Désigner les livres produits non essentiels n’est pas bon signe. Je n’ai pas envie de polémiquer ici, mais vous devinez mon agacement. Enfin, les commerces ont de nouveau le droit d’ouvrir et de vendre ces fameux non-essentiels, tellement mal désignés. Nous restons cependant en confinement, il faut arriver à faire baisser suffisamment les chiffres pour passer une fin d’année en famille réunie et ce n’est pas gagné. Et je sais que tant de personnes ne peuvent toujours pas travailler… Changeons donc de sujet, pour éclairer notre journée.
Aujourd’hui, je me réjouis de vous recommander un livre de patchwork français qu’on peut acheter en librairie ! Cela fait un an que je voulais écrire cet article, mais j’avais bien souvent une actualité à traiter. Cette année est passée tellement différemment de toutes mes prévisions que, presque à son issue, il me semble que je ne l’ai pas vécue.
Patchwork – Contre-cultures, le ton est donné dès le titre et sur la 4e de couverture. Les protagonistes sont les Femmes ! Ce livre est posé sur mon quilt Castelnau (présenté dans BeeBook)
Il s’agit d’un livre assez particulier dont l’éditeur, Jean Poderos, raconte l’histoire en préface. Vous vous souvenez de Jacqueline Morel qui enchantait les pages de Marie-Claire Idées avec des quilts poétiques. A sa disparition, nous étions bouleversées et j’avais écrit cet article en hommage. La famille de Jacqueline, consciente de son impact sur le monde des quilteuses françaises, a ardemment souhaité laisser une trace plus conséquente que de simples présentations de quilts dans un magazine.
Ainsi est né le projet du livre. En le feuilletant, on voit que des doubles pages en fond noir parsèment le volume : c’est ici l’histoire de Jacqueline Morel, illustrée de ses quilts qui accompagnent les tendances que nous avons nous aussi traversées depuis les années 1980. C’est le Portrait de Jacqueline Morel au long cours en neuf parties. Nous parcourons la vie de cette artiste et nous apprécions son sens des couleurs, son goût du travail manuel bien fait, ses talents de dessinatrice et son humanité… Un régal de parcourir ainsi sa vie de quilteuse, et la nôtre en miroir.
Quant aux pages imprimées sur fond blanc, c’est là aussi une très bonne surprise. Je ressens beaucoup d’affinités avec les thèmes présentés par les auteures. Enfin, un livre français qui raconte en détails l’histoire du patchwork dans le monde et sous toutes ses coutures ! Vous y trouverez aussi bien l’économie rurale et le « faire avec ce qu’on a » que les quilts de concours ou le simple loisir, la force des appliqués, la folie des crazy tout comme la symétrie du patchwork en blocs, et aussi les quilts bavards et contestataires, les quilts faits en commun, la sororité… Autant de thèmes auxquels vous êtes habituées, vous lectrices de la Ruche des Quilteuses !
Très bien structuré, l’ouvrage passe en revue de nombreux thèmes que vous avez pu aussi lire ici dans mon blog. Le livre a l’atout majeur d’avoir un déroulement logique, et de plus en plus je ressens la faiblesse de mon blog : comment s’y retrouver dans près de 1 100 articles étalés sur 9 ans ? Il y a bien les rubriques et la magie des liens, mais moi-même j’ai parfois du mal à retrouver un article… Je suis ravie de trouver imprimées en français les idées que j’ai déjà abordées – et bien plus encore ! – avec ordre et logique. Bravo à l’audace de l’éditeur, bravo aux auteures Marie Le Goaziou et Nathalie Bresson !
J’avoue ne pas connaître Marie Le Goaziou. En revanche, Nathalie Bresson est mon amie sur Facebook depuis plusieurs années, ça crée des liens ! Elle a activement participé à ce livre et j’apprécie sa culture encyclopédique du monde des textiles, toujours bien à propos.
C’est donc un livre que je vous recommande sans hésitation. Décembre, c’est le mois des cadeaux, soufflez donc cette idée à vos proches !
Dans notre monde des arts textiles, le Japon compte beaucoup. On y trouve d’abord des artistes exceptionnelles, un raffinement inégalé, des tissus émouvants… Je reste personnellement amoureuse des styles de Keiko Goke, Shizuko Kuroha et de Marie-Claude Tsuruya, Japonaise par alliance. La première incarne la modernité, l’improvisation et la richesse de la fantaisie, alors que les deux dernières subliment les étoffes devenues précieuses par leur ancienneté et leur symbolisme : les vrais indigos, les sarasa et tous ces beaux tissus provenant des kimonos… En ce qui concerne l’art des quilts au Japon aussi, modernité et tradition restent à égalité dans mon cœur.
Même si j’ai admiré les quilts en tissus taupe, je n’en ai jamais été très fan personnellement, mais cela a permis un rapprochement entre nos deux cultures. C’est toujours bénéfique🙂.
Peu à peu, la mode japonaise a quitté le devant de la scène du patchwork mais a gagné les étagères des librairies pour nous insuffler de nouvelles habitudes. Rangeons avec Marie Kondo pour un intérieur minimaliste, épanouissons-nous avec la recherche de notre ikigaï (la raison pour laquelle on a envie de se lever le matin), mangeons comme à Tokyo des sushis et comme à Okinawa une soupe miso au petit-déjeuner, offrons nos cadeaux emballés d’un furoshiki, jouons à Super-Mario et lisons des mangas, promenons-nous dans les bois pour un shirin yoku (bain de forêt bénéfique), apprécions l’imperfection avec le wabi-sabi, les reprises textiles avec le boro et le chiku-chiku… J’ai l’air de me moquer de toutes ces modes venues du Soleil Levant, mais non, j’y suis sensible et parfois m’y adonne avec enthousiasme, comme plusieurs d’entre vous !
Le Kintsugi
Et voici la nouvelle mode venue du Japon !
Ah la beauté de l’imperfection, le wabi-sabi ! C’est un concept que je défends depuis longtemps en patchwork et que j’ai abordé dans mon livre BeeBook (toujours en vente auprès de France Patchwork et, espérons-le, bientôt de nouveau en Salons de loisirs créatifs et en JA !). Avec le Kintsugi, il s’agit de réparer sans essayer de rendre l’apparence du neuf, agir en assumant les rides de l’âge, la marque des fêlures. Les deux principes se complètent : l’acceptation de l’imparfait, du « pas neuf », et la vision de la beauté hors jeunesse et nouveauté.
L’art du Kintsugi est donc traditionnellement appliqué aux objets fêlés, cassés, puis réparés avec un soin extraordinaire : les fêlures sont colmatées à l’or, les défauts sont sublimés, les faiblesses rendent l’objet plus solide qu’à l’origine…
La coach Céline Santini va plus loin en faisant le parallèle entre le Kintsugi et la résilience, ce principe psychologique mis en lumière par Boris Cyrulnik. Il s’agit de la capacité d’une personne à transformer un traumatisme en souvenir acceptable, à partir duquel on peut se reconstruire. On guérit en soignant ses blessures et on devient même meilleur et plus fort.
Son livre détaille à la fois l’art de réparer une fêlure d’un objet à l’or et celui de se réparer psychologiquement, se développer harmonieusement, pour aider à mieux vivre. On lit même que les personnes ayant été cabossées par la vie et qui se sont réparées, deviennent plus touchantes, plus intéressantes, plus authentiques. Le parallèle est saisissant. C’est un beau livre que j’ai eu grand plaisir à lire.
Le Kintsugi en patchwork
Déjà, au 19e, le japonisme, la Japanmania, touchait les artistes occidentaux. Pendant que les impressionnistes et autres peintres contemporains modernes s’inspiraient de l’art de l’estampe, l’art de la craquelure des poteries et porcelaines séduisaient les Américaines au point de s’en inspirer et de créer… le patchwork crazy ! C’est du moins une des versions, la plus vraisemblable d’ailleurs, de la naissance de ce style.
Le Bazar japonais à l’Exposition Universelle de Philadelphia, en 1876. Les porcelaines craquelées furent les inspirations pour le crazy patchwork, et en même temps, au même endroit, les dessins qu’on voit en décoration donnèrent l’idée de créer le bloc de l’Assiette de Dresde (voir son incroyable histoire par ici).
En Angleterre, Charlotte Bailey emballe de tissu chaque morceau d’une porcelaine cassée et les joint en décorant les failles au fil d’or fixé au point de Boulogne, le résultat est incroyable :
Un vase cassé ? Charlotte Bailey a conçu un long processus de rénovation avec chaque morceau emballé de tissu…
Le Kintsugi a fait récemment irruption dans la mode du patchwork moderne, quand il s’agit d’ajouter une petite pièce après une erreur de mesure par exemple. Au lieu de cacher le rattrapage, on le met en valeur, comme ici, après des erreurs de coupe, avec un tissu finement rayé et très visible :
Le livre qui a grandement popularisé le Kintsugi dans le patchwork improvisé est du Britannique Nicholas Ball. Bizarre, je n’ai pas encore pris le temps de vous parler de lui alors que je me sens si proche de sa démarche !
Double page montrant le quilt Kintsugi de Nicholas Ball (éditions Lucky Spools)
Comme bien souvent, Debbie de Seattle a judicieusement utilisé le modèle pour en faire un quilt, simplement beau comme j’aime :
K comme Kintsugi… Cette lettre m’inspire pour faire mon premier bloc officiel à la manière Kintsugi – même si, avec les quilteuses Patch d’Oc, nous avions déjà utilisé cette technique d’insertion pour nombre de blocs du blason de Lacaze sans lui donner d’autre nom que patchwork libéré.
Ce sont ici les tout premiers blocs faits avec mes amies pour le quilt Blason de Lacaze, avec l’esprit libre de contraintes. Un grand amusement !
K comme Katell. J’ai d’abord pensé écrire mon prénom en langue des oiseaux (piou-piou, cui-cui ? Non, ce sont des jeux de sons, de lettres, de mots, des jeux de sens cachés de mots ou de phrases…), Katell devenant simplement KTL. Le E, avec ses 3 barres parallèles, me semblait le plus difficile à intégrer, mais finalement j’ai écrit toutes les lettres, le E se pliant tout de même gracieusement à l’exercice !
Ce sont les premiers essais, je sens que je vais bien m’amuser avec ces lettres très stylisées façon Kintsugi ! Ici un seul bloc pour deux L – deux ailes – pour voler plus vite.
Ce sera un petit quilt, à poser sur une table, avec son esprit discrètement japonisant… Se souvenir de la beauté de la fêlure qui laisse passer la lumière…
Elle est discrète et se met si peu en avant qu’elle devient invisible, mais si elle n’est pas là tout change. Indispensable donc, elle est rarement au centre de la conversation et pourtant elle est, vous le devinez, toujours à l’esprit.
Qui est-elle ?
C’est la marge de couture, qui varie selon les siècles, les habitudes, les techniques. Si elle est absente, le patchwork bascule dans le mix-media ou art textile, avec l’utilisation de colle ou autres moyens d’attache et le tissu qui reste à cru. Certains appliqués sans marge de couture font l’exception, restant de style traditionnel en laine à cru par exemple.
Des appliqués sans marge de couture restent dans une certaine tradition, en flanelle ou feutrine, plus rapides à réaliser. Création Cosabeth Parriaud pour Marie-Claire Idées.
La discrète est essentielle et aujourd’hui, pour une fois, la discrète se fait vedette⭐.
Le patchwork mosaïque
Commençons par le patchwork en mosaïque, qui est une des origines de notre art. Il est appelé aussi patchwork à l’anglaise, car c’est chez nos voisins et néanmoins toujours amis malgré le Brexit 😏 qu’il est né. Technique utilisée de nos jours principalement pour faire des hexagones, c’était l’unique moyen, naguère, d’assembler toutes les pièces de récupération des couturières (en soie, satin, brocart et autres étoffes glissantes), un gabarit en papier de l’exacte forme et dimension de la pièce cousue qu’on recouvre et « emballe » de tissu.
Et la Discrète ? Ici les marges de couture doivent être suffisantes, mais il n’y avait pas vraiment de règle : on coupait à vue, juste assez pour bâtir en enveloppant le papier.
Le plus ancien patchwork qui nous reste, fait en patchwork à l’anglaise, est daté de 1718. Il est cousu sans aucune pièce appliquée, ce qu’on pourrait croire en le regardant :
Pour le tricentenaire de ce vétéran, Susan Briscoe et la British Quilters’ Guild ont exposé en 2018 à Birmingham plus de 20 répliques de ce chef d’oeuvre. La gagnante du concours est Denise Geach, mais saluons le travail de bravoure de chacune !
Le patchwork américain
Le patchwork à l’anglaise est bien long à faire, avec l’étape fastidieuse et dispendieuse des gabarits. Par souci de rapidité et l’utilisation d’autres tissus moins fuyants comme la laine et le coton, les femmes ont inventé une autre manière de faire : assembler les pièces en mettant les tissus endroit contre endroit, les coudre à la main ou à la machine après avoir tracé, à l’aide de gabarits en carton ou métal réutilisables, les formes directement sur le tissu (et donc les lignes de coutures).
La Discrète est encore ajoutée à vue d’œil : soit on découpe après avoir dessiné la pièce, à la distance la plus petite possible du trait pour économiser le tissu, soit on a pris soin de s’approcher le plus possible du bord du tissu au moment du dessin. Sur la plupart des quilts anciens un peu ou beaucoup déchirés, on constate que les marges sont minimes, 1/8e d’inch (entre 3 et 4 mm) était tout ce qu’on laissait à la Discrète… d’où les déchirures, l’effilochage des tissus coupés ou déchirés en droit fil.
Le dos de ce quilt inachevé montre que les traits de couture ne sont pas tracés par toutes les quilteuses et que la couture du tissu à carreaux est à la limite de l’effilochage… Cela ne tiendra pas longtemps, même quilté(photo de Flickr)
Au cours du 20e siècle, les magazines, les livres de quilteuses chevronnées donnaient de bons conseils : si vous voulez que votre quilt tienne bon, qu’il devienne un Heirloom Quilt (quilt qui sera transmis en héritage), mettez environ 1/4 d’inch (6,35 mm) comme marge de couture… ce qui semblait, pour la plupart des quilteuses, un gâchis terrible !
Quilt américain appartenant à Caroline, en gardiennage chez son amie Kristine : vaut-il la peine d’être restauré ? Telle est la question…
Ce quilt n’est probablement pas très ancien, c’est un Log Cabin fait à la machine dans les années 1960 peut-être. Le 1/4 d’inch est quasiment respecté mais, autre problème, le fil blanc a cisaillé le tissu de coton… Probablement un fil en polyester, trop solide pour les cretonnes et les divers tissus en coton utilisés… A garder en mémoire !!
La discrète révèle non seulement les habitudes des quilteuses, mais aussi… la couleur d’origine des tissus qui n’a pas été délavée par les UV !
Ce n’est que sur la marge de couture qu’on a une idée de la couleur d’origine du tissu.
Le Crazy
Là encore, on ne parle pas de marge de couture, on coud dans tous les sens, on pratique un mélange de piécé et d’appliqué, on ajoute des broderies qui tiennent le tout, la discrète n’a pas la parole alors qu’elle est omniprésente, cela va de soi. Mais en évoquant la folie du crazy, on peut se rapprocher des vraies origines multicentenaires du patchwork, l’assemblage en puzzle de tout ce qu’on avait comme textiles, quelle que soit la forme de la pièce, ou bien la réparation des vêtements ou linges de maison avec l’ajout d’une pièce pour cacher un trou… Il y aura une marge de couture minime… Économie oblige !
On vient de le voir, l’appliqué fut d’abord une pièce de réparation, puis devint un loisir de femme aisée : coudre un tissu neuf sur un autre neuf ne se fait que pour des raisons esthétiques ! Là encore, les marges de couture sont souvent minimes et il faut beaucoup de petits points pour bien fixer le tissu décoratif sur son fond. On rentre généralement la marge de couture en s’aidant du bout de l’aiguille. La discrète est glissée et coincée, ni vue ni connue, entre les deux tissus.
Le patchwork avec l’utilisation du cutter rotatif
On l’a vu, pour du patchwork durable, on préconisait environ 1/4 d’inch, mais au vu des quilts anciens, on sait que la discrète était plus petite, presque toujours.
Vint l’avènement du patch moderne grâce à mon objet fétiche : le cutter rotatif ! Avec lui, les marges de couture se sont normalisées car, révolution, on ne marque plus le trait de couture : on coupe en ajoutant la valeur de 2 marges de couture (de part et d’autre de la pièce). Pour un carré de 2 inch, on coupe un carré de 2 1/2 inch. Simple comme bonjour ! Comme cette évolution est arrivée des USA, il a fallu convertir pour le système métrique. Dans les années 1990, les premiers livres en français qui présentaient cette méthode préconisaient 5 mm de discrète et donc un ajout très pratique d’1 cm (pour un carré cousu de 5 cm, on coupe 6 cm), mais cela s’est avéré un chouïa trop juste et la règle d’or est à présent d’ajouter 1,5 cm. Le quatuor cutter-règle-planche et machine à coudre fonctionne à merveille, il faut avoir un pied de biche de la bonne largeur (celle de la marge de couture) et hop ! tout est précis, vite et bien.
Sauf que… il y a l’épaisseur du tissu, celle du fil, le pli… et pour avoir un résultat absolument parfait, il faut coudre juste un peu moins que le quart d’inch, en anglais on dit coudre a scant quarter inch seam allowance.
Et en centimètres ? Personnellement j’obtiens de bons résultats avec :
un pied de biche d’un quart d’inch et les tissus tout juste au bord (donc une couture à 6,3 mm du bord, au lieu de 7 mm)
un repassage de la couture sans ouvrir les tissus d’abord (toujours mis endroit contre endroit), puis j’ouvre en repassant les marges sur un côté
dernière action : l’équerrage, le bloc étant logiquement trop grand d’1 mm environ. Je corrige tout petit problème. Avec des blocs complexes aux nombreux pavés intermédiaires, je me repère toujours aux correspondances de coutures centrales, non à la marge de couture.
Mais voilà que des quilteuses libérées et rebelles, avec Gwen Marston en mentor, ont remis en cause l’esthétique parfaite des quilts de la fin du 20e siècle. Avec tous les modèles repris à l’infini, calqués les uns sur les autres, cela engendrait un monde de quilts magnifiques certes, mais manquant de personnalisation, une perfection sans jubilation. Armée de son cutter, Gwen et ses amies ont repris l’esprit de « faire avec ce qu’on a », sans renier le progrès.
Ce quilt de Gwen Marston a une structure classique, mais les string blocks (blocs faits de bandes) sont cousus sans fondation, sans respect de la vraie diagonale, en prenant les bandes de tissus comme elles viennent, en s’amusant surtout… Il en résulte un quilt bien plus vivant et gai que s’il était coupé droit !
Si par exemple un tissu présente une courbure, au lieu de l’équerrer droit, on va tirer avantage de ce mouvement. Comme avant, chaque oeuvre devient absolument unique, on parle de processus d’improvisation et de création, au lieu de copie d’un modèle.
Ce quilt a été inventé au fil du temps, assemblé en tenant compte des mouvements des blocs non équerrés.Velours Rouge, Katell.
Et la discrète ? Eh bien, c’est toujours sa nature de rester en retrait ! Les quilteuses faisant des quilts improvisés l’ont constamment à l’esprit, mais elle ne sera pas nécessairement pile-poil d’un quart d’inch, les coupes souples ne sont plus en droit fil et ne s’effilocheront donc pas : on a une tolérance légèrement en-dessous et au-dessus du quart d’inch ou des 7 mm, au coup d’œil… mais nous l’avons à l’œil, la discrète, elle ne doit tout de même pas être trop fine !
Quand la discrète fait sa star
Comme toute règle peut être détournée, voici différents exemples d’une discrète devenant star ⭐
Tout d’abord un style country, coutures apparentes frangées et ébouriffées, amusant à faire mais vite passé de mode, les rag quilts :
Puis la modernité et l’audace de l’Allemande Inge Hueber, qui s’est fait une spécialité de la marge de couture visible, en tournant son top : l’envers devient l’endroit ! Il en découle un flou artistique, des limites indéfinies comme dans une légère brume :
Natalie Chanin, elle aussi, a fait des quilts avec le top « à l’envers », montrant fièrement les coutures :
Indigo Star Quilt de Natalie Chanin. Première particularité : les coutures visibles décoratives. La seconde : la matière est en jersey de coton, oui, celle des tee-shirts !
⭐
Discrètement, la marge de couture se cache au cœur de vos quilts, bien à l’ombre des projecteurs… Mais veillez sur elle, sur ses épaules repose la pérennité de votre ouvrage !
Un jour ou l’autre, nous devons vider le logement de proches, la plupart du temps des parents. Toute une vie résumée en objets. C’est parfois un choc de voir tous les petits riens accumulés au cours de leurs vies, jalons d’un parcours, témoignages d’émotions qui n’appartenaient qu’à eux. Des trouvailles ouvrent aussi la boîte aux questions, mais d’où vient ceci ? Un souvenir de voyage ?…
Ralli quilt
Je vous avais présenté un grand top sorti de l’oubli, qui s’est avéré venir d’Inde (un Ralli quilt). Caroline, elle, a dans des circonstances similaires, déniché un mini, mini top :
Chaque bloc ne mesure pas plus de 4,5 cm. Cette miniature enchante, avec ces couleurs vives et contrastées. Contrairement à l’apparence, ce n’est pas du patchwork à proprement parler, je veux dire qu’il n’y a pas d’assemblage de petits bouts de tissus au moyen de coutures. Chaque morceau de tissu que l’on voit est un pliage, soit une bande pliée en deux, soit un carré plié deux fois pour en faire un triangle. La technique s’apparente bien plus au Pine cone (pomme de pin) donc ! Depuis que je me suis intéressée à cette technique, grâce à Betty, la Reine du Pine Cone quilt que vous connaissez bien si vous me lisez depuis quelque temps, je suis impressionnée par l’universalité de cette technique. Ce mini quilt est un souvenir de voyage, probablement du nord de la Thaïlande, dans ce vaste territoire où se jouxtent la Chine, le Laos, le Vietnam et la Birmanie. Une pléiade d’ethnies, qu’on connaît vaguement sous les noms de peuple Miao ou les Hmongs, occupent un vaste territoire qui se joue des frontières politiques. On y voit encore des quilts et des vêtements traditionnels extraordinaires, ornés de ce genre de beauté, mais aussi d’appliqués inversés comme les Molas amérindiennes. Cette grande variété d’ouvrages textiles peuvent s’admirer lors d’expositions, dans des musées… ou, si on a beaucoup de chance, au fond d’une armoire de grand-mère !
Chaque pièce est fixée sur l’autre au moyen de petits points avant, au fil de la même couleur que le tissu.
Caroline a su faire plaisir à sa grande amie Kristine en lui offrant cette petite merveille ! Ce qui est amusant aussi, c’est le contraste entre le devant et le dos :
Oh le choc !! Mais on y comprend mieux la technique utilisée. Un « grand » carré noir -tout est relatif, il mesure 4,5 cm- est la base d’un bloc. On n’en voit sur le devant qu’un carré central de 4 mm ! Autre surprise, les blocs sont assemblés au point glissé, comme on le fait pour deux hexagones en patchwork à l’anglaise. Le fil rouge est invisible devant, grâce à l’épaisseur des blocs.
Merci Kristine de partager ton cadeau avec nous !
Les couleurs de nos quilts météo 2020
Après le plaisir des premiers blocs et la découverte de l’attente au jour le jour, vint la frustration des températures trop égales. Quoi !! Trois jours de suite avec les mêmes couleurs !! Vivement qu’il fasse plus chaud ou plus froid pour avoir du changement ! Aujourd’hui sans doute, le froid va en réjouir plus d’une, rien que pour mettre une couleur inédite dans son top en construction !
Voici quelques exemples parmi tant d’autres : les doubles pastilles pour deux années différentes par Monique Chiabergi, à côté l’intrigant labyrinthe de Christophe Hénault, ensuite deux semaines d’Agnès Bolzer, de Nathalie Fourmont et d’Anik Billot.
Vous n’avez ici qu’un petit aperçu de la créativité du groupe !
Nous avons largement dépassé les 520 membres sur Facebook, et des quilteuses font aussi leur quilt météo 2020 sans faire partie du groupe. Cela promet une année très amusante où l’on prête grande attention à la fois au temps qu’il fait, au temps qui passe et aux couleurs du ciel, avec des réflexions plus graves parfois. C’est fou ce que le patchwork apporte à nos vies !
Un Quilt Papillon pour le bonheur des couleurs
C’est un groupe qui vient de se créer à l’initiative de Patricia Gélinet, Normande établie en Belgique qui a un magasin de patchwork à Courcelles et vend sur internet (Patouchwork).
Frustrée de ne pas avoir le temps de suivre le Quilt Météo 2020, elle a choisi de faire un bloc par mois, guidée non pas par la météo mais par les Couleurs du Mois, choisies pour leur énergie, bien plus que la représentation classique (comme blanc comme la neige pour janvier…). L’indigo Foncé, Le Kaki, l’Or et le Crème sont les couleurs de janvier, un accord réfléchi pour donner à la fois la concentration nécessaire au début d’un projet, l’élan et la nourriture de la créativité. Elle est guidée pour cela par le livre de Philippe Houyet Des Couleurs pour la Vie. Patricia explique les raisons de la création de ce groupesur son blog et vous convie à vous inscrire au groupe Facebook si l’aventure vous séduit !
Je viens de recevoir ce livre, accompagné de 50 cartes de couleurs, je compte bien me familiariser avec elles et leurs tirages !
Des couleurs pour soigner
Je dédie cet article très coloré, gai et plein d’espoir à ma chère amie Betty de Floride, qui a actuellement des soucis de santé. Hold on my dear Betty, may all our united wishes for you bring you back to good health!
Betty devant le quilt qu’elle m’a dédié, Purple Katell
Maintenant que Betty est reconnue comme spécialiste des Pine cone quilts, quelques personnes prennent le temps de lui signaler les quilts en vente sur ebay utilisant cette technique. Voici une des photos qu’on lui envoya:
C’est ainsi que Betty vient d’acquérir ce magnifique quilt dont on a malheureusement perdu partiellement l’histoire. La vendeuse l’avait acheté lors d’une vente aux enchères à un homme, petit-fils de la quilteuse. Le quilt a peut-être une trentaine d’années. Betty s’est mise en relation avec la Guilde du comté où ce quilt a été trouvé, en Caroline du Sud, pour d’éventuels renseignements complémentaires, mais pour le moment on répare les dégâts causés par Dorian dans ce secteur… En attendant, Betty partage avec nous des photos de la toute nouvelle pièce de sa collection :
Un petit bloc de pomme de pin jaillit du carré rouge. Le quilting main montre que c’est un « vrai » quilt en trois épaisseurs, ce qui n’est pas souvent le cas avec ce type d’ouvrage.
Ce tissu jaune est clairement de style provençal confirmé par la bordure aperçue en bas. A noter que les carrés de fond sont souvent piécés, comme ici. Certains ont même des tissus très contrastés pour un même carré. On fait avec ce qu’on a sous la main !
Détail du dos
Voyez-vous la délicate bordure en blanc, légèrement froncée par le lavage ?
Le vintage fait parfois si moderne !
m’écrit Betty dans son mail…
Il est vrai que les tissus utilisés lui donnent un esprit scrappy intemporel, et on pense irrésistiblement aux quilts contemporains de notre chère Rachaeldaisy, qui magnifie et modernise cette technique avec son peps si personnel.
Savez-vous qu’aux Etats-Unis, certaines personnes disent que tout quilt ayant plus de 10 ans est considéré maintenant comme vintage ? Nous en avons plein la maison dans ce cas !!
Betty me demande également de transmettre son bon souvenir à toutes les personnes rencontrées en Occitanie en juin 2018… ce dont je m’acquitte avec grand plaisir !
Comme cette technique est jolie et tellement amusante à faire, de jeunes talents en herbe s’y intéressent : chez Maïté BeeBee, Miss Élisa a déjà fait un coussin Pine cone et sa cousine Gabrielle a taillé, la veille de son départ, plein de carrés jusqu’à 23h30, histoire de voyager sans perdre de temps… La voici à l’oeuvre dans la voiture :
Bravo à ces jeunes filles, et surtout à Maïté qui sait mieux que personne susciter l’envie de créer aux enfants autour d’elle, filles et parfois garçons aussi !
Bonne journée à tous, pour moi c’est vol Toulouse-Strasbourg en vue de quelques jours à Sainte-Marie-aux-Mines…
La belle vie, quoi !
J’aime beaucoup l’Alsace et surtout les Alsaciennes avec qui je me sens si bien ! Cependant, je vais jeter un pavé dans la mare aux idées reçues, qui concerne leur territoire. Mais les quilteuses de la région ne seront pas étonnées de ce qui suit !
La semaine dernière sur le forum France Patchwork, un sujet intéressant est lancé par Véronique Badin : y a-t-il des spécificités françaises actuellement dans le patchwork ?
La conversation se dirige vite vers les origines de l’art du patchwork. A ma stupéfaction, plusieurs personnes sont persuadées que le patchwork est né à Sainte-Marie-aux-Mines (Alsace) et qu’il a été exporté en Amérique par les Amish. Il faut dire que le Carrefour Européen du Patchwork avait, à ses origines, habilement communiqué sur le berceau des Amish… et entretenu une sorte de confusion, puisque chaque année, on peut y admirer des quilts amish. Si le mouvement Amish a bien été créé à SMM et les Amish y ont bien vécu avant leur départ vers l’Amérique, ils n’avaient pas alors de quilts avec eux…
Jamais cette théorie n’a été admise ni publiée. Les Amish ont, en masse, émigré avec toutes leurs affaires, dûment répertoriées, et ils n’avaient aucun quilt, mais des sacs de plume, à la manière allemande. C’était au début du 18e siècle, puis une autre vague au moment de la Révolution Française.
Ce n’est pas avant 1870, soit plus de 150 ans après leurs premières migrations, que les Amish se sont inspirés des English, comme ils nomment les autres Américains d’origine européenne, pour assembler leurs étoffes de laines teintes et créer le style de patchwork qu’on leur connaît bien. Leur inspiration première viendrait d’ailleurs en partie de quilts d’origine galloise, vus en Pennsylvanie, d’après plusieurs recherches sérieuses.
J’aime beaucoup les quilts gallois et amish. Y a-t-il une relation entre eux ou une simple coïncidence esthétique ? Plusieurs livres ici photographiés ensemble abordent plus ou moins directement ce sujet… puis celui-ci acheté plus tard, traite principalement cette hypothèse :
La casseuse de rêves, c’est moi, mais la réalité est tout aussi belle, même si elle ôte l’illusion d’une origine française/alsacienne exclusive de notre art qui vient de la nuit des temps…
Je rappelle la citation de Barbara Brackman écrite dans BeeBook, sur les origines du patchwork américain :
Je n’ai pas résisté à l’envie de ce titre, parfois, un rien m’amuse !
J’ai longtemps considéré le crazy comme une fantaisie passagère de la fin du XIXe siècle, avec ces dames qui s’étaient éclatées dans un monde victorien rigide, allant jusqu’au bout de la récup’ de toutes sortes de tissus (dentelles, soies, velours, satins…), le recyclage de vêtements ou de mouchoirs, et bien plus encore. Elles n’hésitaient pas à broder selon leur envie du moment, se défoulant sur leurs tissus !
Lisez ici la présentation de ce livre…Attention, cela vous donnera très envie de l’acheter 😊 Sous le livre, un de mes crazys et le souvenir d’un vrai bonheur de création ! C’est, à ma connaissance, le seul livre en français entièrement consacré au crazy.
J’ai beaucoup appris sur le crazy en lisant le livre de Denyse Saint-Arroman… ainsi qu’en assistant à ses conférences, en discutant avec elle… Chaque rencontre est un immense plaisir !
En fin de semaine, les Abeilles ne manqueront pas son exposition du côté de Castelnaudary, à Avignonet-du-Lauragais (31) :
Denyse a acquis de nombreux crazy quilts anciens, quelques-uns en bon état, d’autres très dégradés. Ces derniers ont bénéficié d’une minutieuse rénovation de ses propres mains –ah l’émotion de voir une rénovation en cours !– mais elle en a fait également elle-même de superbes, parfois très proches de ses cousins victoriens, d’autres bien plus personnels et même modernes. Seront-ils aussi à l’expo ? Surprise !!
Hannah, une douce et jeune maman au visage poupon, est photographe en semaine et chasseuse de quilts le week-end, écumant les ventes dans l’ensemble du Tennessee. Et sa récolte est toujours impressionnante ! Au marché aux puces de Nashville le 1er mai, elle en a récolté plus de 100.
Avec son mari, elle traque les quilts vintage, la plupart datant de l’entre-deux-guerres, beaucoup sur fond blanc avec de ravissants imprimés, mais on a aussi des fonds vifs ou pastel, illuminant tous ces blocs que nous connaissons bien… Quelle diversité ! Chacun est unique. Certains sont devenus fades, d’autres puent le renfermé, il y a parfois des taches ou des accrocs, mais aussi ils peuvent être en parfait état ! Quand on la voit dévaliser les stands, elle entend dire inévitablement : eh bien vous n’aurez pas froid l’hiver prochain !
Hannah aimerait bien les garder TOUS.
Bien sûr, c’est impossible. C’est en revanche son petit boulot de les acheter, les laver souvent, les mettre sur son site et les revendre à des prix très raisonnables – ils s’étalent aujourd’hui sur son site de 15 à 145 $. Attention, celui que vous repérez va sans doute partir dans les minutes qui viennent ! C’est le jeu, à peine mis sur le site, ils sont convoités. Le premier qui paie aura le quilt, la règle est simple et juste.
Voici quelques exemples de quilts trouvé le 1er mai :
Si vous souhaitez en acheter, le coût du transport hors USA doublera sans doute le prix, mais cela reste raisonnable pour ces trésors du passé…
Selon le style ou l’état, un quilt peut être un « cutter quilt », un quilt très usagé, à être recoupé pour récupérer ce qui peut l’être, un « tacked quilt », un faux quilt car il est maintenu par des nouettes par exemple… Hannah en fait une description qui vous aidera à choisir.
Hannah prend parfois le temps de profiter de quelques quilts chez elle, avant de les mettre en ligne.
Hannah poste extrêmement rapidement les quilts vendus, gage de la satisfaction du client. Ici le chargement pour aller à la Poste !
Fin février, elle alla visiter le QuiltCon, l’exposition annuelle des quilts modernes organisé par la Modern Quilt Guild. Cette année, c’était chez elle à Nashville ! Elle se rendit compte à quel point les quilts sont précieux, ceux du passé comme ceux du présent, tous ont été faits avec amour…
C’est à travers de telles petites histoires qu’on se rend compte à quel point les quilts font partie du quotidien et de la culture de nos amis nord-américains !
Son site : Stitched and Found avec de superbes photos ! Hannah est aussi très active sur Instagram, c’est là que Kristine a trouvé cette belle histoire vraie pour la Ruche…
Rappel : plus que 11 jours pour (vous) offrir BeeBook au tarif préférentiel, un livre aux quilts actuels, de futurs quilts classiques ! Tout n’est qu’une question de perspective…
Que faire au 19e siècle aux Etats-Unis quand on a un esprit curieux et scientifique ? Pour un homme, la question ne se pose pas dans ces termes. Pour une femme, il faut que ce soit acceptable, convenable.
Pour une femme vivant dans l’Iowa rural, une des occupations scientifiques convenables était l’astronomie, sans doute parce que c’était propre et lointain… Sarah Ellen Harding Baker (1847-1886) réussit à mener sa vie familiale avec 7 enfants nés (5 survivant aux difficultés de la petite enfance) et ses recherches sur le système solaire. Elle n’eut pas le temps de poursuivre longuement sa carrière, la tuberculose l’emporta à 38 ans.
Pour transmettre son savoir acquis par de multiples lectures pointues, elle faisait des conférences… mais elle n’avait pas de Power point… Elle fit donc un quilt immense, bien visible en conférence : 225 x 269 cm !
Le top est fait sur une étoffe de laine noire, doublé d’un tissu laine et coton, brodé et appliqué de laine et de soie. Il fut terminé au bout de 7 ans. Il est dans l’esprit des gravures scientifiques d’alors et son système solaire est exact. Elle passa de longues heures au télescope de Chicago pour bien capter les lunes de Jupiter, les anneaux de Saturne… Bien sûr Pluton n’y est pas, planète découverte en 1930.
Ce quilt est conservé au National Museum of American History, à Washington D.C.
L’Allemande Caroline Herschel (1750-1848… vécut 97 ans et 10 mois !) fut la première femme astronome professionnelle au monde, suivie par Maria Mitchell (1818-1889) aux USA. Toutes deux furent de brillantes astronomes. Dans la galaxie des scientifiques de l’espace, elles y laissèrent leur nom (chacune a un cratère de la Lune à son nom, ainsi que des comètes). L’Américaine, en bonne Quaker, ne s’habillait jamais en coton, pour ne pas soutenir l’économie du coton américain lié à l’esclavage…
Je prends ici le temps de vous présenter une oeuvre de Judy Chicago, artiste contemporaine, qui dans les années 1970 créa une table triangulaire de 39 places, chacune étant dédiée à une femme remarquable. Pour chacune, une place avec des symboles, un chemin de table brodé par l’artiste. Certaines évocations très explicites sur l’anatomie féminine ont fait couler beaucoup d’encre !
The Dinner Party, exposé à présent au Musée de Brooklyn
Parmi ces femmes, l’Allemande Caroline Herschel est présentée ainsi :
Broderie à la main par Judy Chicago. C’est superbe, sans scandale, sans critique !
« Miss Cecilia H. Payne – Harvard Obs. Astron. »
Au XXe siècle, la chercheuse brillantissime Cecilia Payne, née en Angleterre en 1900, fit scandale quand elle décida de garder son poste alors qu’elle venait de se marier. Pire, elle osa faire une conférence enceinte de 5 mois. Chocking n’est-ce pas ? Je ne saurai pas entrer dans les détails, mais elle fut la première à découvrir, à 24 ans, que les étoiles sont primairement faites d’hydrogène, elle fit de brillantes recherches sur les étoiles variables, les supernovas… et elle broda, au crépuscule de la vie, une image pixelisée des vestiges de la supernova Cassiopée :
Représentation de ce qui se passa il y a des centaines d’années, à des milliers d’années-lumière de chez nous, avec un art traditionnel féminin. Quelle poésie ! Cette broderie est conservée dans les archives de Harvard. 1975
Au 21e siècle, des femmes sont astronautes… et néanmoins quilteuses, du moins Karen Nyberg ! Pendant les 5 mois de travail intensif dans la station spatiale en 2013, elle trouva le temps de coudre le premier bloc fait dans l’espace ! Elle raconte qu’elle a eu du mal à couper et coudre en apesanteur et estime que ce n’est pas un chef d’oeuvre… mais quel exploit, indéniablement ! Dans cette video elle partage avec nous ses difficultés avec humour et lance un challenge.
Les tissus ne se laissent pas couper facilement en apesanteur.
Une étoile libérée à la manière de Gwen Marston…
C’était en 2013. Elle propose en fin de vidéo que des quilteuses cousent d’autres blocs d’étoiles pour en faire un quilt à exposer à Houston en 2014. Ce qui fut fait, et au-delà !
Une star, Karen Nyberg, autour d’autres stars… 2 200 blocs d’étoiles sont arrivés à la suite de sa proposition et 28 quilts ont été faits ! A Houston en 2014, voici Karen avec le quilt comportant son étoile faite dans l’espace…
Une blogueuse, Katie, a photographié les 28 quilts que vous pouvez voir ici. L’exposition itinérante continue son chemin, elle était à Winedale (TX) en février dernier. La collection de quilts a été offerte au Briscoe Center for American History à Austin (Texas).
Parmi la myriade d’étoiles, un bloc fit sensation :
« Portrait de l’astronaute quand elle était jeune fille ». Il se trouve dans le même quilt que l’étoile de Karen.
A la dernière Journée de l’Amitié France Patchwork de notre département, Liane m’a montré un top trouvé dans une maison de famille. Elle voulait en savoir un peu plus sur ce bel ouvrage. C’est un top fait de blocs avec des appliqués variés et une mignonne bordure de triangle que nous appelons point de prairie. Du beau travail, même si son état le rend délicat à manipuler. Les couleurs restent vives et très contrastées. On voit bien que ce sont des teintures naturelles, faites à partir de végétaux ou autres matières naturelles. Le coton est légèrement irrégulier, certainement pas traité industriellement. Le fil utilisé pour l’appliqué est tout blanc, comme souvent pour les quilts anciens de toutes origines.
Je le soupçonnais venir du nord-ouest d’Inde mais sans certitude. De petites recherches sur internet confirment mon intuition, ce top fait partie des Ralli quilts faits par les peuples du nord-ouest de l’Inde et du sud du Pakistan, à l’est du fleuve Indus. Curieuse, je me suis acheté LE livre des Ralli quilts et je suis heureuse d’en connaître un peu plus à présent !
Dans cet immense territoire, on fait des quilts depuis la nuit des temps. Ils servent de couverture de lit, de tapis de sol, d’emballage et de protection d’objets, de coussin, de selle de cheval ou de chameau… Les tissus n’ont pas une longue durée de vie, mais on en trouve la trace sur diverses gravures. Les mêmes motifs se retrouvent sur d’antiques poteries et autres objets, et même sur des tombes.
Naguère les quilts n’étaient faits que pour la famille et constituaient une bonne part de la dot. A présent il existe des marchés et coopératives pour que les femmes puissent les vendre. Les convictions religieuses différentes, hindoues et musulmanes, ne semblent pas apporter de différences aux quilts.
Par la vente de leurs quilts, les femmes se prennent en main et des aides comme l’alphabétisation sont organisées.
On distingue trois familles de quilts mais souvent on trouve l’association des différentes techniques. La plupart sont de tissus unis, ce qui les rend à nos yeux très modernes !
Ceux en patchwork, faits de recyclage de tissus, ont des motifs géométriques qu’on retrouve identiques en Amérique. On peut les nommer Vol d’oie, Étoile de l’Ohio ou Sablier, mais nul doute qu’ils portent d’autres noms au Pakistan 🙂
Ceux en broderie sont souvent sur fond noir, ils sont faits par le peuple nomade du nord de cette région. Ils comportent souvent des miroirs appelés shishas, donnant un éclat incomparable.
Ceux en appliqué ont souvent des formes de flocons de neige dans un carré et les bordures sont parfois en appliqué inversé, produisant les mêmes dessins que des gravures sur bois de la région.
Cette belle photo de femme vient du site Ralli Quilts, tenu par l’auteure du livre éponyme.
La vallée de l’Indus abritait une ancienne civilisation brillante avant JC qui garde encore beaucoup de ses mystères… Comment lire leur écriture ? Pas de pierre de Rosette pour aider cette fois-ci.
A l’Âge de bronze, ils construisirent de grandes villes au meilleur système de drainage, de distribution et de conservation d’eau de l’époque. C’étaient de grands commerçants et constructeurs, plutôt pacifiques. Un déclin en 1700 avant JC est évident sans qu’on en trouve la cause jusqu’à présent. C’est peut-être une guerre, mais plus probablement un changement climatique, avec des crues dévastatrices, des famines ou épidémies qui précipitèrent la chute de cette civilisation qui fut redécouverte seulement au XIXe siècle.
Voici des détails du beau top de Liane :
Cela me donne une furieuse envie de refaire de l’appliqué !
Détail de la bordure :
Très intéressant : on voit le changement de couleurs des triangles au gré de l’envie… et une marque presque effacée sur l’écru : …RATION et dessous : …ACHI. Opération Karachi ??? Seul un spécialiste pourrait donner la réponse !
Voici l’envers du décor : les triangles « point de prairie » sont fixés par une piqûre à la machine à coudre, tout comme l’assemblage des bandes, alors que l’appliqué est à la main. Les teintures ne tiennent pas, en particulier le turquoise.
Ma chère Liane, merci pour ta confiance, j’ai bien aimé partir à la recherche de l’origine de ce beau top ! A toi maintenant de chercher dans ta famille qui est allé dans cette région… ou bien est-ce simplement un coup de cœur chez un antiquaire ? Le mystère ne se lèvera pas nécessairement et cet ouvrage restera alors source de rêverie…