Me trouvez-vous bien emphatique aujourd’hui ? Mes sujets peuvent sembler futiles au regard de drames personnels, mais tout de même je vous laisse juger si j’exagère vraiment…
Mon premier sujet de désarroi est le devenir de nos quilts d’aujourd’hui. Nous achetons des tissus de patchwork fort cher parce qu’ils sont « trop beaux »… Outre financièrement, nous investissons affectivement dans les étoffes choisies, sans compter le temps que nous passerons à cogiter, hésiter, décider, accorder, mesurer, couper, coudre, quilter, sans parler de découdre, re-mesurer etc. Nous faisons de notre mieux pour obtenir un résultat honorable et durable. Et puis quelques années passent, parfois juste quelques mois, et on se rend compte que certaines couleurs s’effacent, des harmonies se désaccordent, des valeurs changent… Nous qui avions pris tant de précautions dans nos choix de tissus !
L’as-tu lavé avec un détergent trop fort ? L’as-tu mis longtemps en plein soleil ?
Mais non, jamais de la vie !!!
Le soupçon d’une quelconque maltraitance envers le quilt plane… jusqu’à ce que cela vous arrive à vous aussi !
Depuis des lustres nous avons de grandes peurs -justifiées- envers quelques couleurs qui déteignent, des rouges assurément, mais aussi d’autres teintes. Le dégorgement a ruiné plusieurs quilts et la parade actuelle réside dans les lingettes « anti-redéposition » de pigments. Ces tissus aux trop-pleins de couleurs ont presque disparu des grandes gammes, un effort de rinçage a sans doute été fait.
Et puis il y a l’éternelle question qui divise les quilteuses : doit-on laver les tissus tout juste achetés ? On enlève ainsi un apprêt, un lustre que beaucoup adorent (moi aussi…) mais on enlève aussi maints résidus chimiques, y compris du formaldéhyde hautement toxique, vedette de l’industrie de finition des textiles : il apprête le tissu pour l’impression, le défroissage, l’ignifugation… Les tissus sont également traités aux insecticides ! Y a-t-il aussi un anti-UV qui se dissout au premier lavage ? Je n’en serais pas surprise…

J’ai acheté énormément de tissus de patchwork dits « de qualité », de grandes marques pendant les dernières décennies, mes goûts plutôt classiques font que je les aime toujours 10 ou 20 ans après. Des bouts restent dans des cartons, mille et un petits restes destinés à de futurs scrap-quilts… Mais je suis effarée de voir l’état de certains tissus des quilts qui « vivent » simplement dans une pièce normalement éclairée. Constat contrasté (c’est le cas de le dire), car certains tissus restent comme neufs alors que d’autres sont affadis de manière incroyable. A partir d’expériences des Abeilles de la Ruche, il semble que les teintes résistantes sont du côté des tissus de patchwork « repros », ces grandes séries historiques semblent imprimées pour durer, les tissus n’ont d’ailleurs pas le fameux lustre ; les imprimés au Japon (de style indigo, aussi bien que les imprimés dorés, les fleuris, les tissés-teints, de marque américaine comme japonaise), les batiks aussi, les tissus de récupération (ah les satins fermiers français qui restent si beaux, les tissus d’ameublement, les unis teints recto-verso et tissés-teints résistants !…) ; les fameux bleus hongrois Kekfesto, teints à la main, sont garantis grand teint, pourtant les bleus sont souvent les premiers « tissus-catastrophe » !
Quant aux autres c’est la loterie, les tissus les plus chers et raffinés n’ont aucunement garantie de pérennité.
Combien de tissus sont-ils touchés, 20, 10, 5 % ?… Cinq, dix ou vingt pour cent de trop en tout cas.
Marie-Claude de la Chambre des Couleurs a fait un article sur un quilt dont les tissus ont changé de valeur, de couleurs même, de manière aléatoire. Certains résistent, d’autres non, cela fait partie des aléas… Mais est-ce normal ?

Ici je vous montre un quilt fait il y a six ans. Dans cet article, on l’aperçoit sur son lit. Beaucoup de tissus sont restés quasi-intacts mais certains sont anormalement éclaircis, les imprimés presque disparus parfois même. Est-ce la faute de la luminosité toulousaine ? Ce quilt reste sur le lit dans la chambre de ma fille exposée plein sud… mais il est au fond de la pièce ! Il est vrai que la lumière artificielle peut elle aussi faire fondre les couleurs. Voyez les deux carrés-témoins de l’affadissement de deux tissus.
Même mésaventure pour un superbe « Ocean Waves » de Maïté (aperçu ici sur son lit), quelques tissus bleus de patchwork sont devenus gris en un an, ce qui rompt l’harmonie qu’elle avait minutieusement établie.
Que faire ? Je n’en sais rien, sinon faire remonter le mécontentement aux grandes firmes. Que se cache-t-il derrière ce grave manque de qualité de certains tissus ? Il est en tout cas urgent que les processus de teinture soient drastiquement améliorés. Est-ce pour cette raison que des tissus Moda sont à présent made in Japan ?
Actuellement, les Abeilles et moi travaillons avec des tissus imprimés au tampon et teints artisanalement. Je suis impatiente de voir, dans un an, la tenue des couleurs à la lumière. J’aurais tendance à être plus indulgente pour ces tissus teints avec des pigments naturels et pourtant je suis presque sûre qu’ils résistent mieux que certains de mes tissus de patchwork. Les tissus dits artisanaux ne garantissent pas la qualité (voir ici !), pour le travail industriel comme artisanal, c’est plutôt une question de savoir-faire et de respect du travail bien fait.
Nous voyons les ravages du temps sur des quilts centenaires ; le charme de l’antique, du vintage, l’émotion suscitée par des pièces anciennes nous font accepter leur vieillissement somme toute naturel. On ne peut pas en dire autant des quilts récents abîmés par la lumière en quelques mois.
Ce problème de tenue des couleurs n’est pas insoluble et il me semble impossible que rien ne soit fait, nous méritons tout de même quelques égards quant à la qualité de nos tissus… Le fait que des tissus traditionnels résistent bien mieux que certains récents me fait espérer qu’il y a d’autres solutions que « plus de chimie », je le crois tout en n’étant pas spécialiste.
Le thème bien plus vaste de la production du coton dans le monde est le thème de
ce livre :
Sorti il y a 8 ans déjà, ce livre décrit les différentes situations géographiques, économiques, sociales, écologiques de la culture du coton dans le monde. Je ne regarde plus mes vêtements, mon linge de maison, mes tissus de la même manière depuis que j’ai lu ce carnet de voyage… Le coton est une plante exigeante, d’où de nombreuses dérives ! Ce livre se lit comme un roman palpitant grâce aux talents de conteur d’Orsenna, mais le constat est alarmant. Pourtant, il y a des solutions!
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(Abeille dans son alvéole hexagonale Valériane Leblond)
Inquiétude pour nos quilts, inquiétude pour les abeilles décimées… Je ne vous recommande pas le DVD que j’ai visionné pendant ces vacances, il m’a trop démoralisée… Savez-vous qu’en Chine, dans le Sichuan, la pollinisation des vergers se fait maintenant à la main, en particulier par les enfants légers sur les branches ? C’est une conséquence de la « Campagne des Quatre Nuisibles » (les rats, les mouches, les moustiques et les moineaux) de Mao Zedong.
Pourquoi les moineaux ? Parce qu’il mangeaient le grain des paysans ! Avec du poison largement répandu, les moineaux ont disparu. Mais les moineaux ne mangent pas que des grains, ils dévorent aussi et surtout la vermine… Équilibre écologique rompu, pesticides à foison… et disparition donc des insectes butineurs. Ce n’est qu’un des reportages croisés de ce document, les autres sont tout aussi terribles, dénonçant l’apiculture transformée en un business détaché de la nature et du vivant avec des conséquences désastreuses au niveau mondial.
J’ai envie de conclure par la célèbre phrase d’Einstein (Si l’abeille disparaît de la planète, l’homme n’aura plus que quatre années à vivre), mais il paraît qu‘elle lui est faussement attribuée…

Espérons tout de même que l’alliance des abeilles et des hommes pourra perdurer…