pour tout ces détails Katell… cette année je suis passée à côté d’Anne Woringer…mais il y a quelques années j’avais osé lui dire combien j’aimais son travail… même si je suis complètement incapable de faire quelque chose lui ressemblant….c’est très inspirant.. merci pour tous les détails donnés…

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    1. Broderie et bleu indigo magistralement associés, avec bien sûr un air japonais…
      Je viens de tomber sur une annonce d’une exposition au Musée du Quai Branly, appelé Song Lines, Chant des Pistes, qui est le système de croyance animiste des Aborigènes d’Australie. Comme chez les Amérindiens, ils suivent le chemin de leurs rêves et dessinent des sinuosités qui rappellent celles d’Anne Woringer. Je n’avais pas voulu écrire trop long, mais l’actualité me souffle cette relation (d’où le langage universel dont je parle).
      Je sais que tu sauras t’inspirer des idées d’Anne Woringer, toi grande brodeuse glazik ! On y trouve déjà tant de sinuosités… et du point de chaînette !

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  5. Merci pour cet article très intéressant .
    Grande admiratrice d’Anne Woringer depuis le début . J’ai été très heureuse de pouvoir admirer ses oeuvres et de la rencontrer à nouveau . De plus, c’est une personne charmante .

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  6. Oui j’ai déjà vu les œuvres d’Anne Woringer dans plusieurs salons. C’est vrai que son approche est particulière mais tellement belle avec ses broderies « simples » qui mettent l’ouvrage en valeur.

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  7. Je suis ravi du rapport. Le sujet du travail d’Anne Wohringer est très intéressant. Je suis son travail depuis plusieurs années. Anne arrive toujours à surprendre. Elle est inventive et parvient toujours à intégrer des thèmes sociaux dans son travail.
    Son travail peut « parler » au public.
    Merci pour le lien vers ses livres, je vais les consulter tout de suite !!!
    Encore une fois bravo. Ce pas etonant que tu as été approché par la redaction Quiltmania pour écrire un article, tu es un vrai pro !!!

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    1. Merci pour tous ces compliments Renata !
      Je rétablis les faits : la rédaction a lu mon article parlant de leur Salon, et ma récompense a été d’avoir l’information du thème en avant-première 😊
      Bonne journée !

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  8. Bonjour je trouve très beau tous vos ouvrages. J’aimerais aller à Nantes au salon l’année prochaine.pouvez vous me dire le thème du salon pour 2024. Avec tous mes remerciements. Patchamicalement Mary Luz

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  9. Merci pour cette belle présentation. Oh que j’ai aimé ses patch Dazibao et Petites portes bleues! ! Nous avons eu la chance de faire un petit tour commenté avec elle… encore une fois, modestie et gentillesse… quel bon moment!

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  10. Merci pour ces articles évoquant l’histoire du patchwork en France . On voit que nos artistes françaises évoluent en permanence. Je les suis depuis 30 ans avec bonheur et un peu d’envie .

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  11. Merci de votre culture, de votre partage. J’avoue mon inculture dans le domaine du patchwork , de la culture bretonne ainsi que découvrir ces belles personnes

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  12. Les quilts indigo de Anne Woringer font partie de mes meilleurs souvenirs de ce salon.
    J’ai surpris, en passant près d’elle, une bribe de conversation où elle donnait son âge – que je tairai – mais qui m’a bluffée… et qui m’a prouvé que quilter maintient en forme!

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    1. Oui, l’amour de l’art préserve nombre d’artistes ! Suivons modestement leur chemin…
      Je suis heureuse que tu aies pu voir cette exposition avec attention, il y avait tant à voir !…

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  13. Merci Katell pour ce bel article. C est surtout ses patchs bleus notamment planète bleue qui m interpellé. Les dates sont notées pour 2024. J espère que la délégation haute Garonne organisera un voyage groupée, sinon on le fera avec 2 3 copines en individuelles.
    Bon premier mai. A bientôt
    Je t embrasse

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